Le Brexit relance les rêves d’indépendance des nationalistes écossais
Le Brexit relance les rêves d’indépendance des nationalistes écossais
Par Philippe Bernard (Glasgow, envoyé spécial)
Après le Brexit, la première ministre, Nicola Sturgeon, croit « plus fort que jamais » en l’indépendance de son pays.
La première ministre écossaire, Nicola Sturgeon, qui n’a « jamais douté » que son « pays » deviendrait un jour indépendant, y croit encore plus depuis le vote sur le Brexit. | ANDY BUCHANAN / AFP
Les nationalistes écossais n’en doutent pas : le Brexit leur offre une aubaine inespérée pour organiser un nouveau référendum sur l’indépendance, après celui de 2014 qu’ils ont perdu avec les honneurs (44,70 % de « oui »). Depuis trente ans qu’elle milite au Parti national écossais (SNP), Nicola Sturgeon, 46 ans, première ministre du gouvernement d’Edimbourg, n’a « jamais douté » que son « pays » deviendrait un jour indépendant. Mais depuis que les Britanniques ont choisi le divorce avec l’Union européenne alors que 62 % des Ecossais l’ont refusé, elle y croit « plus fort que jamais », a-t-elle affirmé dans son discours de clôture du congrès du SNP, samedi 15 octobre.
Trois jours durant, plusieurs milliers de militants de ce parti en pleine expansion réunis à Glasgow ont communié dans cette certitude excitante : le Brexit relance leur rêve. Applaudie à tout rompre, Mme Sturgeon, tailleur fuchsia et détermination de fer, l’a expliqué : le Brexit inverse la logique qui avait abouti au vote négatif de 2014. A l’époque, « certains ont voté contre l’indépendance en pensant que rester dans le Royaume-Uni garantissait une plus grande sécurité économique, une voix plus forte dans le monde et le maintien dans l’UE ». Mais « l’avenir apparaît très différent aujourd’hui », a-t-elle constaté. Le Brexit anéantit en effet l’argument européen : aujourd’hui, seule l’indépendance peut permettre de rester dans l’UE. Quant à la sécurité économique, il n’est plus du tout certain qu’elle soit du côté de Londres, à l’heure où la livre sterling plonge et où les investisseurs se détournent. « Ce sont les opposants à l’indépendance, (…) ceux qui préparent un hard Brexit [sortie du marché unique européen] qui provoquent l’insécurité et l’incertitude », a eu beau jeu d’affirmer Mme Sturgeon. Comme si c’était le maintien dans le Royaume-Uni et non le grand saut dans l’indépendance qui, désormais, devait nourrir l’inquiétude.
Nicola Sturgeon fait monter la pression avec Londres
Prudente, la patronne du SNP, n’a donné aucune date pour un éventuel nouveau référendum sur l’indépendance. Elle a seulement fait monter la pression avec Londres et flatté ses militants en annonçant le dépôt, dès la semaine prochaine, d’un projet de loi destiné à organiser une telle consultation. Pour l’heure, elle va lutter, dit-elle, pour éviter le « hard Brexit » qui coûterait selon elle 80 000 emplois à l’Ecosse et exiger de nouveaux pouvoirs « afin de maintenir l’Ecosse dans le marché unique même si le Royaume-Uni le quitte ». Elle va aussi intensifier l’offensive de charme des Ecossais sur le continent en ouvrant à Berlin une représentation commerciale permanente du gouvernement qu’elle dirige.
Mais si Londres persiste sur la voie du « hard Brexit » « qui pénalise notre économie et compromet notre réputation de pays ouvert, accueillant et mélangé », alors « l’Ecosse devra se donner la possibilité d’opter pour un avenir meilleur », a lancé Mme Sturgeon, en un défi direct à Theresa May. La veille, la première ministre britannique avait fait dire sèchement par son porte-parole que le référendum de 2014 avait réglé la question de l’indépendance écossaise « pour une génération ».
Dans les nombreux débats sur l’Europe organisés en marge du congrès, les militants ne s’embarrassaient pas d’autant de diplomatie que leur chef. Ils discutaient déjà de la date la plus propice pour le nouveau référendum. Certainement avant le Brexit effectif, autrement dit à la fin de 2018 ou au début de 2019, conseillait une juriste. Cela permettrait selon elle de négocier pour obtenir un maintien dans l’UE en cas d’indépendance, au lieu d’avoir à poser une nouvelle candidature. Les congressistes se sont ainsi beaucoup intéressés au cas du Groenland, qui a quitté l’UE alors que le Danemark auquel il appartient y est demeuré. L’intérêt pour une UE contestée à encourager l’europhilie des Ecossais a aussi été mis en avant. « Aidez l’Ecosse pour aider l’Europe !, a ainsi proclamé le franco-écossais Christian Allard, ancien député SNP. Nous pouvons être une clé pour l’avenir de l’Europe ».
« Le Brexit rend l’indépendance inévitable »
« Nous sommes le pays de la vieille alliance avec l’Europe », a appuyé Michael Russell, ministre « chargé des négociations avec le Royaume-Uni sur la place de l’Ecosse en Europe », en se référent à la « Auld alliance » médiévale entre les royaumes de France et d’Ecosse. Le congrès a même reçu les encouragements de François Alfonsi, ancien député européen et figure du nationalisme corse ! « Ce vote [des Ecossais] contre le Brexit est historique, s’est-il enthousiasmé lors d’un débat en atelier. Il crée des conditions nouvelles pour l’indépendance écossaise. Vous êtes sur la bonne voie ! ».
A la sortie du vaste auditorium où Nicola Sturgeon vient d’électriser le congrès, Lyne, 46 ans, travailleuse humanitaire et militante SNP depuis 2014, confirme : « le Brexit rend l’indépendance inévitable. Je ne veux aucun mal aux Anglais mais je refuse l’austérité et la xénophobie qu’ils veulent nous imposer ». Certains de ses amis qui avaient voté « non » en 2014 ont changé d’avis « parce qu’ils veulent rester dans la famille européenne », assure-t-elle alors que les sondages ne reflètent pas nettement cette tendance. « Jamais je n’ai été aussi optimiste », s’emballe pour sa part John Thomson. Cet ingénieur à la retraite de 82 ans se présente comme un « salaud de nationaliste depuis 45 ans ». « L’Ecosse doit rester ouverte, amicale et européenne, conclut-il. Il faut que la France nous aide ! ».