La CPI « préfère de toute évidence viser des dirigeants en Afrique, et exclure les autres qui sont connus pour avoir commis ces atrocités ailleurs », a dénoncé le ministre sud-africain de la justice, Michael Masutha, lors d’un point presse convoqué, vendredi, | GIANLUIGI GUERCIA / AFP

Ce n’est pas une surprise, mais le choc n’en reste pas moins rude pour la justice internationale. L’Afrique du Sud a confirmé, vendredi 21 octobre, qu’elle avait officiellement enclenché la procédure pour se retirer de la Cour pénale internationale (CPI).

Hasard de calendrier à la symbolique gênante, Pretoria a confirmé sa décision trois jours après que le président burundais, Pierre Nkurunziza, accusé de graves violations des droits humains, a promulgué une loi prévoyant la dénonciation du traité de Rome, fondateur de la CPI. Jamais aucun pays dans le monde n’a encore quitté cette institution judiciaire, entrée en fonction en 2003.

Même si l’issue et le calendrier de ce long processus demeurent incertains en Afrique du Sud en raison d’une vive opposition dans le pays, cette décision de la première puissance africaine marque une volonté forte. Celle d’accroître son influence au sein du continent en se faisant le porte-voix de nombreux pays critiquant l’ingérence et la politique « deux poids deux mesures » de la CPI. Parallèlement, ce choix indique un rapprochement avec des pays tels que la Chine et la Russie, hérauts d’un rééquilibrage global face à la domination de l’Occident.

Décision prise en catimini

La CPI « préfère de toute évidence viser des dirigeants en Afrique, et exclure les autres qui sont connus pour avoir commis ces atrocités ailleurs », a dénoncé le ministre sud-africain de la justice, Michael Masutha, lors d’un point presse convoqué, vendredi, à la dernière minute. Des médias avaient révélé quelques heures plus tôt la décision du gouvernement prise en catimini en début de semaine.

L’Afrique du Sud a ainsi adressé, mercredi, une lettre aux Nations unies (ONU) signifiant son retrait qui sera effectif au bout d’un an à compter de la réception de la demande par le secrétaire général de l’ONU.

Par le passé, le président sud-africain, Jacob Zuma, avait déjà dénoncé l’absence de poursuites de la CPI contre les Etats-Unis accusés d’avoir attaqué l’Irak malgré l’absence de preuves d’armes de destruction massive, ou encore contre Israël pour ses crimes commis contre les Palestiniens. Les magistrats de la CPI ont ouvert dix enquêtes dans neuf pays, dont huit africains.

La volonté de Pretoria de sortir du traité de Rome s’est accélérée après la visite controversée, en juin 2015, du président soudanais, Omar el-Béchir, lors d’un sommet de l’Union africaine à Johannesburg. Enfreignant une décision de justice d’un tribunal sud-africain, les autorités avaient alors refusé d’arrêter le dirigeant recherché par la CPI pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre au Darfour. La Cour « entrave l’aptitude de l’Afrique du Sud à honorer ses obligations en matière de respect de l’immunité diplomatique », a justifié vendredi M. Masutha.

« Nouvelles alliances »

« Après les années Mandela et Mbeki, il y a eu une volonté accrue de se focaliser davantage sur les relations commerciales sur le continent et de forger des nouvelles alliances avec certains pays africains », rappelle David Hornsby. Pour ce professeur de relations internationales à l’université du Witwatersrand à Johannesburg, la décision sur la CPI est « le signe d’un alignement de l’Afrique du Sud sur la position de ses partenaires africains ».

La longue bataille menée par Jacob Zuma en 2012 pour faire élire son ex-femme, Nkosazana Dlamini-Zuma à la tête de l’Union africaine, avait été perçue comme une indication de l’affirmation de la puissance sud-africaine sur le continent.

Début octobre, M. Zuma s’est rendu en visite d’Etat au Kenya, une première pour un président sud-africain. Accusés d’être responsables de violences lors des élections de 2007 avant que la CPI ne renonce finalement à les juger, les président et vice-président kényans, respectivement Uhuru Kenyatta et William Ruto, ont ardemment fait campagne contre la Cour avec le soutien de l’Union africaine.

Si l’Afrique du Sud a historiquement toujours prôné la défense des droits humains, elle insiste sur le respect de la souveraineté de chaque pays. Pretoria s’est à plusieurs reprises agacé de l’ingérence de puissances occidentales, comme la France en Côte d’Ivoire en 2010, ou en Libye en 2011. Les présidents sud-africains successifs ont aussi toujours eu une attitude accommodante à l’égard de leur voisin zimbabwéen Robert Mugabe, malgré sa responsabilité dans la répression de l’opposition.

« Culture d’impunité »

« En faisant ce choix du retrait de la CPI, l’Afrique du Sud donne des gages à des puissances dont elle se rapproche depuis quelques années, comme la Russie et la Chine, mais elle risque en même temps de légitimer cette culture d’impunité à l’encontre de chefs d’Etat qui n’ont cure de leurs populations », juge Jo-Ansie van Wyk, spécialiste de la politique étrangère de l’Afrique du Sud à l’université Unisa à Pretoria. Depuis l’arrivée au pouvoir de M. Zuma en 2009, Pretoria a refusé par trois fois d’octroyer un visa au Dalaï-lama.

La décision de Pretoria sur la CPI fait toutefois face à une forte opposition d’organisations de la société civile sud-africaine. Le principal parti d’opposition, l’Alliance démocratique (DA) a également décidé de saisir la justice pour obtenir l’annulation de cette décision qu’elle juge « anticonstitutionnelle et irrationnelle ».

Une action qui pourrait aboutir selon Ottilia Maunganidze, chercheuse à l’Institut d’études de sécurité (ISS) à Pretoria : « le gouvernement a fait le choix d’envoyer sa demande à l’ONU avant de consulter le Parlement, ce qui n’est pas fidèle au processus démocratique habituel ». L’experte estime que cette bataille judiciaire, qui pourrait aller jusqu’à la Cour constitutionnelle, risque de durer « plusieurs mois, voire plusieurs années » et de repousser la date du retrait effectif de l’Afrique du Sud de la CPI.