Sélection albums : Skadedyr, Julien Doré, Agnes Obel…
Sélection albums : Skadedyr, Julien Doré, Agnes Obel…
A écouter cette semaine : du jazz norvégien, de la pop francophone, de la chanson scandinave…
- Skadedyr
Culturen
Pochette de l’album « Culturen », de Skadedyr. | HUBRO/OUTHERE DISTRIBUTION
Mené par la tubiste et bassiste Heida Karine Jóhannesdóttir Mobeck et la claviériste Anja Lauvdal, le groupe Skadedyr réunit quelques-uns des jeunes musiciens et musiciennes les plus en vue de la scène du jazz en Norvège. Dont la chanteuse, ou plutôt vocaliste au phrasé d’une belle fluidité, Ina Sagstuen, l’accordéoniste Ida Løvli Hidle, le trompettiste Torstein Lavik Larsen, les guitaristes Lars Ove Fossheim et Marius Klovning, le bassiste Fredrik Luhr Dietrichson, le batteur Hans Hulbækmo. En tout, douze musiciennes et musiciens, tous actifs dans diverses formations. Au sein de Skadedyr, ils combinent leurs approches respectives, le jazz, le folklore norvégien, l’expérimentation sonore, des traces d’écriture classique, le rock… avec une grande liberté laissée à chacune et à chacun. Ce qui, sur le papier, pourrait donner l’impression de partir dans tous les sens aboutit à une remarquable cohérence d’ensemble. Leur deuxième album, Culturen, le démontre, avec une musique à la fois sophistiquée et d’une grande évidence, fraîche et enjouée, même en étant proche du silence comme à certains endroits dans Trâlertrall. Sylvain Siclier
1 CD Hubro/Outhere Distribution.
- Julien Doré
&
Pochette de l’album « & », de Julien Doré. | COLUMBIA/SONY
Révélé en dandy décalé par l’émission La Nouvelle Star, en 2007, Julien Doré a gagné en épaisseur jusqu’à devenir une personnalité fédératrice de la chanson française. Dans la lignée de Love, son précédent album, ce quatrième opus creuse le sillon d’une pop francophone s’équilibrant entre efficacité et élégance, habileté et profondeur. Tout irait presque pour le mieux si le jeune homme n’abusait pas systématiquement de son timbre plaqué d’or, forçant sa sensualité et son intensité de « lover » jusqu’à un maniérisme mielleux plombant trop de chansons. Stéphane Davet
1 CD Columbia/Sony.
- Agnes Obel
Citizen of Glass
Pochette de l’album « Citizen of Glass », d’Agnes Obel. | PIAS
Le succès surprise de son premier album, Philharmonics (2010), confirmé par la réussite du deuxième, Aventine (2013), a imposé le jeu gracieux d’Agnes Obel, chanteuse et pianiste autant imprégnée des miroitements de Satie et Debussy que de la profondeur mélancolique d’une Joni Mitchell. Sans bouleverser son univers, la Danoise de Berlin y distille un supplément d’étrangeté et une tension inédite. La fluidité de ses mélodies se givre jusqu’à devenir coupante comme le verre évoqué dans le titre de l’album. Traduction d’une expression allemande (« Gläsener Burger ») faisant référence à la surveillance mondialisée et la transparence obligatoire des citoyens de l’ère numérique, ce Citizen of Glass joue de l’ambivalence d’une esthétique cristalline, oscillant entre élégance et anxiété. Le grinçant côtoie le voluptueux, l’intimité d’une musique de chambre est transpercée de sons métalliques et la voix aérienne de la Scandinave dialogue avec d’inquiétants fantômes. Opacifiant la limpidité d’une jolie dose de mystère. Stéphane Davet
1 CD PIAS.
- Stabat Mater de Pergolèse (1710-1736)
Stabat Mater, de Giovanni Battista Pergolesi. Sonata n° 14 en sol mineur, de Francesco Mancini. Concerto grosso n° 1 en fa mineur, de Francesco Durante. Avec Sonya Yoncheva (soprano), Karine Deshayes (contralto), Héloïse Gaillard (flûte à bec)
Ensemble Amarillis, Héloïse Gaillard et Violaine Cochard (direction)
Pochette de l’album « Stabat Mater de Pergolèse », par l’Ensemble Amarillis, Héloïse Gaillard et Violaine Cochard (direction). | SONY CLASSICAL
Enregistré en live le 7 juin 2016 au Théâtre des Champs-Elysées à Paris, ce disque pourrait n’être qu’une énième version du célèbre et ultime chef-d’œuvre de Pergolèse si le choix des solistes ne constituait en soi une prise de position. Car nous assistons ici à la revanche des femmes après des années de (merveilleuses) interprétations plus ou moins éthérées passées au filtre des voix de contreténor. Il n’est plus ici question de spiritualité, mais d’humanité. Une humanité souffrante. Ce n’est plus la Vierge de l’Annonciation qui s’épanche au pied de la croix, mais une mère de douleur dont on a tué l’unique enfant. Confié au somptueux soprano de Sonya Yoncheva, à cette voix dont la pâte s’est considérablement enrichie depuis son passage dans le Jardin des voix de William Christie, ce « divin poème de la douleur » comme l’appelait Bellini, prend ici une connotation terriblement dramatique voire théâtrale. Sa partenaire, la mezzo-soprano Karine Deshayes, ne possède pas vraiment les graves de la partie de contralto, mais cette fine musicienne joue sa partie avec une grande intelligence et tire ses marrons du feu « yonchevien ». A la tête de leur ensemble Amarillis, Héloïse Gaillard et Violaine Cochard ont opté pour une ligne dure, presque virile. Basses appuyées, rythmique implacable, cordes rapeuses, ce Stabat Mater sonne avec une rigueur énergique qui apporte au drame un supplément de réalisme. Deux pièces complètent joliment l’album : la décorative Sonata n° 14, de Mancini (en fait une sonate pour flûte à bec) et, surtout, le Concerto grosso n° 1, sorte de pré-écho du Stabat Mater, qui rappelle opportunément que Durante fut l’un des professeurs de Pergolèse. Marie-Aude Roux
1 CD Sony Classical.