Quel rôle tiennent les milices chiites dans la bataille de Mossoul ?
Quel rôle tiennent les milices chiites dans la bataille de Mossoul ?
Par Louis Imbert
Instrument de la puissance iranienne en Irak, les milices se sont lancées samedi 29 octobre à l’assaut de la ville de Tal Afar, qui verrouille la route de la frontière syrienne.
Des combattants de la « mobilisation populaire », en route vers Mossoul, le 31 octobre. | AHMAD AL-RUBAYE / AFP
Les milices chiites irakiennes sont entrées, samedi 29 octobre, dans la bataille de Mossoul. Avançant depuis des jours derrière l’armée, au sud de la ville, elles ont commencé à bifurquer à l’ouest vers Tal Afar, bastion de l’organisation Etat islamique (EI) et verrou de la frontière syrienne.
Ces groupes armés se sont rendus coupables d’exactions contre des civils lors de précédentes batailles, notamment durant la prise de Fallouja, en juin. Ils sont craints par les populations sunnites, majoritaires dans la région de Mossoul. Leur engagement pose un risque politique pour l’après-guerre, lorsque Mossoul devra revenir sous l’autorité de la capitale, Bagdad, dominée par les partis chiites.
La présence des milices attise également les tensions régionales : les plus importantes sont armées, financées et conseillées par l’Iran, la puissance dominante en Irak. Ankara, qui se pose en défenseur des sunnites de la région, pourrait prendre prétexte de leur engagement pour s’immiscer plus avant dans la bataille de Mossoul.
Une force sectaire en lutte contre l’EI
La « mobilisation populaire », organe qui rassemble les milices et volontaires chiites, joue un rôle essentiel dans la lutte contre l’EI depuis juin 2014. L’EI s’est alors emparé de Mossoul et menace Bagdad. Les forces régulières se sont écroulées. Depuis la ville sainte de Nadjaf, le grand ayatollah Ali Al-Sistani, la principale autorité du chiisme, appelle les Irakiens aux armes. Les volontaires seront pour l’essentiel des chiites, mais l’ayatollah prend soin de formuler son appel en termes nationalistes : il s’exprime au nom de l’intérêt supérieur du pays et non de sa seule communauté.
La mobilisation populaire se structure, dans l’urgence, autour de milices déjà existantes et de combattants professionnels. Ce sont les vétérans des groupes armés chiites qui ont combattu l’occupant américain dans les années 2000, avec le soutien de l’Iran. Nombre d’entre eux ont pris part à la guerre civile, à ses campagnes de « nettoyage » confessionnel et d’assassinats de civils sunnites.
La bataille contre l’EI leur offre une nouvelle virginité : ils se posent en sauveurs du pays. Ils se réfèrent constamment à l’autorité morale d’Ali Al-Sistani, qui n’a cependant autorité que sur une petite part de ces groupes. Ils recrutent des volontaires, les partis qui leur sont affiliés pénètrent l’Etat plus avant, certains de leurs leaders s’imposent comme des figures politiques de premier plan. Hadi Al-Ameri, chef de la milice Badr et de l’organisation politique qui lui est affiliée, est régulièrement cité comme un possible successeur du premier ministre, Haïder Al-Abadi. Ils étalent également leurs divisions, menaçant à l’été 2016 d’entrer en conflit ouvert en plein Bagdad.
Une fonction censée rester marginale
Le gouvernement irakien a cherché à tenir les milices chiites loin de Mossoul : elles ne doivent pas, en théorie, entrer dans la ville. Cependant, si la bataille s’éternise, face à une forte résistance de l’EI, ces supplétifs endurcis pourraient être appelés en renfort.
Pour l’heure, les milices ont obtenu un objectif secondaire : montant vers Mossoul en deuxième ligne depuis le sud, elles doivent bifurquer avant d’atteindre la ville vers les localités de Hawija, au sud, et de Tal Afar, au nord-ouest, deux bastions djihadistes. Hawija, qui comptait 115 000 habitants au début de l’offensive, a servi de base arrière aux attaques de l’EI durant deux ans. Tout récemment, elle paraît avoir été le point de départ d’une attaque de diversion menée par l’EI à Kirkouk, afin d’alléger la pression qu’elle subit à Mossoul.
Tal Afar est située sur un axe routier qui lie la « capitale » de l’EI en Irak à ses territoires syriens. Cette ville lui a donné un nombre important de ses cadres : elle fut un creuset de l’insurrection djihadiste jusqu’à la prise de Mossoul, en juin 2014. Sa population chiite a fui ou a subi les exactions de l’EI lorsque l’organisation s’est rendue maîtresse de la région.
Un refus de l’ingérence turque
Dimanche, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a affirmé que son pays protégerait la population de Tal Afar, enclave turkmène dans une région arabe, si les milices y « sem[aient] la terreur ». La Turquie, qui prétend défendre les sunnites de la région, suscite une hostilité grandissante parmi les milices chiites.
Elles auraient exigé de participer à la bataille de Mossoul, début octobre, en réaction au refus de la Turquie de s’en tenir à l’écart. L’armée turque maintient un contingent dans le secteur de Bachika, près de Mossoul, malgré le souhait exprimé par Bagdad de le voir partir. Elle entraîne depuis des mois des peshmergas kurdes et un groupe armé sunnite rassemblé autour de l’ancien gouverneur de la province de Ninive, Atheel Nujaifi, abhorré par les milices.
Un instrument de la puissance iranienne
Les milices sont le bras armé en Irak de l’Iran, le grand Etat chiite de la région. Une part essentielle lui est liée de longue date. Certains de leurs chefs ont combattu, durant la guerre Iran-Irak (1980-1988), du côté iranien. Ils ont trouvé un soutien à Téhéran durant leurs années de lutte contre la dictature de Saddam Hussein. L’Iran les a armés, entraînés et conseillés dans leur résistance à l’occupant américain, à partir de 2003. Après le retrait des forces américaines, en 2011, Téhéran s’est imposé sans conteste comme la principale puissance étrangère dans le pays.
Depuis juin 2014, des conseillers militaires iraniens accompagnent les milices sur le terrain, à l’invitation du gouvernement de Bagdad. Ils jouent un rôle important dans la planification de leurs opérations. La République islamique considère l’EI comme une menace directe : elle estime devoir combattre les djihadistes en Irak afin de ne pas avoir à le faire sur son territoire. C’est en large partie un succès : l’Iran demeure, depuis deux ans, quasiment indemne d’attentats terroristes. Cette situation de paix civile dans une région en guerre a induit, parmi la population iranienne, un soutien nouveau au gouvernement.
L’influence iranienne chez son voisin irakien ne se limite pas aux seuls rangs miliciens : Téhéran est écouté des partis chiites au pouvoir à Bagdad. L’Iran a soutenu l’ex-premier ministre Nouri Al-Maliki malgré sa politique sectaire, qui a aliéné la population sunnite et facilité l’émergence de l’EI. Il soutient aujourd’hui officiellement les efforts de M. Abadi, malgré la concurrence que lui mènent les milices et M. Al-Maliki. Téhéran se veut ainsi une puissance arbitre entre les différentes factions chiites.
La République islamique tente, enfin, d’exercer son influence sur Nadjaf, cœur religieux du monde chiite. Mais le haut clergé d’Irak, avec à sa tête l’ayatollah Ali Al-Sistani, 86 ans, qui jouit dans le pays d’un grand prestige, y fait barrage.