Agnes Obel : « Je voulais une étrangeté en phase avec le climat inquiétant de l’époque »
Agnes Obel : « Je voulais une étrangeté en phase avec le climat inquiétant de l’époque »
M le magazine du Monde
La pianiste et chanteuse danoise à la voix cristalline revient avec l’album « Citizen of Glass », dans lequel elle questionne l’intrusion des réseaux sociaux dans l’intimité.
« Citizen of Glass » est le troisième album d’Agnes Obel après « Philarmonics », en 2010, et « Aventine », en 2013. | Alex Brüel Flagstad
« L’idée de Citizen of Glass (citoyen de verre) m’est venue pendant la tournée de l’album précédent, Aventine (2013). C’était peu de temps après les révélations d’Edward Snowden sur les agissements de la NSA, et je lisais de nombreux articles sur la surveillance de masse, particulièrement dans la presse allemande. Ce pays paraît plus sensible que d’autres à ce problème, sans doute à cause de son histoire. Une expression allemande désigne d’ailleurs métaphoriquement ce phénomène : “Gläserner Mensch”, c’est-à-dire l’homme, le citoyen de verre. Ce terme exprime le degré d’intimité qu’un individu peut encore avoir face à l’État, à la police, au monde médical… S’il est fait de verre, c’est qu’il est transparent, que nous savons tout de lui. Je m’identifiais à cette sensation, un sentiment qui pourrait être partagé par beaucoup d’autres que moi. De nombreuses idées de textes et de musiques sont nées de là.
Nous vivons une époque où les gens sont sans arrêt poussés à dévoiler une partie de leur vie privée sur les réseaux sociaux.
Ces données personnelles peuvent être exposées involontairement avant d’être exploitées par des États ou de grands groupes, mais nous mettons aussi de plus en plus souvent notre vie en scène. Tout le monde aujourd’hui peut avoir un public, ce qui était jusque-là le privilège des artistes.
J’utilise peu les réseaux sociaux, même si je trouve intéressant de communiquer sans intermédiaire avec son public. Je reste discrète sur ma vie privée, tout en livrant beaucoup de moi-même dans mes chansons. Je ne l’ai compris qu’au moment de la sortie de mon premier disque. Je suis partagée entre la volonté de produire une musique qui ait du sens, qui soit personnelle et honnête, et la crainte d’utiliser les gens que j’aime et des événements parfois dramatiques au profit de ma musique.
Ce thème de la transparence me plaisait aussi esthétiquement. Dans mes précédents albums, j’ai souvent fait référence à la fluidité, à la pureté enveloppante et réfléchissante de l’eau. Mon goût des voix et des sons cristallins convenait aussi à ce thème du “citoyen de verre”. Mais je ne voulais pas me contenter de faire un “joli disque de piano”. J’ai donc utilisé d’autres claviers, comme le célesta, avec ses sons de cloches de verre, le Mellotron, l’épinette, un piano préparé… On trouve aussi du trautonium, un synthétiseur allemand des années 1920, fait de lames métalliques, qui produit des sons inquiétants. Oskar Sala avait utilisé cet instrument pour composer la bande-son des Oiseaux, mon film d’Hitchcock préféré. Je voulais aussi que la beauté cristalline de la musique soit habitée d’une étrangeté en phase avec le climat inquiétant de l’époque. »
« Familiar », un titre de « Citizen of Glass », dans les bacs le 21 octobre 2016
Agnes Obel - Familiar (Official Video)
Durée : 04:26
Citizen of Glass, d’Agnes Obel, 1 CD PIAS. En tournée fin novembre. www.agnesobel.com