« La situation des éléphants dans les cirques est gravement préoccupante »
« La situation des éléphants dans les cirques est gravement préoccupante »
Neuf vétérinaires et éthologues appellent à cesser la captivité des pachydermes qui subissent des souffrances physiques et psychologiques au quotidien.
Photo de Samba, au cirque d’Europe à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), le 25 octobre. | Association CCEA
A la lumière des connaissances scientifiques actuelles, nous, éthologues, zoologistes et vétérinaires, lançons un appel d’urgence sur la situation, gravement préoccupante, des éléphants dans les cirques et demandons l’arrêt immédiat de leurs représentations.
Tout d’abord, ces éléphants ont tous, sans exception, été arrachés à leur pays d’origine, ainsi qu’à leur famille lorsqu’ils n’étaient que des bébés. C’est ainsi qu’un animal sauvage se dresse : très jeune, isolé des siens pour le briser psychologiquement, alors que, de surcroît, les éléphants sont des animaux extrêmement sociaux. C’est un premier traumatisme qu’ils n’oublieront jamais.
Ensuite, ces individus, isolés, subissent au quotidien des souffrances physiques et psychologiques, dans des structures itinérantes non conformes à leurs impératifs biologiques et sociaux.
L’histoire de l’éléphante Samba illustre cruellement ce tragique destin. Elle est capturée à l’âge d’un an, au Kenya, après que sa famille a été tuée par des braconniers. Samba est alors vendue à un dresseur. Commence un intense dressage au moyen de piques métalliques qui, créant un climat de peur, permettent de dominer et de forcer les animaux, par la violence, à prendre des positions humaines (se tenir debout par exemple). Au début des années 2000, Samba commence ses représentations dans les cirques. Le 20 mai 2003, à Rochefort-du-Gard (Gard), elle refuse de faire son numéro : mimer sa propre mort. Après le spectacle, son dresseur la roue de coups. Des enfants assistent à cette scène d’une rare violence et, en pleurs, le supplient d’arrêter.
Malgré une plainte de l’association de défense animale One Voice, elle continue à subir la captivité et le dressage. Samba passe la majorité de son temps dans un enclos de 100 m2. A cela s’ajoute la promiscuité avec d’autres espèces comme les tigres ou les primates, l’interaction forcée avec le public, le transport routier régulier, la musique et les applaudissements bruyants et des lumières agressives lors des représentations. Cette situation est d’autant plus inquiétante que les éléphants sont des animaux d’une grande sensibilité sensorielle et émotionnelle, comparable aux orques.
En 2004, le cirque qui la détient change de nom et Samba aussi. Désormais, ses dresseurs l’appellent Tania. Le 8 septembre 2013, à Lizy-sur-Ourcq (Seine-et-Marne), la détresse de Samba est telle que l’éléphante jette une bâche sur le fil électrique de sa clôture et s’échappe en tuant accidentellement un homme dans sa course folle. Malgré un procès, la justice ne modifiera en rien cette situation : Samba continuera à être exploitée et vivre sa vie d’éléphant martyr dans le Cirque d’Europe.
Le cas de Samba n’est pas sans nous rappeler celui de Tyke qui, en pleine représentation, à Honolulu (Hawaï), s’était évadée d’un cirque en tuant son dresseur et blessant un employé du cirque. L’éléphante s’était alors retrouvée en pleine rue et la police l’avait criblée de balles sous le regard terrifié des passants.
Les numéros de cirque exigés des éléphants les poussent au désespoir.
Des acrobaties non adaptées à leur morphologie : la douleur physique
Les numéros exécutés régulièrement sont une source de blessures aux articulations (principalement du coude et du genou), aux disques intervertébraux et peuvent causer des fissures dans les ongles. Faire asseoir un éléphant fait partie des numéros classiques. Pourtant, cette position humaine conduit à une pression excessive sur le diaphragme pouvant causer une hernie. C’est un état grave qui peut entraîner la mort. C’est la raison pour laquelle, afin d’éviter cette pression interne, les dresseurs imposent par la violence à leurs éléphants de déféquer avant d’entrer en piste.
La captivité et l’isolement : la douleur psychologique
Comme tout animal de cirque itinérant, les éléphants passent leur vie attachés et enfermés dans des remorques pendant les transports. Un cirque sillonne jusqu’à 10 villes par mois, ce qui représente des milliers de kilomètres chaque année et de longues heures durant, sans eau ni nourriture.
Les éléphants sont des animaux grégaires : à l’état sauvage, ils peuvent former des groupes sociaux de 30 à 40 individus. Il est temps de prendre en compte les besoins fondamentaux des éléphants détenus par les cirques. Accepter cette situation, c’est cautionner la condamnation de ces animaux si majestueux. Rappelons que la Fédération des vétérinaires d’Europe, qui regroupe 46 organisations dans 38 pays, recommande l’interdiction de l’utilisation d’animaux sauvages dans les cirques en déclarant dans un communiqué de presse en date du 6 juin 2015 : « Leurs exigences physiologiques, mentales et sociales ne peuvent être atteintes de manière adéquate ». Aujourd’hui, 23 pays ont interdit les cirques avec animaux (dont 9 pays européens).
Une retraite bien méritée…
Au vu de ces éléments, nous recommandons vivement que les éléphants détenus dans les cirques soient placés dans une structure adaptée à leurs besoins fondamentaux liés à leur espèce, comme Elephant Haven. Située dans le Limousin et fondée par des spécialistes des éléphants, Elephant Haven est un sanctuaire européen destiné aux éléphants captifs pour leur offrir un havre de paix. Les éléphants n’y seront jamais enchaînés ou contraints par la force. Ce sanctuaire ouvrira ses portes dès 2017. Il s’agit donc d’une formidable chance de mettre un terme heureux au calvaire de ces « éléphants clowns », enfin !
Les actes de résistance de Samba sont fréquents et préoccupants. Avoir une mémoire d’éléphant n’est pas seulement une expression populaire. Les éléphants n’oublient jamais et encore moins lorsqu’ils ont subi des traumatismes multiples.
Allons-nous attendre que Samba soit la nouvelle Tyke pour que l’Etat agisse ?
Dorothée Aillerie, vétérinaire.
Thierry Bedossa, vétérinaire, comportementaliste et président de l’association AVA (Aide aux vieux animaux).
Norin Chaï, vétérinaire.
Philippe Devienne, vétérinaire et philosophe.
Claire Fournier, vétérinaire.
Yann Huchedé, directeur du refuge animalier de l’Arche.
Julie Lasne, éthologue.
Cyril Leduc, éthologue et président de l’association Les Félins.
Joël Minet, biologiste, Muséum national d’histoire naturelle.