A Luxembourg, l’Europe sanctionne des officiels syriens, pas la Russie
A Luxembourg, l’Europe sanctionne des officiels syriens, pas la Russie
Par Jean-Pierre Stroobants (Luxembourg, Envoyé spécial)
Les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne, réunis lundi, estiment que « le fait de viser délibérément » des hôpitaux, des écoles et des infrastructures essentielles pourrait « équivaloir à des crimes de guerre ».
En désaccord sur d’éventuelles sanctions contre la Russie pour son rôle dans les bombardements meurtriers d’Alep, les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne, réunis à Luxembourg, lundi 17 octobre, ont, en revanche, approuvé le principe de nouvelles mesures restrictives contre « des individus et des entités » qui soutiennent le régime de Bachar Al-Assad. Avec le faible espoir - faute de conviction - qu’une telle mesure servira à quelque chose.
La liste des personnes visées doit être établie dans les prochaines semaines. Jusqu’ici, 208 membres du régime et 69 entités étaient déjà visés, les relations avec la Banque centrale de Syrie suspendues et un embargo sur les armes et le pétrole, décrété. L’efficacité de ces mesures doit toujours être évaluée.
Divergences
Avant même le début de la réunion, on avait pu mesurer l’ampleur des divergences entre les ministres quant au ton à adopter face à Moscou. Le Britannique Boris Johnson décrivait le régime de Bachar Al-Assad, comme « la marionnette de la Russie » et exigeait un retour rapide à la voie de la négociation. Le Français Jean-Marc Ayrault se demandait si la logique russe de destruction allait conduire à un nouveau Grozny, la capitale de la Tchétchénie, dévastée par l’armée russe en 1999-2000.
Le ministre français évoquait aussi la nécessité d’augmenter la pression sur Damas « mais aussi ses alliés », sans toutefois évoquer clairement l’hypothèse de sanctions contre Moscou. Contrairement à certains de ses collègues d’Europe centrale et orientale qui réclamaient la plus grande fermeté.
L’Allemand Frank-Walter Steinmeier se disait quant à lui « sceptique », contredisant en partie ce qui semblait être la position de la chancelière Angela Merkel. Et le socialiste luxembourgeois Jean Asselborn évoquait des mesures qui seraient « contre-productives » et soulignait qu’en toute hypothèse il n’existait de toute façon aucun consensus entre les Vingt-Huit sur la marche à suivre.
Demande de l’arrêt des bombardements d’Alep
Un diagnostic rapidement confirmé : les discussions n’ont pas évoqué les sanctions mais buté sur la manière de qualifier l’attitude de la Russie. Ainsi que sur les contacts que la haute représentante européenne, Federica Mogherini, devrait entretenir, ou non, avec le régime d’Al-Assad. Un groupe de pays (la Grèce, la Hongrie, Chypre…) s’opposant à l’idée qu’un communiqué final évoque l’hypothèse d’une rupture totale de ces contacts.
Depuis 2015, le discours officiel de Mme Mogherini consistait à dire qu’il fallait promouvoir « une démarche inclusive » pour rassembler « tous les acteurs », dont des membres du régime dans les discussions sur l’avenir du pays.
Finalement, les Vingt-Huit ont approuvé un long texte qui demande l’arrêt des bombardements d’Alep – Mme Mogherini a au moins pu juger « positive » la décision de Moscou de les suspendre durant huit heures, jeudi – et un accès humanitaire pour soulager la population.
Le scénario d’une chute d’Alep au lendemain de la présidentielle américaine
La déclaration finale dit aussi que « le fait de viser délibérément des hôpitaux, le personnel médical, des écoles et des infrastructures essentielles, ainsi que l’utilisation de barils d’explosif, de bombes à fragmentation et d’armes chimiques, pourraient équivaloir à des crimes de guerre ».
Le communiqué exige enfin « la création des conditions en vue d’une transition politique crédible et inclusive ». Avec l’espoir, aussi, d’un rôle actif de l’Union pour la résolution du conflit. Des propos maintes fois répétés alors que c’est un constat « glaçant », selon la formule du ministre belge Didier Reynders, qui a, en réalité, été dressé : l’action diplomatique touche peut-être à ses limites face à la catastrophe humanitaire et à la volonté de Damas et de ses alliés de changer radicalement la donne sur le terrain.
La grande crainte des Occidentaux étant que leur but soit de faire à tout prix tomber la ville, ce qui pourrait n’être qu’une question de semaines, selon Staffan de Mistura, l’envoyé spécial des Nations unies, présent à la réunion de Luxembourg. Des officiels européens dressent même le scénario d’une chute d’Alep au lendemain de la présidentielle américaine, ce qui représenterait le premier défi majeur pour celle, ou celui, qui succédera à Barack Obama.