Cristina Fernandez de Kirchner, le 11 avril à Buenos Aires. | MARCOS BRINDICCI / REUTERS

L’ancienne présidente péroniste argentine Cristina Fernandez de Kirchner (2007-2015) doit comparaître, lundi 31 octobre, devant le tribunal fédéral de Comodoro Py, dans le centre de Buenos Aires, pour y être interrogée par le juge fédéral Julian Ercolini. Elle est soupçonnée d’avoir attribué « de façon irrégulière et discrétionnaire » des contrats de travaux publics dans la province de Santa Cruz (Patagonie), fief des Kirchner, à l’entrepreneur de la construction Lazaro Baez, ami intime et présumé homme de paille de la famille. Celui-ci est en prison depuis le 5 avril, inculpé de blanchiment d’argent et d’enrichissement illicite.

Cristina Kirchner, 63 ans, fait l’objet de plusieurs enquêtes, impliquant des piliers du pouvoir kirchnériste, mais elle n’a jamais encore été jugée, et encore moins condamnée. Elle ne bénéficie cependant d’aucune immunité depuis qu’elle a quitté le pouvoir en décembre 2015, après deux mandats consécutifs.

Les principales enquêtes visant Cristina Kirchner concernent des affaires présumées de blanchiment d’argent et d’enrichissement illicite. Ces enquêtes se recoupent et forment un volumineux dossier, rebaptisé « la route de l’argent K [pour Kirchner] ». L’ancienne présidente péroniste se dit victime « d’une persécution juridico-politique » et accuse un groupe de magistrats d’avoir formé un « parti judiciaire » pour l’attaquer, elle et son entourage.

  • Attributions de contrats de travaux publics dans la province de Santa Cruz

Une des enquêtes, pour laquelle Mme Kirchner doit comparaître lundi, porte sur d’éventuelles manœuvres visant à bénéficier l’entrepreneur milliardaire Lazaro Baez pour des contrats de travaux publics dans la province de Santa Cruz. L’enquête avait été ouverte en 2008 à la suite d’une accusation portée par la députée de centre gauche Elisa Carrio.

Dans ce dossier sont inculpés d’anciens hauts fonctionnaires des gouvernements du couple Kirchner (Nestor Kirchner, président de 2003 à 2007, puis son épouse Cristina) et des proches collaborateurs. Parmi eux, Julio de Vido, ancien ministre du plan et homme fort des gouvernements Kirchner, qui doit comparaître mardi 1er novembre au tribunal de Comodoro Py.

Mercredi 2 novembre, ce sera le tour de Lazaro Baez, et, le jeudi 3 novembre, celui de José Lopez, ancien secrétaire d’Etat aux travaux publics, également emprisonné pour blanchiment d’argent. Il avait été arrêté de façon rocambolesque, le 14 juin, devant un couvent, à 50 kilomètres de Buenos Aires, alors qu’il tentait d’y cacher 9 millions de dollars (8,2 millions d’euros) en billets de différentes devises (dollars, yens, euros et riyals qataris), ainsi que des bijoux répartis dans 160 sacs en plastique.

Bras droit de Julio de Vido, M. Lopez a géré pendant douze ans les contrats de l’Etat avec les entreprises de BTP, pour la construction de routes, de logements et de centrales électriques.

Ces inculpations sont susceptibles d’appel. Seuls deux anciens fonctionnaires des gouvernements Kirchner sont en prison : José Lopez et Ricardo Jaime, ex-secrétaire d’Etat aux transports, arrêté le 3 avril pour enrichissement illicite.

  • Affaire de l’entreprise Hotesur en Patagonie

Une enquête a été confiée au juge Claudio Bonadio sur un blanchiment d’argent présumé à travers l’entreprise Hotesur, qui gère des hôtels de luxe en Patagonie, et propriété de la famille Kirchner. En compensation de projets fictifs de travaux publics, M. Baez aurait versé d’importantes sommes d’argent à Cristina Kirchner, moyennant la location de chambres d’hôtel, jamais occupées.

Un autre homme d’affaires, Cristobal Lopez, propriétaire millionnaire de casinos, est également impliqué. Il avait financé la campagne électorale de 2013. Une partie du « butin K » aurait été caché dans la lointaine Patagonie, où la justice a procédé à des fouilles et des perquisitions, mais également à l’étranger, en Uruguay et dans des paradis fiscaux.

  • Affaire de l’agence immobilière familiale Los Sauces

Cristina Kirchner est visée personnellement avec son fils, le député Maximo Kirchner, par une enquête ouverte, le 3 mai, à la demande de la députée de centre gauche Margarita ­Stolbizer, qui les accuse d’enrichissement illicite et de falsification de documents publics.

Mme Stolbizer, qui qualifie la gestion des Kirchner de « la plus corrompue de l’histoire démocratique argentine », soupçonne des irrégularités dans la comptabilité de l’agence immobilière familiale, Los Sauces, dans la province de Santa Cruz.

