TV : Etats désunis d’Amérique
TV : Etats désunis d’Amérique
Par Antoine Flandrin
Notre choix du soir : Duel à la Maison Blanche, exacerbations des inégalités, apartheid scolaire… à la veille de l’élection présidentielle, une série de documentaires ausculte un pays en proie aux divisions (sur Arte à 20 h 50 et sur France 5 à 20 h 45)
Quel président pour l’Amérique ? - bande-annonce - ARTE
Durée : 00:19
La présidentielle américaine du 8 novembre a ceci de particulier qu’elle voit s’affronter deux personnalités que tout oppose. Le portrait croisé que propose le réalisateur Michael Kirk dans son film Quel président pour l’Amérique ? Clinton contre Trump, est à cet égard particulièrement instructif. Fidèle à sa méthode, ce spécialiste des documentaires consacrés aux duels présidentiels, s’est approché au plus près d’une vingtaine de conseillers, amis, collaborateurs, biographes ayant croisé au cours des quarante dernières années la route de Hillary Clinton et de Donald Trump.
Les témoignages sont sans concession. Le journaliste Tony Schwartz garde un goût amer des centaines d’heures qu’il a passées avec Donald Trump pour écrire The Art of the Deal (« L’art de la négociation », non traduit, 1987). « De cet homme superficiel, grande gueule, doté de talents de promoteur, j’ai fait le roi des affaires », dit-il. Kirk brosse en filigrane le portrait d’un homme assoiffé de pouvoir et de notoriété, piètre homme d’affaires, sans expérience politique, mais doté d’un redoutable sens du marketing. Passé maître dans l’art de transformer les défaites en victoires, il s’est fait fort de montrer à l’Amérique qu’il était un « gagnant » et un « tueur ». Trump doit surtout à son mentor Roy Cohn, l’un des avocats les plus implacables de la commission McCarthy chargée de traquer les communistes américains dans les années 1950. S’inspirant de ses méthodes de harcèlement, Trump a ainsi accusé pendant des années Barack Obama d’être né en Afrique, l’exhortant à montrer son certificat de naissance.
Bande-annonce Le Monde en Face - spécial USA
Durée : 00:39
Animé par un souci constant d’impartialité, Michael Kirk montre que le parcours de Hillary Clinton est tout aussi heurté. Au début des années 1970, elle était sur le point de devenir l’étoile montante du Parti démocrate. Après avoir joué un rôle prépondérant au sein de la commission d’enquête sur le Watergate, elle quitte Washington pour rejoindre Bill Clinton dans l’Arkansas. Une décision que son ancien camarade de Yale, Robert Reich, peine toujours à comprendre. Dans cet Etat du Middle West, Hillary Clinton va devoir renier ses convictions féministes pour permettre à son mari de relancer sa carrière politique. Au-delà des humiliations à répétition qu’elle a dû subir lors des affaires Gennifer Flowers et Monica Lewinsky, le film fait surtout ressortir son intransigeance et son goût pour la culture du secret qu’elle a payé cher.
A cette aune, le documentaire Duel pour la Maison Blanche (diffusé la suite, à 23 h 05), qui revient sur soixante ans de présidentielles américaines, permet de comprendre à quel point cette élection est différente des autres. Jamais deux candidats à la Maison blanche n’avaient recueilli autant d’avis défavorables. Jamais une présidentielle n’avait autant divisé.
Aux Etats-Unis, près de 15% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. | France 5
Cette extrême polarisation des Américains, dessinant une société tiraillée par l’exacerbation des inégalités, est décrite avec beaucoup de justesse dans Le Prix du rêve américain d’Hélène Eckmann proposé sur France 5 à 20 h 45. La réalisatrice a sillonné les Etats-Unis de la Floride à la Pennsylvanie en passant par Seattle pour montrer comment la première puissance mondiale a sauvé son économie en créant des millions d’emplois précaires. Elle a ainsi suivi pendant plusieurs mois Germania, 25 ans, contrainte de cumuler deux jobs payés au lance-pierre dans deux fast-foods pour subvenir aux besoins de ses trois enfants ; Jo, Chelsea et leur fille Astoria, fatigués d’avoir à dormir dans une tante sur un parking ; Tom, licencié du jour au lendemain après treize de bons et loyaux services chez General Electrics.
Aux Etats-Unis, les enfants de la communauté afro-américaine sont de plus en plus victimes de la ségrégation scolaire. | France 5
Filmés dans leur intimité et sur leur lieu de travail, ces Américains vivent dans l’angoisse permanente. Tout aussi inquiétant : le retour des fantômes de la ségrégation raciale auquel le réalisateur Romain Icard s’est intéressé. Dans Le nouvel apartheid (France 5, 21 h 55), il étudie les ressorts de la « re-ségrégation » dans les écoles de Selma dans l’Alabama. Au lendemain du mouvement des droits civiques, les écoliers afro-américains avaient été intégrés, non sans difficultés, dans les écoles publiques du sud des Etats-Unis. Cette génération de blancs et de noirs qui avait étudié ensemble dans les années 1970 et 1980 pensait avoir fait le plus dur. Mais suite à l’abrogation des lois encourageant la mixité dans les écoles, on s’est vite rendu compte que les braises de plusieurs siècles d’esclavage n’étaient pas éteintes. Les réflexes racistes sont revenus insidieusement. Les parents d’élèves blancs ont quitté les écoles publiques de la ville pour la John Tyler Morgan Academy, qui porte le nom d’un sénateur de l’Alabama, mort en 1907, connu pour être un défenseur de la ségrégation raciale et un membre du Ku Klux Klan. Sur les cinq cents élèves de cette école, seuls deux sont Afro-américains. Le lycée public, lui, ne compte que deux Blancs. Une situation d’« apartheid scolaire » qui gangrène les Etats du Sud et qui tend aujourd’hui à gagner tout le pays.
Sur Arte : Quel président pour l’Amérique ?, de Michael Kirk (EU, 2016, 120 min).
Duel pour la Maison Blanche, d’Ingo Helm (All, 2016, 90 min).
Sur France 5 : Le Prix du rêve américain, d’Hélène Eckmann (Fr., 2016, 50 min).
Etats-Unis, le nouvel apartheid, de Romain Icard (Fr., 2016, 55 min).