Plusieurs centaines de milliers de personnes ont manifesté à Caracas, le 26 octobre. | CHRISTIAN VERON/REUTERS

Les opposants vénézuéliens sont encore une fois descendus dans la rue, à Caracas et en province, mercredi 26 octobre. Dans la capitale, ils étaient plusieurs centaines de milliers sur l’avenue Francisco-Fajardo à exiger le départ du chef de l’Etat : « Maduro dehors, tout de suite ». « Je n’ai plus à manger et j’ai la rage », résume un des manifestants devant les caméras. « Nous n’avons plus d’autre choix que la rébellion », considère pour sa part Jorge Pérez, ingénieur. Le dialogue entre le gouvernement et l’opposition, qui devait se tenir sous les auspices du Vatican, a capoté avant même d’avoir commencé.

Alors que le pays traverse une crise économique sans précédent et que les prix explosent, les autorités électorales avaient annoncé, le 21 octobre, le report sine die du référendum révocatoire qui devait permettre aux Vénézuéliens d’obtenir le départ anticipé du président Nicolas Maduro. Cette décision a fait monter la tension dans le pays. Quatre ans après la disparition de l’ancien président Hugo Chavez (1999-2013), le Venezuela reste polarisé à l’extrême entre chavistes et antichavistes. Chacun des deux camps accuse l’autre de mener un coup d’Etat.

Au terme de la manifestation, baptisée « la prise du Venezuela », les dirigeants de l’opposition ont annoncé une grève générale pour vendredi et une manifestation devant le palais présidentiel pour le 3 novembre. « Ou le gouvernement restaure la Constitution ou le 3 novembre nous marcherons sur le palais présidentiel de Miraflores », a lancé Henrique Capriles Radonski, ancien candidat à la présidence.

La décision n’est pas faite pour tranquilliser le pouvoir : en 2002, la tentative avortée de coup d’Etat contre Hugo Chavez avait commencé par une gigantesque manifestation vers le palais de Miraflores. Majoritaire à l’Assemblée nationale depuis le mois de janvier, la coalition d’opposition, la Table de l’unité démocratique (MUD), veut forcer M. Maduro à la démission. L’Assemblée va entamer, mardi 1er novembre, un « procès politique » du président Maduro, accusé « d’exercice despotique du pouvoir » et de « gestion désastreuse de l’économie ».

Echauffourées

Pour l’opposition, une ligne rouge a été franchie avec la suspension du référendum. « Ils nous ont volé le droit de voter, une nouvelle étape commence », a résumé M. Capriles au cours de la manifestation. « En bloquant toutes les issues institutionnelles, le gouvernement pousse la MUD à la radicalisation, souligne l’analyste Luis Vicente Leon. Les leaders de la MUD savent qu’ils ne peuvent en rester aux classiques manifestations de rue, au risque de perdre leur crédibilité. Ils se doivent de jouer la surenchère. » Beaucoup s’inquiètent des risques de dérapage.

Mercredi, les échauffourées entre la police et les manifestants se sont soldées par une vingtaine de blessés en province, selon le défenseur des droits de l’homme ­Alfredo Romero. D’après le gouvernement, un policier aurait été tué dans l’Etat de Miranda. Dimanche, un groupe de chavistes avait brutalement forcé l’entrée de l’Assemblée nationale, réunie pour débattre de la conduite à tenir face à « la rupture de l’ordre constitutionnel ». Des coups de poing et des insultes avaient été échangés.

« La violence est encore contenue, mais il devient difficile d’envisager une issue pacifique à la crise », soupire M. Pérez. Il est d’autant plus pessimiste que la médiation du Vatican a mal démarré. Lundi, de retour d’une tournée au Moyen-Orient, M. Maduro a fait escale au Vatican pour rencontrer le pape François. Tout en demandant à l’oppo­sition « d’abandonner la voie du putschisme », il s’est réjoui de « l’instauration d’un dialogue national ». A Caracas, Mgr Emil Paul Tscherrig, dépêché par le Saint-Siège, annonçait qu’une réunion entre gouvernement et oppo­sition se tiendrait le 30 octobre, sur l’île de Margarita.

Les principaux leaders de la MUD, qui depuis des mois ré­clamaient cette médiation, s’en sont immédiatement démarqués. « Aucun dialogue n’a commencé au Venezuela », a ainsi déclaré M. Capriles, en accusant le gouvernement de chercher à se racheter une vertu. « Je crois à l’Eglise et au pape, mais Maduro et sa bande sont le diable », a-t-il ajouté, avant de considérer, devant la presse, la possibilité d’un dialogue « s’il se tenait à Caracas ». Le parti Volonté populaire de Leopoldo Lopez, ­incarcéré depuis février 2014, estime que « les conditions du dialogue ne sont pas réunies puisque le régime persiste à jouer la carte de la confrontation, de la persécution et de l’intimidation ».

Tandis que l’opposition expose au grand jour ses divergences, le chavisme affiche, lui, une belle unité de façade. Ses responsables acceptent tous la thèse de la Cour suprême, à savoir que l’Assemblée nationale s’est mise hors la loi et que ses décisions sont donc « nulles et non avenues ».

Devant le palais de Miraflores, des milliers de chavistes manifestaient mercredi leur soutien au gouvernement. « L’opposition ne propose aucune mesure concrète pour sortir de la crise, elle veut juste virer Maduro pour reprendre le contrôle de la rente pétrolière », expliquait Ruben, retraité. En évoquant la grève générale voulue par l’opposition, M. Maduro a déclaré : « Il y a deux options : les laisser abîmer le pays ou aller travailler. Que le peuple décide ! »

L’Assemblée nationale a cité à comparaître M. Maduro le 1er novembre pour qu’il réponde de ses actes. La procédure d’« impeachment » (destitution) n’existe pas au Venezuela. Mais les juristes de l’opposition considèrent que les parlementaires pourraient voter « l’abandon de poste », la vacance du pouvoir. C’est pour signifier au chef de l’Etat le résultat de leurs délibérations que les opposants ont choisi de marcher sur Miraflores le 3 novembre. Difficile d’imaginer que M. Maduro les recevra.