« Il est trop tôt pour savoir si cette polémique est un tournant décisif au point d’empêcher François Hollande de se présenter »
« Il est trop tôt pour savoir si cette polémique est un tournant décisif au point d’empêcher François Hollande de se présenter »
Bastien Bonnefous, journaliste politique au « Monde », a répondu aux questions que les internautes se posaient sur les conséquences de la publication du livre « Un président ne devrait pas dire ça » pour François Hollande.
Avec la publication des bonnes feuilles, ces derniers jours, de « Un président ne devrait pas dire ça », dans lequel le chef de l’Etat se laisse aller à la confidence avec les journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme, François Hollande est de plus en plus isolé. Quelles sont les conséquences politiques d’un tel ouvrage ? Bastien Bonnefous a répondu aux questions des internautes.
Nicolas : Pourquoi sortir ce livre ? Quel est son intérêt à quelques mois de la primaire ?
Bastien Bonnefous : Bonjour, je profite de votre question pour répondre à d’autres internautes qui ont des interrogations approchantes. Beaucoup se demandent pourquoi François Hollande a accepté la publication d’un livre contenant certains de ses propos aussi gênants pour lui, ou pourquoi il a décidé de le publier maintenant. Il me semble nécessaire de remettre quelques points sur les i. Ce livre n’est pas un ouvrage « de » François Hollande, mais des journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, qui ont rencontré à plusieurs reprises le chef de l’Etat au cours des quatre dernières années. Ce sont donc ses deux auteurs qui ont décidé de sa date de publication, de son format, de son contenu, de son propos général, etc. et en aucune manière le chef de l’Etat ou l’Elysée.
Comme François Hollande a accepté les conditions des auteurs – enregistrement des conversations et pas de relecture avant parution – il ne pouvait pas avoir de droit de regard sur le livre final. Je sais que l’époque est friande de complotismes en tout genre, mais je ne crois pas qu’il faille voir derrière chaque choix un coup de billard à vingt bandes. François Hollande peut avoir tout simplement pensé que se livrer en toute transparence sur son action comme président de la République était une bonne idée. Peut-être cela se révélera-t-il une erreur au regard des événements politiques des prochains mois. Mais cela, par définition, seul l’avenir nous le dira…
Fleur : Hollande est-il anéanti par ces années d’exercice du pouvoir au point d’avoir perdu toute faculté de jugement ?
Bastien Bonnefous : C’est une question que peuvent se poser en effet une partie des responsables socialistes et même une partie des proches de François Hollande. Plusieurs responsables avec lesquels j’ai pu parler ces dernières quarante-huit heures s’interrogeaient à ce sujet : pourquoi François Hollande parle-t-il si régulièrement à des journalistes ? Pourquoi a-t-il accepté les conditions de réalisation des entretiens pour ce livre ? Et plus généralement, pourquoi n’a-t-il pas fait plus attention à ce qu’il disait ? Il est très difficile de répondre à toutes ces questions. Depuis une trentaine d’années, beaucoup ont essayé de pénétrer le cerveau de François Hollande et rares sont ceux qui ont réussi… Le pouvoir au plus haut niveau isole-t-il au point de perdre ses meilleurs réflexes ? François Hollande a-t-il pensé qu’il était bon d’être transparent sur tous les sujets sur lesquels on l’interrogeait ? A-t-il pensé au contraire être plus intelligent et plus malin que tout le monde, et qu’il tirerait profit à l’arrivée de tout cela ? Peut-être un peu des trois.
Corentin Thomas : Hollande se carbonise tout seul. Va-t-il oser se représenter ? Qu’en dit son entourage ?
Bastien Bonnefous : De ce que l’on en sait à ce stade, l’entourage de François Hollande est traversé par de multiples sentiments après la lecture de ses propos rapportés dans ce livre. Il y a ceux qui sont à la fois consternés et en colère, du fait des propos mêmes, mais plus largement du fait de l’attitude du président de la République. Ce sont souvent les mêmes qui, depuis longtemps, considèrent que François Hollande parle trop aux médias, avec une parole trop libre et avec une communication pas assez professionnelle. Les autres estiment que ce nouvel épisode est bien sûr embarrassant pour l’Elysée, mais qu’une actualité chassant l’autre, la polémique va rapidement retomber.
