« Ce n’est pas banal de voir des policiers, bras armé de l’Etat, défier l’autorité politique »
« Ce n’est pas banal de voir des policiers, bras armé de l’Etat, défier l’autorité politique »
Propos recueillis par Jérémie Lamothe
Depuis plusieurs nuits, des policiers manifestent dans toute la France pour exprimer leur malaise. Le sociologue Sébastian Roché revient sur cette colère qui ne faiblit pas.
Manifestation de policiers à Lyon, le 20 octobre. | Laurent Cipriani / AP
La colère ne retombe pas. Depuis l’agression de quatre fonctionnaires, le 8 octobre à Viry-Châtillon (Essonne), les manifestations nocturnes de policiers, rassemblant jusqu’à plusieurs centaines de personnes, se sont multipliées à Paris, Lyon, Marseille ou encore Toulouse et Montpellier.
Signe particulier de ce mouvement : il n’a pas été organisé, au départ, par des syndicats, même si ceux-ci appellent désormais à des « rassemblements silencieux dans les palais de justice » tous les mardis à 13 heures et à une « Marche de la colère » le 26 octobre.
Le sociologue Sébastian Roché, enseignant à l’Institut d’études politiques de Grenoble et auteur du livre De la police en démocratie (Grasset, à paraître le 2 novembre), revient sur le malaise policier.
Peut-on dire que ces manifestations ont lieu en dehors de toute action syndicale organisée ?
J’ai effectivement l’impression que dans ce mouvement, les syndicats ne sont vraiment pas à la manœuvre. La forme de ces manifestations, qui ont lieu en soirée ou dans la nuit, avec des gens cagoulés ou masqués, ne correspond pas à celle de manifestations syndicales classiques. Ça ressemble plus à l’action d’agents autonomes.
Je me souviens qu’à la fin du mandat de Lionel Jospin, au début des années 2000, il y avait eu des manifestations très importantes, sur le vote de la loi de la présomption d’innocence, qui n’étaient pas organisées. Mais ce n’est pas quelque chose de commun.
Les policiers sont cependant l’un des corps les plus syndiqués de la fonction publique [49 % contre 20 % pour l’ensemble des fonctionnaires]. Si vraiment ils estiment que les syndicats ne les représentent pas, ils peuvent rendre leur carte. Là, ils protestent tout en étant toujours syndiqués. Une clarification pourrait être utile.
Quelles sont leurs principales revendications ?
La contestation porte notamment sur les conditions de travail, surtout dans les banlieues difficiles, où la violence contre les policiers est une réalité. Il y a des problèmes structurels et des événements qui placent les policiers en porte-à-faux, notamment depuis les nouvelles formes de protestations telles que Nuit debout ou les Zones à défendre (ZAD), à Sivens et à Notre-Dame-des-Landes.
Sur le terrain, les agents doivent faire face à ces nouvelles formes d’action, mais il y a un problème de gestion et de vision de la direction. Il ne faut pas juste envoyer les gars dans la rue mais s’interroger sur les missions de la police, ses moyens d’action, son rôle. Et ça, c’est à la hiérarchie de trancher.
L’autre élément, c’est que les policiers sont confrontés à un réel désamour de la société. Mais face à cela, les policiers ne se remettent pas en cause. Si ça ne va pas, c’est la faute des politiques, des syndicats, de la justice… Ils ne se disent pas : « Et nous, quelle est notre part de responsabilité ? » Mais comment se fait-il qu’ils soient mal aimés ? Où est la réflexion des syndicats là dessus ?
Manifestation de policiers à Marseille, le 20 octobre. | Claude Paris / AP
Les policiers en grève évoquent également des problèmes d’effectifs.
Oui, le manque d’effectifs est une revendication classique mais qui ne dit pas grand-chose de la réalité. Si on compare à d’autres pays, la France est bien fournie. Il y a en revanche un problème de répartition sur le territoire et dans les services et de gestion du personnel.
Et les recrutements qui sont en cours actuellement ne se traduiront pas immédiatement par des hommes sur le terrain [selon le ministère de l’intérieur, 6 500 emplois ont été créés depuis 2012. Et 2 500 le seront d’ici 2017]. Réduire le problème de la police à des questions d’effectifs, comme le font certains candidats à droite, c’est jeter de l’huile sur le feu.
Depuis le début du mouvement, on sent une vraie méfiance des policiers envers leur hiérarchie et envers le gouvernement.
Par ces manifestations, les policiers défient l’exécutif, et c’est d’ailleurs assez inquiétant. Ils demandent davantage de lois, de sévérité de la part du système judiciaire. Mais pour eux, ils renversent le discours. La loi ne permet pas qu’ils fassent grève mais ils ne la respectent pas. Ils ont un double discours, rigoureux pour les autres mais pas pour eux.
De la part de policiers qui sont censés incarner la loi et l’autorité, ça peut paraître surprenant. Ce n’est pas banal de voir des policiers, bras armé de l’Etat, défier l’autorité politique.
Le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, a accusé le Front national d’être à la manœuvre derrière ce mouvement. Est-ce crédible ?
C’est vrai qu’il y a une sensibilité de droite, voire du FN chez les policiers, il y a des liens. Mais je ne vois pas de preuve que le FN soit derrière tout ça, j’ai un peu de mal à l’imaginer.
Et si les policiers agissent à six mois de la présidentielle, ce n’est sûrement pas un hasard. Il y a un malaise structurel et des éléments conjoncturels et politiques qui peuvent donc expliquer ce mouvement.
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