« New York, nous avons un problème. » C’est le message implicite qui sous-tendait la réunion à Paris, les 26 et 27 octobre, consacrée aux opérations de maintien de la paix (OMP) de l’ONU « en environnement francophone ». Une réunion qui coïncidait avec la fin officielle de l’opération « Sangaris » en République centrafricaine, d’où la France tente de s’extirper tant bien que mal, en passant les commandes à la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en Centrafrique (Minusca).

Pas simple, en effet, de s’effacer alors que les casques bleus paraissent désarmés face à la violence qui perdure sur place, jusque dans le centre de la capitale, Bangui. Dans ce contexte très tendu, la fin officielle de l’opération « Sangaris » masque dans les faits un retour à la case départ : Paris a décidé de maintenir environ 350 soldats dans son ancienne colonie, dont une centaine au sein de la force de l’ONU, soit peu ou prou les effectifs qui prévalaient avant le déclenchement de l’opération…

Plus au Nord, les inquiétudes françaises se portent sur les casques bleus de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), qui font régulièrement l’objet d’attaques sanglantes de la part des groupes djihadistes, toujours actifs dans la zone. La Minusma a d’ailleurs le triste privilège d’être la force onusienne ayant à déplorer actuellement le plus de pertes à travers le monde. Et, depuis quelques mois, les attaques ne se déroulent plus seulement dans le « grand Nord », mais aussi dans le centre du Mali, où – sur fond de contentieux sur l’accès à la terre – une partie de la communauté peule se radicalise. Une mauvaise nouvelle, là encore, pour la France qui maintient à grands frais plus de 3 000 hommes dans la bande sahélo-saharienne, chargés de traquer les cellules djihadistes qui subsistent.

Minusca et Minusma en première ligne

Les difficultés rencontrées sur ces deux théâtres par les « soldats de la paix » contrarient les plans de Paris qui, dès le lancement des opérations « Serval » au Mali (janvier 2013) et « Sangaris » en Centrafrique (décembre 2013), a mis l’ONU dans la boucle avec le secret espoir de lui transmettre le flambeau dès que possible. Aujourd’hui, si la Minusca et la Minusma sont bien en première ligne, il est clair que Paris ne peut se désengager militairement sans risquer de mettre en péril tout l’édifice sécuritaire mis en place mois après mois.

Alors que faire ? En attendant une hypothétique stabilisation sur le terrain, la France – l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité – cherche à améliorer l’efficacité des opérations de l’ONU. Laquelle, selon le ministre français des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, passe par « une interaction réussie entre personnels déployés par l’ONU et acteurs locaux ». Et l’un des vecteurs essentiels de cette interaction, a-t-il ajouté, n’est autre que la maîtrise de la langue.

Or, si l’ONU mène actuellement sept de ses seize opérations de maintien de la paix en « environnement francophone », mobilisant plus de 60 % de ses effectifs policiers et militaires, la contribution francophone n’est que de 26 % dans ce domaine. Dans le Sahel, la Minusma est certes majoritairement composée d’unités francophones. Mais en République centrafricaine, au sein de la Minusca, les contingents pakistanais et bangladeshi (anglophones) sont parmi les plus importants. Tout comme en RDC, dans les rangs de la Mission de l’organisation des Nations unies pour la stabilisation en RD Congo (Monusco), où se distingue également une forte composante indienne.

Mobiliser davantage les pays francophones

Autant de contingents dont la communication avec les populations locales est souvent réduite à sa plus simple expression. Ce qui ne contribue pas, c’est une évidence, à dissiper les malentendus et à améliorer les relations entre des casques bleus – accusés de manière récurrente de se terrer dans leurs bases au premier danger venu – et les populations locales qu’ils sont censés protéger.

La réunion de Paris, qui a rassemblé les représentants d’une soixantaine de pays, avait pour but de mobiliser davantage les pays francophones, et la France a enregistré avec satisfaction la promesse du Canada de s’engager davantage sur ce terrain. A toutes fins utiles, le Quai d’Orsay en a profité aussi pour mettre en avant la méthode d’apprentissage du français qu’il a élaborée à destination des militaires originaires de pays anglophones déployés au sein des OMP onusiennes. Baptisée « En avant ! », elle a été distribuée à 14 000 exemplaires à ce jour. Le militaire comme vecteur de la francophonie, il fallait y penser.

Ancien journaliste chargé de l’Afrique et des questions de défense à Libération, Thomas Hofnung est chef de rubrique à TheConversation.fr. Il est l’auteur de La Crise ivoirienne (éditions La Découverte, 2011).