Le siècle des villes… et de la connectivité
Le siècle des villes… et de la connectivité
Par Francis Pisani
Nous devons à un ancien maire de Denver (Colorado) une des formules les plus percutantes sur l’importance croissante de l’urbanisation. Pour Wellington Webb, « le XIXe a été le siècle des empires, le XXe celui des Etats nations. Le XXIe siècle sera celui des villes ». Analyse forte. Mais insuffisante.
Nous ne pouvons pas nous contenter de la ritournelle selon laquelle notre siècle serait celui des villes. Premier point, la logique est discutable. Les empires ont dominé le XIXe siècle (le britannique et le français, en particulier) et les États nations le XXe (ceux d’Europe, puis du monde postcolonial). Mais cela ne veut pas nécessairement dire que les villes domineront le monde de demain. Elles doivent encore démontrer qu’elles en ont la capacité. L’urbanisation est un des phénomènes les plus marquants de ce début de siècle. Cela n’entraîne pas automatiquement que les villes deviennent les premiers agents de la dynamique mondiale. Elles doivent s’employer à démontrer qu’elles en sont capables.
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Elles devront affronter les mégapuissances impériales qu’ont été, sont ou pourraient devenir les Etats-Unis, la Russie ou la Chine. Les organisations transnationales en réseau sont également candidates ainsi que les grands courants religieux. De ceux qui défendent une Europe uniquement chrétienne aux musulmans chiites et sunnites qui s’étripent à plaisir. Sans oublier les bouddhistes qui se sont mis, un comble, à tuer les pratiquants d’autres religions (au Myanmar par exemple).
Un autre style de relations
Mais le véritable intérêt de la formule séduisante de Wellington Webb, l’ancien maire de Denver (Colorado), n’est peut-être pas là. Le déplacement du type de territoire qui compte le plus n’est intéressant que s’il entraîne un autre style de relations entre les entités les plus dynamiques.
Vu sous la question des relations dominantes, le XIXe aura été celui des conquêtes violentes, moins entre empires (qui préféraient s’affronter indirectement) qu’entre ceux-ci et les pays qu’ils soumettaient. Quelques beaux discours. Beaucoup de morts et de destructions.
Le XXe restera, par contre, celui des affrontements directs des Etats nations et des idéologies. Les morts se comptent par dizaine de millions. On invente les camps de concentration et le goulag. On n’en finit pas de détruire et d’asservir, de vouloir éliminer l’autre ou le réduire à presque rien.
Alors que peut nous apporter le XXIe siècle ? Il serait pire encore que celui dont nous sortons à peine s’il devait être celui des religions rivales, des identités jalouses, qu’il s’agisse de la version Daech ou de celle de Thomas Mair, accusé de l’assassinat de Jo Cox, la députée travailliste, à la veille du vote sur le « Brexit ».
Le siècle des smartphones
Alors autant qu’il soit celui des villes. Elles sont moins puissantes que les empires, moins identitaires que les Etats nations, suffisamment éloignées les unes des autres pour que les jalousies ne se transforment que rarement en affrontements violents. Et elles prennent de l’importance à une époque où les rivalités se règlent moins par la destruction ou la conquête que par la rivalité et la compétition.
Elles bénéficient d’un nouveau tissu d’infrastructures sur lequel murs et frontières sont moins utiles qu’échanges et connexions. Ce que montre magistralement Parag Khanna dans son livre Connectography.
Osons donc modifier la formule de Webb : le XIXe siècle a été celui des bateaux et des trains, des empires et de leurs conquêtes, le XXe celui des avions et des conteneurs, des Etats nations et de leurs guerres. Le XXIe pourrait être celui des lignes à haut débit et des smartphones, des villes et de leur connectivité. N’oublions pas qu’il ne s’agit pour le moment que d’un souhait. Réalisable si nous en comprenons bien l’enjeu et nous y mettons sérieusement.