En tout cas, tous les proches de François Hollande sont inquiets des effets politiques possibles de cette affaire. Il est bien sûr trop tôt pour savoir si cette nouvelle polémique est un tournant décisif à sept mois de l’élection présidentielle, au point d’empêcher à terme François Hollande de se présenter. Ce qui est certain, c’est que la sortie de ce livre a lieu à un très mauvais moment pour la présidence. Ces derniers temps, les proches de François Hollande se préparaient à mettre en place un dispositif de lancement de sa précampagne à la primaire du PS. Il y a eu son interview dans L’Obs, le 13 octobre, dans laquelle il dit qu’il est « prêt », et devait suivre un appel au soutien de parlementaires socialistes. La parution de ce livre et ses effets ont écrasé toute cette « séquence », comme disent les communicants. Aujourd’hui, les médias, et demain les Français, parlent davantage des confidences de François Hollande dans ce livre que de son interview à L’Obs. L’effet immédiat est désastreux.
Antoinedesl : La publication de ce livre était à l’origine destinée à apporter plus de transparence au quinquennat, et à légitimer la candidature Hollande. Au vu de la teneur des propos tenus dans le livre, c’est un vrai suicide politique. Hollande vient-il de perdre sa dernière chance de se présenter ?
Bastien Bonnefous : Je ne crois pas que la publication de ce livre devait à l’origine « légitimer la candidature Hollande » comme vous l’écrivez. « Un président ne devrait pas dire ça » est un livre de journalistes destiné à raconter de l’intérieur le quinquennat en cours. De ce qu’en disent ses auteurs, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, François Hollande a accepté en amont leurs conditions, à savoir – je résume – pas de relecture avant parution et tous les entretiens sont enregistrés. Quant à savoir si le chef de l’Etat a perdu sa dernière chance de se présenter, je vous renvoie à ma réponse précédente. Il est trop tôt pour le dire. A ce stade, François Hollande ne dévie pas du calendrier qu’il s’est lui-même fixé : il doit dire en décembre s’il se présente ou pas à la primaire organisée par le PS.
Le président de la République est déjà affaibli par le contexte politique, la division à gauche, la popularité de la primaire de la droite ou d’Emmanuel Macron, les différentes polémiques qui ont émaillé son quinquennat, et bien sûr ses résultats économiques et sociaux contre le chômage. Les effets de ce livre ne sont pas bons pour lui et viennent s’ajouter à cette série de difficultés. Sera-t-il quand même candidat ? Va-t-il abandonner ? Pourrait-il se déclarer plus tôt que prévu pour tenter d’éteindre l’incendie en créant un effet de surprise ? Impossible à ce stade de répondre, les prochaines semaines nous le diront.
Arnaud : François Hollande semble complètement discrédité pour être candidat à sa réélection. Qui est en lice sur sa ligne politique pour le remplacer à la primaire de la gauche ? Manuel Valls ? Emmanuel Macron ? Ségolène Royal ?
Bastien Bonnefous : Dans l’hypothèse où François Hollande ne serait pas candidat à la primaire organisée par le PS en janvier, d’autres responsables politiques sortiraient du rang aussitôt pour le remplacer. En premier lieu, bien sûr, son premier ministre, Manuel Valls. Ce dernier n’a jamais caché qu’il espérait être un jour candidat à la présidentielle. Et ces dernières semaines, tout en revendiquant sa loyauté au chef de l’Etat, il s’est à plusieurs reprises positionné pour être un recours en cas de défection de François Hollande.
Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, qui sont déjà candidats à la primaire du PS, sont d’ailleurs persuadés tous les deux que François Hollande ne sera pas candidat. Trop bas dans les sondages, trop affaibli politiquement, estiment-ils. Ils se préparent déjà, expliquent-ils, à affronter Manuel Valls en janvier. On verra dans quelques semaines si leur prédiction est juste. Au cours de sa vie politique, François Hollande a souvent été enterré trop tôt par ses concurrents ou ses adversaires et il a souvent fini par l’emporter malgré tout. A suivre donc…
Enfin, beaucoup de socialistes estiment que si François Hollande devait ne pas se représenter, d’autres personnalités, en plus de Manuel Valls, seraient candidates : Ségolène Royal par exemple, qui a été candidate à la présidentielle en 2007 et à la primaire de 2011, mais aussi Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l’éducation nationale, qui pourrait décider de se présenter à la primaire pour prendre date pour la suite, comme on dit.