Alexandre Jardin bientôt candidat à la présidentielle ?
Alexandre Jardin bientôt candidat à la présidentielle ?
M le magazine du Monde
Les 5 ans de « M le mag ». En décembre 2013, « M » avait rencontré l’écrivain qui exhortait ses compatriotes à s’« enzébrer » — agir par eux-mêmes pour changer la France. Aujourd’hui, il crée la Maison des citoyens, une plateforme de dialogue. Un engagement qui pourrait bientôt prendre une autre forme.
Alexandre Jardin, en décembre 2013. | Maciek Pozoga pour M le magazine du Monde
Comme d’autres écrivains avant lui, Alexandre Jardin a fait du Wepler son repaire. À la brasserie de la place de Clichy, à Paris, Henry Miller venait retrouver « les visages des serveurs, des directeurs, des caissières, des putains, des habitués… » Lui y vient pour changer le monde. Tee-shirt blanc, pull camionneur et chaussures d’ado, le jeune quinqua est attablé devant un plateau d’huîtres et travaille.
Dans ce même café, le 8 septembre, il a appelé à la création d’une plateforme déclinée localement, La Maison des citoyens, pour réunir ceux qui ne se sentent plus représentés politiquement. « On va compter les gens qui ne comptent plus », aime-t-il répéter. Il lève sa tête ébouriffée de son ordinateur : « Ça marche tout seul, on est débordés. Plus de cent Maisons se sont déjà créées sur Facebook. Je leur envoie un dernier mail. »
Le 8 septembre, lors de la création des Maison des citoyens :
Paris - 8 septembre 2016 : Les valeurs de la Maison
Durée : 02:13
Il y a trois ans, M Le magazine du Monde avait rencontré Alexandre Jardin, musardant du côté des écrivains engagés, exhortant ses compatriotes à s’engager dans l’action citoyenne. Depuis, il poursuit dans la même veine flairant, à l’approche de la présidentielle de 2017, un paradoxe : beaucoup de Français s’apprêtent à bouder l’isoloir, et, en même temps, s’impliquent dans la vie de la cité. Les Maisons repèrent les bonnes volontés du cru, les initiatives efficaces.
« Les partis auront leur programme, nous aurons nos actions », lance l’écrivain. Pour cela, elles s’inspirent de son autre mouvement, créé en 2014 avec l’écrivain Guillaume Villemot, Bleu Blanc Zèbre. La structure réunit des « faizeux », comme il les appelle, soit 300 associations, entreprises, mairies ou autre, qui apportent des solutions aux problèmes d’emploi, d’illettrisme, d’environnement…
Un programme un peu flou
Pour « les Zèbres », Alexandre Jardin sillonne la France depuis trois ans. De quoi saisir l’humeur d’un pays. En décembre, fin du recensement géant. « Si nous sommes très nombreux, annonce-t-il sans être plus précis, nous créerons un parti et les gens de La Maison choisiront un candidat. Sinon, nous formerons un énorme lobby pour les territoires et les “faizeux”. » Que demandera ce groupe de pression ? Un peu tôt pour le dire. Un peu flou aussi. Autant le romancier déborde d’histoires de « faizeux » en tout genre, autant il reste souvent vague, confus même, sur le contenu de ces projets.
Un mois après son lancement, sa Maison ne comptait que 26 000 compères. Mais Guillaume Villemot ne doute pas du succès : « Il a une force d’entraînement hallucinante. » Secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger s’est aussi laissé séduire par le personnage. « Alexandre, c’est un gars qui aime les gens, qui cultive la bienveillance. J’adhère à 100 % à sa mise en avant des initiatives citoyennes. Il montre que la démocratie ne se résume pas au vote. » En revanche, l’hypothèse que le mouvement présente un candidat le laisse dubitatif : « Il risque de tomber dans le piège qu’il dénonce. » Celui de la politique politicienne.
En avril déjà, il avait rejoint une primaire citoyenne, La Primaire des Français, avec Corinne Lepage (Cap 21-LRC), Jean-Marie Cavada (Générations citoyens), etc. En mai, il s’est éclipsé. « Parce que ça ne marchait pas », argue-t-il. Et que « son moteur à lui, c’est lui », soutient Corinne Lepage, qui le trouve « très talentueux », mais lui en veut « d’avoir filé sans prévenir ».
Objectif : sauver la France de l’extrême droite
En juin, il a lancé un appel dans L’Express pour inviter des politiques tels Jean-Louis Borloo, Emmanuel Macron, Daniel Cohn-Bendit ou Nicolas Hulot, à fomenter « une révolution par les territoires ». Il a fait un bide. En juillet, au meeting d’Emmanuel Macron à la Mutualité, à Paris, il a occupé longuement la scène. « Pas pour le soutenir », affirme-t-il, déçu par l’ex-ministre et ses opérations de communication, mais pour lui proposer, de nouveau, de le rejoindre, lui et ses « faizeux ». Re-bide.
L’écrivain ne recule devant aucun échec car il a une mission. Il doit sauver la France de l’extrême droite. Une obsession venue de l’état du pays, mais aussi « d’une zone très trouble où il s’agit de racheter l’honneur perdu de sa famille », analyse Jean-Paul Enthoven, son éditeur chez Grasset.
L’histoire est désormais connue : son grand-père, Jean Jardin, était directeur de cabinet du collaborateur Pierre Laval à Vichy. Le petit-fils se sent coupable par héritage. Cela ne l’empêche pas d’écrire des histoires d’amour, qui se finissent et se vendent bien. Dernière en date : Les Nouveaux Amants, publié le 12 octobre, 50 000 exemplaires attendus par Grasset. Mais cela renforce son action militante. « Le truc qui me rend fou, explique-t-il, c’est la question de la préférence nationale vantée par le FN, pour l’emploi ou les HLM. Ce sont des logiques de nettoyage ethnique qui ne disent pas leur nom. Vous vous rendez compte si la mécanique du tri revenait et qu’on n’ait rien fait ? »
Jusqu’où ira sa colère ? En 2007, il a voté Nicolas Sarkozy – « J’en suis consterné. » En 2012, blanc. En 2017, ce fan du grand Charles sera-t-il le candidat de la société civile ? « On en a parlé, répond son éditeur. Oui, il peut aller jusqu’à cette sottise-là. C’est un homme qui, quoi qu’il fasse, le fait avec excès et c’est pour ça qu’on l’aime. » Le romancier en a parlé avec ses cinq enfants aussi. « L’autre jour, confie-t-il, ma fille de 11 ans m’a demandé : “Dis papa, tu veux pas être président ?” D’un point de vue familial, c’est compliqué. » Sans doute, mais qu’a-t-il répondu ? Le sourire s’envole. Silence. « Je lui ai dit, on ne laissera pas “la blonde” gagner. » Son visage se fige. Alexandre Jardin, perplexe, se tait de nouveau. Un phénomène rare. Au Wepler, l’heure est grave.