En Espagne, Mariano Rajoy condamné au dialogue
En Espagne, Mariano Rajoy condamné au dialogue
Par Sandrine Morel (Madrid, correspondance)
Appelé à diriger un gouvernement très minoritaire, le premier ministre allergique au compromis devra désormais faire preuve de diplomatie.
Mariano Rajoy, à Madrid, le 24 octobre. | SUSANA VERA / REUTERS
Le compte à rebours a commencé avant la reconduction de Mariano Rajoy à la tête du gouvernement espagnol. Dimanche 30 octobre, au plus tard, il devrait obtenir la confiance du Congrès des députés. Deux mois après son échec au dernier débat d’investiture, la voie est désormais libre, grâce à l’abstention du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), décidée au prix d’une profonde fracture interne dimanche 23 octobre, et au soutien probable des 32 députés centristes Ciudadanos. L’Espagne s’apprête ainsi à mettre fin à dix mois de blocage politique.
Il ne reste plus à Mariano Rajoy qu’un obstacle pour gouverner : lui-même. « Il va diriger le gouvernement le plus minoritaire de l’histoire de l’Espagne avec seulement 137 députés sur 350, rappelle le politologue Pablo Simon, universitaire et membre du groupe de réflexion Politikon. Il n’a pas d’autres choix que de changer ses manières. »
« Nous pouvons parler »
Le président du Parti populaire (PP, droite) va devoir opérer un virage à 180 degrés par rapport à la manière dont il a exercé le pouvoir durant les quatre années de son précédent mandat. Allergique au dialogue et à la négociation, peu enclin à communiquer, encore moins à rendre des comptes, il disposait alors d’une majorité absolue au Parlement qui lui a permis de gouverner seul, en tournant le dos à l’ensemble de l’opposition.
Il en a abusé, faisant passer un tiers de ses initiatives législatives par le biais des décrets-lois, limitant autant que possible les débats parlementaires et faisant approuver les principales réformes avec les seules voix de son groupe parlementaire. Mariano Rajoy n’a accepté qu’à deux reprises en quatre ans de venir devant le Parlement à la demande de l’opposition, malgré une centaine de requêtes en ce sens.
Manifestation de sympathisants du PSOE à Madrid, le 22 octobre, contre l’abstention que les socialistes comptent accorder à la droite. | ANDREA COMAS / REUTERS
Le prochain mandat sera nécessairement très différent. Pour approuver des lois ordinaires, il faudra au PP une majorité simple – plus de voix pour que de voix contre –, ce qui l’obligera à se mettre d’accord, au minimum, avec le parti centriste et libéral Ciudadanos. Pour les lois organiques, il a besoin de la majorité absolue – plus de la moitié des députés –, ce qui se révélera plus compliqué.
Le PSOE a en effet prévenu que son abstention n’a qu’un but : « débloquer l’exceptionnelle situation institutionnelle » que vit l’Espagne, sans gouvernement depuis dix mois faute de majorité au Parlement. En aucun cas, il n’envisage de sceller un accord de gouvernement, encore moins une « grande coalition ». Au contraire, il a promis à ses militants une « opposition dure » et s’est fixé parmi ses objectifs d’abroger les grandes réformes du mandat de M. Rajoy : les lois du travail, de l’éducation ou de la sécurité intérieure.
Le PP peut espérer trouver des accords avec le PSOE sur les grandes questions d’Etat : lutte contre le terrorisme, défense de l’unité nationale face aux indépendantistes catalans ou respect des objectifs de déficit fixés par Bruxelles. Pour le reste, rien ne lui garantit, a priori, le soutien des socialistes, déchirés depuis leur choix de s’abstenir. Lundi, huit chefs de file régionaux du PSOE ont d’ailleurs demandé au président de la commission provisoire qui a pris les rênes du PSOE, Javier Fernandez, que seulement 11 députés socialistes s’abstiennent, pas un de plus que le strict nécessaire pour permettre à M. Rajoy d’obtenir la confiance de la Chambre. D’autres, notamment les socialistes catalans, se disent prêts à désobéir aux consignes du parti.
Mariano Rajoy se dit prêt à relever le défi : « J’ai lu la résolution que le PSOE a approuvée, il y a de bonnes choses à partir desquelles nous pouvons parler. Et, s’il y a une volonté politique, nous pouvons avoir un grand avenir devant nous », a-t-il déclaré le 24 octobre. Il pourrait ainsi ouvrir des négociations sur la réforme du modèle de financement régional, un nouveau pacte d’éducation, le développement de la recherche et de l’innovation ou encore la lutte contre le chômage. Il s’est déjà engagé à travailler sur ces points avec Ciudadanos, avec lequel il a signé un accord en août et qui devrait le soutenir, même si ce nouveau parti a multiplié les critiques sur la corruption du PP.
Le 21 octobre, le premier ministre par intérim avait développé l’idée que l’obligation de négocier avec l’opposition peut se transformer en opportunité pour l’Espagne. « Dans cette législature, nous devrons tous faire un effort majeur pour nous entendre, insister sur les sujets sur lesquels il existe plus de possibilités d’accord et mettre de côté ceux sur lesquels les désaccords sont très difficiles à surmonter, avait-il déclaré en marge du conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement. Cette législature, peut-être justement parce qu’elle est difficile, peut se transformer en une grande opportunité pour résoudre certains des grands défis qui attendent l’Espagne à l’avenir. »
L’enjeu du budget
Dans un premier temps, la priorité de Mariano Rajoy est le budget 2017. Le ministère des finances a envoyé à Bruxelles le 15 octobre un projet qui n’est en fait que le budget 2016 prorogé, faute de disposer des instruments légaux pour en élaborer un nouveau, statut intérimaire oblige. Dès qu’il récupérera ses fonctions, le nouvel exécutif devra l’actualiser afin de pouvoir respecter les objectifs de déficit fixés par la Commission européenne, de 3,1 % en 2017, s’il ne veut pas risquer des sanctions.
Les principaux partis, PSOE, Podemos et Ciudadanos, souhaitent que l’ajustement se fasse par une augmentation des recettes plutôt que par une baisse des dépenses, par le biais d’une hausse des impôts. Le PP, qui les avait réduits en 2015 – ce qui explique en grande partie le dérapage budgétaire –, ne s’est pas encore prononcé publiquement sur la question. Sa capacité à négocier ce point sera le premier test d’un gouvernement fragile.