Coup d’Etat ? Baroud d’honneur ? La situation demeurait confuse à Tripoli, samedi 15 octobre, quelques heures après une tentative de prise du pouvoir par l’ancien premier ministre Khalifa Al-Ghowel et ses partisans.

Ex-chef du gouvernement issu du bloc politico-militaire de Fajr Libya (Aube de la Libye), proche des factions islamistes, M. Al-Ghowel n’avait plus été vu en public depuis l’arrivée dans la capitale libyenne le 30 mars de Faïez Sarraj, chef du gouvernement d’union nationale, issu d’un accord politique signé à Shkirat au Maroc, à la fin de 2015, et activement soutenu par les Nations unies et les capitales occidentales.

Le gouvernement Al-Ghowel, non reconnu par la communauté internationale, n’avait opposé aucune résistance à la prise de fonction de M. Sarraj, qui avait alors bénéficié de la neutralité bienveillante des principales milices de Tripoli. Mais il avait mulitiplié les déclarations condamnant l’arrivée de M. Sarraj comme « illégale ».

« Coup d’Etat sérieux » ou simple « bluff »

Samedi matin, M. Al-Ghowel a fait son apparition au cœur du complexe Rixos, où siégeait l’ex-Congrès général national (CGN) qui l’avait nommé à la tête de l’exécutif. Il a lu un communiqué demandant à ses anciens ministres de « reprendre leurs fonctions » et « suspendant » dès lors les ministres travaillant actuellement sous l’autorité de M. Sarraj.

Sa tentative de retour est le premier défi lancé à M. Sarraj au cœur même de Tripoli, où le gouvernement d’union nationale avait établi son autorité fragile mais non encore ouvertement contestée. Le représentant spécial des Nations unies pour la Libye, Martin Kobler, a aussitôt « condamné » l’initiative de M. Al-Ghowel, réaffirmant le soutien des Nations unies à l’autorité de Faïez Sarraj.

La question est de savoir quels seraient les groupes armés susceptibles de soutenir M. Al-Ghowel et donc de s’affronter avec les brigades pro-Sarraj. La réponse à cette interrogation conditionnera la situation sécuritaire de la capitale, qui s’est déjà notablement dégradée ces dernières semaines. Samedi, les rues de Tripoli étaient calmes. « Pour l’instant, tout est tranquille, il n’y a pas encore de réaction, témoigne un Tripolitain joint au téléphone. Il n’est pas encore clair s’il s’agit d’un coup d’Etat sérieux ou juste d’un bluff. »

Dans une apparente tentative de fédérer les oppositions à Sarraj, M. Al-Ghowel a lancé un appel au gouvernement d’Abdullah Al-Tuni siégeant à Bayda (Est) et adossé au Parlement de Tobrouk. Ce troisième gouvernement, rival de celui de M. Sarraj, est soutenu par le général Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est libyen.

La main tendue d’Al-Ghowel à Al-Thini est paradoxale puisque les deux camps s’étaient violemment affrontés au point de faire basculer la Libye dans la guerre civile durant l’été 2014. Le bloc Fajr Libya se réclamait des idéaux de la révolution anti-Kadhafi de 2011 et comptait dans ses rangs de nombreuses forces islamistes.

A l’inverse, le camp de Bayda-Tobrouk rassemblait autour de son chef de guerre Haftar des forces anti-islamistes, soutenues par l’Egypte et les Emirats arabes unis (EAU). La réconciliation entre les rivaux d’hier et peu probable, mais les velléités de forger un front uni contre Sarraj sont révélatrices de la fragilisation de l’autorité de ce dernier.

Le pouvoir de M. Sarraj avait déjà essuyé un cuisant revers les 12 et 13 septembre avec la conquête du Croissant pétrolier, principale plate-forme d’exportation du pétrole libyen (autour de 60 % de brut vendu à l’étranger), par le général Haftar qui se refuse à reconnaître la légitimité du gouvernement d’union nationale.