Les ouvriers chinois en ont ras le bol des nouilles instantanées
Les ouvriers chinois en ont ras le bol des nouilles instantanées
LE MONDE ECONOMIE
Longtemps repas incontournable pour des millions de travailleurs, les nouilles déshydratées à quelques centimes ont aujourd’hui moins la cote. Un symbole de la mutation de l’emploi en Chine depuis quatre ans.
Un chinois musulman rompt le jeune de ramadan assis devant une mosquée, à Pékin, le 1er juillet. | NICOLAS ASFOURI / AFP
Ah ! les nouilles instantanées, al dente au milieu parce que l’eau n’était pas assez chaude, dégustées avec une poignée de graines de tournesol pendant un long voyage en train… Mais ça, c’était avant. Depuis quatre ans, les Chinois délaissent les nouilles déshydratées. A tel point que les ventes ont chuté de 12,5 % l’année dernière et que le taïwanais Tingyi, connu pour sa marque Master Kong (Kong Shifu), le roi de la nouille en Chine, a été éjecté du Hang Seng Index à la Bourse de Hongkong en septembre. Ses profits avaient baissé de 60 % en un an d’après Bloomberg, victimes de la transition économique et démographique chinoise.
Car ces nouilles ont nourri l’envolée de l’économie chinoise. Entre 2003 et 2008, le marché a explosé en Chine, passant de 35 milliards à 59 milliards de yuans (de 4,7 milliards à 7,9 milliards d’euros). A l’époque, la croissance chinoise dépassait les 10 % de moyenne (14,2 % en 2007).
Reposant sur la construction, l’industrie lourde et les usines bas de gamme, elle avait besoin de main-d’œuvre bon marché. Les provinces de la côte attiraient les travailleurs migrants par centaines de millions. Jeunes, sans famille ni cuisine : des consommateurs tout trouvés de fangbian mian (« nouilles pratiques »). La presse a immortalisé ces mingongs (« travailleurs migrants ») chinois assis sur leurs talons engloutissant des nouilles instantanées au bord d’un chantier.
Echec commercial des pâtes haut de gamme
Las, la Chine s’est développée. Et quand Tingyi est entré à la Bourse de Hongkong, en 2011, après avoir vu sa valeur multipliée par vingt en dix ans, c’était déjà le début de la fin. Du fait de la politique de l’enfant unique, la population chinoise en âge de travailler a commencé à baisser en 2010. Et en 2015, pour la première fois depuis trente ans, la population des migrants a baissé, après avoir dépassé les 250 millions.
Aujourd’hui, les nouilles à 25 centimes le bol ne font plus rêver. Les fabricants ont bien essayé de s’adapter, tentant d’améliorer la recette, pariant sur la qualité avec des nouilles à plus de cinq yuans le bol élaborées grâce à des procédés améliorés, censés mieux préserver le goût et utiliser moins d’huile. Certains ont même tenté des nouilles déshydratées à 30 yuans la portion, soit 4 euros ! Hérésie – et échec commercial –, c’est le prix d’un repas copieux en Chine.
Autour des usines du Guangdong, la province manufacturière du sud de la Chine, on mange pour une quinzaine de yuans. Pour quelques pièces de plus, les ouvriers qui veulent se faire plaisir peuvent désormais commander un repas sur une application mobile. En ce moment, l’expression à la mode dans les campagnes de marketing, c’est la montée en gamme de la consommation (xiaofei shengji). Signe des temps : une nouvelle entreprise va entrer à la Bourse de Hongkong le 11 novembre : Zhou Hei Ya, une chaîne qui vend des cous de canard aux quatre coins de la Chine pour minimum 25 yuans la portion.