Un supporteur de Donald Trump brandit un drapeau anti-Clinton devant le campus de l’université du Nord du Colorado, le 30 octobre. | JASON CONNOLLY / AFP

Anxieux. Nerveux. « Anxieusement positif », résume Ron Ross, un agent administratif à la retraite. Quels que soient les qualificatifs, l’état d’esprit est à « l’appréhension » chez les démocrates du Colorado.

L’élection est « beaucoup plus serrée qu’elle n’était censée l’être », glisse Tianna Ratty, 31 ans, une éducatrice dont toute la belle-famille soutient Donald Trump. « Après le dernier débat, j’étais rassurée, ajoute Laura Romcevich, une médecin de 31 ans. Depuis les e-mails, beaucoup de gens sont inquiets. » Personne n’ose dire que Hillary Clinton pourrait perdre. Mais on s’inquiète qu’elle « pourrait ne pas gagner ».

Le Colorado devait être un terrain fiable pour l’ex First Lady. Depuis l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance santé et l’affaire des e-mails, l’Etat a été requalifié en « indécis » par les sondeurs. Sans être intrinsèquement important (il n’a que 9 délégués au collège électoral), il est crucial sur la route alternative que peuvent emprunter les candidats pour arriver au seuil requis de 270, s’ils échouent en Floride ou en Pennsylvanie.

Les conséquences des e-mails, la grande inconnue

Précipitamment, le camp Clinton a repris ses publicités – il n’en faisait plus depuis juillet — et dépêché des grands noms : Bill Clinton, Chelsea et Bernie Sanders. Donald Trump, lui, était de retour samedi, pour sa troisième visite en une semaine dans le Colorado.

« Il y a un mois, je n’aurais jamais envisagé que Trump pouvait avoir la moindre chance de gagner, avoue Mark Derderian, un employé postal à la retraite. La lettre du FBI a été comme une bombe. » En annonçant le 28 octobre au congrès qu’il avait relancé l’enquête sur les courriels de l’ex-secrétaire d’Etat, le directeur du FBI, James Comey, a ouvert la porte à toutes les insinuations. Donald Trump utilise le terme de « criminelle » et ses amis parlent de procédure en destitution (impeachment) si elle est élue. En quelques jours, les démocrates, qui avaient un net avantage dans les votes anticipés dans le Colorado, ont été rattrapés par les républicains.

Parmi les démocrates qui attendent l’arrivée de Bill Clinton, vendredi 5 novembre à Denver, certains minimisent le dernier épisode du feuilleton des e-mails. « C’est très typique de cette campagne. Les questions de perception sont exacerbées. On ne sait même pas ce qu’il y a dans ces messages », évacue Ricardo Romo, 46 ans, analyste financier dans une caisse de retraite.
D’autres sont embarrassés. « C’est une question difficile, soupire Sruthi Thomas, une médecin de 33 ans. Dire qu’elle ne savait pas, ce n’est sûrement pas exact de la part de Hillary. De là à ce que ce soit le critère déterminant pour décider de voter pour elle ou pas… »

Mais le coup de théâtre a fait souffler un air de désenchantement. « Si elle gagne, la réaction va être : ouf ! ce n’est pas Trump, note Laura Romcevich. Le fait d’avoir élu une femme ne va pas être aussi extraordinaire, à cause de toute cette négativité ». Mark Derderian, qui avait soutenu Bernie Sanders pendant la primaire, trouve que Hillary Clinton aurait pu « faire une meilleure campagne. Elle a pris le Colorado pour acquis. Et ses publicités ne parlent que de Trump. Rien pour susciter l’enthousiasme ».

Un manque d’informations sur les amis de l’ennemi

Combien de garnisons, les Trumpistes ? Certains démocrates ont découvert avec consternation des sympathisants du magnat de l’immobilier dans leur entourage. « J’ai des collègues médecins qui sont pour Trump, s’exclame Katrina Walsh. Tout ça parce qu’ils n’aiment pas Obamacare ! » Ricardo Romo soupçonne ses voisins de rester à dessein sous le radar. « Ils ont peur de s’afficher mais je suis sûr qu’ils vont voter Trump. » Les républicains « ne sont pas fiers de leur candidat, mais ils sont tranquillement résolus, décrit Ron Ross. La réalité c’est que la culture change dans ce pays. L’élite blanche n’aime pas ça ».

Les deux hommes craignent des incidents le 9 novembre. « Il y a tellement de tensions autour de la question des armes à feu », décrit Ricardo. Comme avant – et après – chaque élection, les ventes d’armes ont augmenté dans le Colorado (15 % par rapport à la même époque de 2015). Même dans la circonscription d’Aurora, où a lieu la terrible fusillade du cinéma Century en 2012, les démocrates hésitent à mettre en avant la position – favorable à des contrôles universels – de Mme Clinton.

A chaque apparition, les Clinton sont harcelés par les protestataires. Le 1er novembre, à Aurora, Chelsea est interrompue par trois gaillards en short et T-shirt orange – couleur de l’uniforme des prisonniers – qui promènent une pancarte appelant à « en finir avec la corruption des Clinton ». Sous leurs cris, sa voix est inaudible. « C’est un jour un peu spécial pour ma famille, annonce-t-elle tristement. C’est le cinquième anniversaire de la mort de ma grand-mère. » Elle s’arrête. « Ils continuent à crier alors que je parle de ma grand-mère. Je n’aurais jamais pensé que je verrais une telle normalisation du discours de haine. » Chelsea n’a pas encore le cuir épais de sa mère mais il ne lui faut pas longtemps pour se reprendre. « Love Trumps Hate », dit-elle, en reprenant le slogan démocrate : « L’amour l’emporte sur la haine. Nous allons leur prouver. »

L’ironie de Bill Clinton à l’épreuve des attaques

Bill Clinton, lui aussi, est suivi par un quarteron de « patriotes » en pick-up. Devant la salle de concert de Five points, le quartier noir de Denver en voie de gentrification, l’un d’eux l’attend avec une pancarte montée sur le véhicule : « Don’t vote for a liar » (« Ne votez pas pour une menteuse »).

Devant un millier de sympathisants, le « prochain First gentleman » comme le présente le maire de Denver Michael Hancock, essaie de désamorcer les tensions. « Ne répondez pas de la même façon », presse-t-il. L’ancien président raconte des anecdotes, mimique une Hillary en sorcière manipulant la politique américaine « depuis 35 ans », si on en croit l’une des dernières publicités de Trump. « Trente-cinq ans, ironise Bill Clinton. Ça remonte au deuxième mandat de Ronald Reagan. »

A la sortie, les militants sont revigorés. Les aides de campagne proposent des tournées de collecte des bulletins (chaque personne peut apporter jusqu’à 10 bulletins au bureau de vote). La « majorité silencieuse », celle qui se terre en attendant son coup d’éclat du 8 novembre, n’est représentée que par une femme aux cheveux longs qui a roulé une affiche pour le tandem républicain en guise de porte-voix. Les quolibets fusent, les « we love you ». Une dame dans son 4x4 rutilant baisse sa vitre et lui lance avec mépris : « Et Trump ? Il ne t’a pas encore pelotée ? »