Foire AKAA : « Il faut faire attention à ce que l’Afrique ne devienne pas un effet de mode »
Foire AKAA : « Il faut faire attention à ce que l’Afrique ne devienne pas un effet de mode »
Propos recueillis par Roxana Azimi (contributrice Le Monde Afrique)
Rencontre avec Victoria Mann, directrice de la première édition du salon d’art contemporain africain au Carreau du Temple, à Paris.
Victoria Mann, fondatrice et directrice d’AKAA. | Roberta Valerio
La première édition de la foire d’art contemporain africain Also Known As Africa (AKAA) fut un rendez-vous terrible manqué. Initialement prévue en novembre 2015, la foire avait dû être annulée après les attentats du 13 novembre. Sa fondatrice et directrice, Victoria Mann, revient sur cet épisode tragique et l’organisation de cette seconde « première » édition d’AKAA, qui se déroulera au Carreau du Temple du 11 au 13 novembre à Paris.
Après l’annulation de 2015, a-t-il été difficile de convaincre les galeries de revenir ?
Victoria Mann En janvier et en février, on sentait une inquiétude. Les gens se posaient une question : « Et si ça se reproduisait ? » Aujourd’hui, nous avons compris que nous vivons dans un monde où cela peut arriver. Nous avons gardé la confiance des galeries car nous avons intégralement remboursé leurs frais de participation. Elles ont vu qu’on prenait nos responsabilités. Du coup, 67 % des exposants prévus en 2015 sont de retour. Certains ne sont pas revenus pour des raisons de date, d’autres parce qu’elles participent à la foire Paris Photo qui a lieu en même temps.
Pourquoi avez-vous choisi de mettre en exergue à l’entrée de la foire l’œuvre de l’artiste algérien Rachid Koraïchi, « Les Maîtres de l’invisible », quatre-vingt-dix-neuf bannières en coton qui traitent de l’islam ?
Rachid Koraïchi aborde de manière subtile des sujets qui, en France, peuvent être considérés comme délicats. Je veux parler d’une religion malmenée par des gens qui ont pour agenda la terreur. L’islam est devenu tabou en France, mais cette religion apporte un message de paix.
Comment vous situez-vous par rapport à la foire 1:54 qui a lieu à Londres et à New York ?
Nous n’avons que six ou sept galeries en commun. Notre différence tient à la diversité des artistes qu’on expose. Il est clair que nous sommes sur une même niche, mais nous regardons l’Afrique comme un thème et non comme une condition. Les artistes présents sur AKAA sont du continent, de la diaspora ancienne ou récente, mais ils peuvent aussi venir de tout autre horizon et travailler sur cette question.
Comment expliquez-vous la frénésie des foires consacrées à l’Afrique, sans parler d’une succession d’expositions en 2017 à Paris avec le continent pour sujet ? Le soufflé ne risque-t-il pas de retomber ?
Le marché est assez vaste pour accueillir plusieurs initiatives, mais j’espère que les choses ne vont pas se dégonfler. Il faut faire attention à ce que ce ne soit pas un effet de mode. Un tel effet peut ennuyer. Il ne faut pas que les gens aient envie de passer à autre chose. C’est important qu’il y ait eu une partie consacrée à l’Afrique à l’Armory Show, qu’il y en ait un sur Art Paris. Mais c’est le rôle d’une foire comme la nôtre d’assurer une pérennité. Mon but est de structurer suffisamment AKAA pour qu’elle puisse évoluer. Un jour, elle ne sera peut-être plus centrée sur l’Afrique. Si je me rends compte à un moment qu’on n’a plus besoin d’une foire dédiée au continent, le salon évoluera. Il sera peut-être dédié aux pays du Sud, au sens large. Je ne vois pas AKAA disparaître, mais se métamorphoser.
Malgré cet engouement, les artistes africains, et plus encore les galeries du continent, sont peu présents dans les grandes foires internationales…
Il faut être réaliste, il y a beaucoup d’artistes en Afrique, mais peu de galeries, sauf en Afrique du Sud. Des foires comme Frieze ou la FIAC sont beaucoup trop chères pour les galeries africaines qui ont des frais importants de transport, de séjour, etc.
Justement, avez-vous consenti des facilités à vos quinze exposants africains ?
Certaines ont une trésorerie précaire, et nous avons fait un effort commercial pour que les galeries d’Afrique puissent être présentes. Nous avons fait des remises au cas par cas. Il faut être solidaire.
Le dernier rapport sur le marché de l’art africain fait état d’un boom des prix de 200 % à 400 %. Qu’en pensez-vous ?
Je pense qu’il y a encore un énorme travail à faire. Il faut davantage de galeries, de collectionneurs sur le continent. Mais, dans le même temps, les galeries qui ouvrent en Afrique ont de l’audace et prennent plus de risques que les galeries du même âge à Londres ou à New York. Addis Fine Art est en cela exemplaire. En 2016, elle a participé à trois foires, à New York, à Londres et à Paris. Elle se bat pour ses artistes, elle est dynamique, alors qu’elle est la seule galerie d’Addis-Abeba. D’un côté les choses vont vite, de l’autre ça prend son temps.
AKAA, du 11 au 13 novembre, Carreau du Temple, 4, rue Eugène-Spuller, 75003 Paris, www.akaafair.com.