Calais : subtil glissement de l’humanitaire vers l’opération policière
Calais : subtil glissement de l’humanitaire vers l’opération policière
Par Maryline Baumard
Au quatrième jour du démantèlement de la « jungle », la Cimade comptabilisait 90 migrants placés en centre de rétention plutôt que dans des centres d’accueil et d’orientation.
Des policiers encadrent l’opération de démantèlement de la « jungle », le 27 octobre. | PHILIPPE HUGUEN / AFP
L’opération humanitaire qui se termine laissera-t-elle place à une opération policière ? Au quatrième jour de l’opération d’évacuation de la « jungle » de Calais, jeudi 27 octobre, le glissement devient sensible. Reste à savoir jusqu’où ce changement s’opérera.
Jeudi matin, l’association la Cimade s’inquiétait des arrivées en centres de rétention. Quarante-sept arrivées avaient déjà été comptabilisées dans le centre voisin de Coquelles (Pas-de-Calais), vingt-quatre à Vincennes (Val-de-Marne), quinze au Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) et même quatre à Metz (Moselle).
Fort de ce constat, l’organisation d’aide aux migrants rappelait fermement au gouvernement que « les centres de rétention ne peuvent pas servir de solution d’hébergement dans l’opération d’évacuation de la “jungle” ». En charge du dossier à la Cimade, David Rohi comptabilisait déjà en effet un total de « quatre-vingt-dix places de rétention remplies par des migrants interpellés à Calais entre lundi et jeudi matin ».
A l’heure où certains étaient privés de leur liberté, d’autres partaient contre leur gré dans les centres d’accueil et d’orientation (CAO) ailleurs en France, acculés au départ face à l’avancée des pelleteuses dans le quartier de la « jungle » où ils résidaient.
« On va se reposer dans leurs CAO et après on verra »
Vers 11 heures, Marmoud a ainsi quitté son abri. Il était un des rares de son quartier à être repassé à sa cabane ce matin. La veille, cet Afghan avait dormi devant le centre d’enregistrement qu’il avait décidé de rallier tard, après sa fermeture. « Ce matin je suis revenu à ma cabane vers 9 heures, quand les policiers nous ont renvoyés dans la “jungle”. Mais aujourd’hui je pars. C’est décidé. Mes amis m’attendent plus loin. On va se reposer dans leurs CAO et après on verra. »
Plusieurs jeunes Afghans l’attendent pour monter dans le minivan qui les conduira dans le sas de départ du ministère de l’intérieur, rue des Garennes, près du camp. Officiellement fermé aux arrivées individuelles, le lieu continue à recevoir des migrants du camp, arrivés par minibus. Les départs vers les CAO continuent donc d’avoir lieu, comme la veille… La différence, c’est que cette fois ils n’ont plus le choix entre deux destinations.
Un observateur fait remarquer que, contrairement aux départs des premiers jours, certains partent tellement à contrecœur qu’une présence policière renforcée sur les aires de repos où ils s’arrêtent faire une pause sera sans doute nécessaire. A l’heure actuelle, selon nos informations, il n’y aurait pas eu de « fuyards » pendant les voyages. Les migrants seraient tous arrivés à bon port et le seul incident déploré aurait été la fermeture d’une station essence par un pompiste qui ne souhaitait pas servir un bus rempli de migrants.
En fin de matinée jeudi, des cordons de CRS entouraient chaque zone de démolition dans la « jungle » et la préfecture estimait déjà qu’un quart du camp avait été « nettoyé » des restes des incendies et des habitations de fortunes qui y subsistaient. Les pelleteuses, avec leurs griffes, continuaient leur danse à un rythme soutenu, arrachant des pans entiers d’abris dans le brouhaha et la poussière. Les abris, eux, s’effondraient à un rythme régulier, laissant entendre des craquements répétés et des longues déchirures. Les bennes se remplissaient très vite et filaient vers les déchetteries avant de revenir vides chercher un nouveau chargement.
Communication à destination des migrants d’autres pays
Face à ce spectacle de démolition, quelques dizaines de migrants restaient hébétés, n’y comprenant pas grand-chose. « Je suis nouveau ici. J’ai entendu que, depuis Calais, les mineurs partaient en bus vers la Grande-Bretagne. Moi aussi je veux y aller, alors je suis venu du Danemark », expliquait un jeune garçon issu d’un groupe bien plus large.
Plus loin, deux sœurs, Ethiopiennes, leurs époux et trois petits enfants terminaient à pied le dernier kilomètre les séparant des départs de bus. « Un ami, qui nous aide beaucoup en Belgique nous a amenés ici en voiture. Il nous a dit que ce serait mieux pour nous que de se faire aider par des églises. On va bien voir… », expliquait une des femmes.
De nombreuses femmes sont aussi arrivées ces derniers jours dans le centre qui les héberge à Jules-Ferry (le centre de jour). « Elles viennent de Hollande, d’Allemagne, de Paris aussi et veulent partir vers la Grande-Bretagne », rappelle une bénévole qui les a beaucoup accompagnées. Comme chez les hommes, celles qui ont plus de 18 ans, vivent difficilement le fait que seules les mineures seront éligibles à une entrée officielle en Grande-Bretagne. Toutes sont inquiètes de leur sort et se savent malvenues en France.
Effectivement, c’est pour stopper ces arrivées de migrants que la préfète, Fabienne Buccio, a annoncé mercredi 26 octobre, à midi, la « fin de la “jungle” » et a officiellement fermé hier soir les départs de bus. Il s’agit d’une opération de communication à destination des migrants d’autres villes et d’autres pays « afin d’éviter un afflux ici. Calais n’a pas vocation à devenir le lieu où se règle la question migratoire », observait Mme Buccio lors d’un point presse matinal, jeudi.
Calais : images d’une « jungle » finissante