De Thomas More à Michel Foucault, la longue histoire du revenu universel
De Thomas More à Michel Foucault, la longue histoire du revenu universel
Par Patrick Roger
Née au XVIe siècle, l’idée d’un revenu pour tous a été régulièrement reprise par des chercheurs et des universitaires.
Billets de dix euros. | JOEL SAGET / AFP
L’idée d’une allocation universelle a une longue histoire. On peut en situer l’origine au XVIe siècle, dans le mouvement humaniste de la Renaissance. Ainsi, dans L’Utopie, publié en 1516, Thomas More imagine une île où chacun serait assuré des moyens de sa subsistance sans avoir à dépendre de son travail.
Dans La Justice agraire (1797), l’Anglais Thomas Paine, intellectuel engagé dans les révolutions américaine et française, défend l’idée d’un fonds alimenté par les propriétaires terriens permettant de verser à chaque individu un revenu minimum à sa majorité. Les socialistes utopiques du XIXe siècle, comme le juriste belge Joseph Charlier, proche de Charles Fourier, fondateur de l’Ecole sociétaire, s’en inspirent pour défendre l’idée d’un « dividende territorial ».
Au XXe siècle, cette idée d’un revenu de base comme instrument de justice sociale a été reprise, notamment, par le philosophe britannique Bertrand Russell dans Roads to Freedom (1918) ou par John Rawls. Dans sa Théorie de la justice (1971), le philosophe américain, qui plaide pour l’« égalité réelle des chances », estime qu’il revient au gouvernement de garantir un « revenu social minimum ». D’autres auteurs, comme l’économiste américain Robert Theobald, dans les années 1960, considérant que l’objectif du plein-emploi n’est plus atteignable et que l’automatisation des tâches productives a vocation à éliminer l’emploi salarié, estime qu’un revenu de base distribué par l’Etat doit se substituer aux revenus du travail.
L’idée du revenu de base trouve ses plus ardents partisans chez des économistes libéraux, au premier rang Milton Friedman, le fondateur de l’Ecole de Chicago. Il développe ainsi la théorie du revenu permanent. Dans Capitalisme et liberté (1962), il expose son programme de « combat contre la pauvreté » qui, « tout en fonctionnant par l’entremise du marché, ne devrait ni fausser celui-ci ni entraver son fonctionnement ». Ses travaux le conduisent à proposer un revenu minimum sous forme d’un crédit d’impôt universel, baptisé « impôt négatif » (negative income tax).
Se libérer du contrôle social
En France, plusieurs mouvements ont repris à leur compte l’idée d’un revenu d’existence. Le philosophe André Gorz, un des principaux théoriciens de l’écologie politique et de la décroissance, plaide pour un « revenu d’autonomie » qu’il conçoit comme un moyen de s’affranchir de l’aliénation du travail. Pour Michel Foucault, ce revenu versé inconditionnellement permettrait de se libérer du contrôle social étatique et aliénant attaché à la vérification des droits sociaux.
De nombreux chercheurs et universitaires ont relancé, ces dernières décennies, les travaux sur le revenu universel. Les économistes français Yoland Bresson et Henri Guitton ont fondé, en 1985, l’Association pour l’instauration d’un revenu d’existence. Yoland Bresson a également constitué, avec le philosophe néerlandais Philippe Van Parijs, le Basic Income European Network, un réseau européen, puis mondial, de chercheurs sur ce sujet. Le Mouvement français pour le revenu de base, créé en mars 2013, revendique aujourd’hui plus de huit cents militants et une cinquantaine de groupes locaux. L’utopie gagne du terrain.