Créée en 2003 par l’ancien couple présidentiel et leur fils, Maximo, Los Sauces est notamment propriétaire de deux appartements dans le luxueux quartier de Puerto Madero, à Buenos Aires, et de trois propriétés à Rio Gallegos, une à El Chaltén et deux à El Calafate, toutes dans la province de Santa Cruz. Tous ces biens sont loués à des sociétés appartenant à M. Baez, qui, de simple employé de banque, était devenu, avec les Kirchner, le plus riche entrepreneur de la province. L’enquête sur Los Sauces a également été confiée au juge Bonadio.

  • Irrégularités dans les ventes de dollars par la Banque centrale sur les marchés à terme

Cristina Kirchner avait déjà comparu le 13 avril devant le tribunal fédéral de Comodoro Py, inculpée par le juge Claudio Bonadio pour préjudice à l’Etat après une opération de spéculation sur les taux de change menée par la Banque centrale dans les derniers mois de son mandat. Le magistrat a également ordonné le gel d’actifs de Mme Kirchner pour une valeur de 15 millions de pesos (900 000 euros).

L’ancienne présidente avait refusé de répondre aux questions du juge et avait présenté à la place un texte dans lequel elle demandait la destitution du magistrat. Elle avait transformé sa comparution en tribune politique, haranguant des milliers de partisans, venus la soutenir, à sa sortie du tribunal. Elle affirme que l’action de la Banque centrale a été conforme à sa mission « de préserver la stabilité monétaire, financière, l’emploi, le développement économique avec une équité sociale ».

Le juge Bonadio a ordonné les poursuites et le même embargo à l’encontre d’Axel Kicillof, ancien ministre de l’économie de Mme Kirchner (entre 2013 et 2015), de l’ex-président de la Banque centrale Alejandro Vanoli ainsi que douze autres anciens membres du directoire de cet organisme. Mme Kirchner est accusée d’avoir causé des pertes à l’autorité monétaire, fin 2015, peu de temps avant l’élection du nouveau président de centre droit, Mauricio Macri. D’après le gouvernement actuel, qui était dans l’opposition à l’époque, l’opération a fait perdre des centaines de millions de dollars à la troisième économie d’Amérique latine.

  • Biens placés sous séquestre et comptes gelés

L’Unité d’information financière, l’organisme officiel chargé de détecter des mouvements de blanchiment d’argent, a demandé le 9 septembre à la justice fédérale de placer sous séquestre tous les biens figurant dans la succession de l’ex-président Nestor Kirchner, décédé en octobre 2010. Et cela pendant toute la durée de l’instruction engagée contre Mme Kirchner pour enrichissement illicite et blanchiment d’argent. Les comptes bancaires de l’ex-présidente ont également été gelés.

  • Les « Panama Papers »

Enfin, les noms de proches de Nestor et Cristina Kirchner figurent également dans le scandale des « Panama Papers », dans lequel sont également mentionnés le président Mauricio Macri et des membres de sa famille.

Depuis l’arrivée au pouvoir de M. Macri, l’étau judiciaire se resserre sur Cristina Kirchner. Mais la justice est lente, et sera encore ralentie par les vacances judiciaires de février, pendant l’été dans l’hémisphère austral. Il est probable que l’ex-présidente soit à nouveau convoquée devant les tribunaux à la rentrée, en mars, et tout au long de l’année 2017. Une année importante politiquement avec des élections législatives le 27 octobre. On prête à Cristina Kirchner l’intention de se présenter comme candidate au Sénat pour la province de Buenos Aires.

Cristina Kirchner et Héctor Timerman, alors ministre des affaires étrangères, en 2011. | PABLO PORCIUNCULA / AFP

Selon un récent sondage, 71 % des Argentins croient que Nestor et Cristina Kirchner avaient organisé un système de corruption au niveau de l’Etat.

Dans ses démêlés avec la justice, Cristina Kirchner avait remporté une victoire, alors qu’elle était encore au pouvoir, avec le rejet de la plainte déposée contre elle pour entrave à la justice dans l’enquête sur un attentat antisémite à Buenos Aires, le 18 juillet 1994.

L’accusation avait été déposée devant la justice, le 14 janvier 2015, par le procureur Alberto Nisman, mort mystérieusement quatre jours plus tard. Le magistrat soupçonnait le pouvoir argentin d’avoir couvert des dirigeants iraniens qui auraient commandité l’attentat conte la mutuelle juive AMIA, qui a fait 85 morts et plus de 300 blessés.

Cristina Kirchner et son ministre des affaires étrangères de l’époque, Héctor Timerman, avaient été formellement mis en cause pour « délits d’entrave à la justice et manquement au devoir d’un fonctionnaire » par le procureur Gerardo Pollicita, qui avait repris, en février 2015, l’accusation de Nisman, et demandé leur inculpation.