Quelques heures durant, la rumeur a annoncé sa venue à Kigali, la capitale rwandaise où se tient jusqu’au lundi 18 juillet le 27e sommet de l’Union africaine (UA). Le souverain chérifien n’a finalement pas fait le déplacement mais c’est par un courrier remis au Tchadien Idriss Déby, le président en exercice de l’organisation panafricaine, que Mohammed VI a confirmé sa volonté de voir le Maroc réintégrer l’UA.

Trente-deux ans après que son père, Hassan II, en avait claqué la porte avec fracas. Il s’agissait alors de protester contre l’admission au sein de ce qui était encore l’Organisation de l’unité africaine (OUA) de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), dont l’indépendance avait été proclamée par le Front Polisario (Front populaire pour la libération de la Saguia Al-Hamra y Rio de Oro).

« Détournement de mineur »

Les trois décennies de politique de la chaise vide ayant été infructueuses pour faire valoir les revendications marocaines sur le Sahara occidental, Rabat entend donc désormais retrouver « sa place naturelle au sein de sa famille institutionnelle », comme l’écrit le roi du Maroc dans ce message publié par l’agence marocaine de presse MAP. Cependant, le changement de stratégie ne s’accompagne pas d’une renonciation sur cette ancienne colonie espagnole dont le Maroc occupe la majeure partie du territoire.

Après avoir expliqué que « la reconnaissance d’un pseudo Etat était dure à accepter par le peuple marocain » – Mohammed VI la qualifie tout à tour de « blessure », de « coup d’Etat contre la légalité internationale », de « tromperie », voire d’« un acte comparable à un détournement de mineur, l’OUA étant encore adolescente à cette époque » –, le monarque considère que « le temps est venu d’écarter les manipulations, le financement des séparatismes, de cesser d’entretenir, en Afrique, des conflits d’un autre âge ».

S’il ne réclame pas directement l’exclusion de la RASD comme condition du retour marocain dans les instances de l’UA, le souverain chérifien ne tait pas ses critiques à l’égard de l’organisation panafricaine.

« Sur la question du Sahara, l’Afrique institutionnelle ne peut supporter plus longtemps les fardeaux d’une erreur historique et d’un legs encombrant. L’Union africaine n’est-elle pas en contradiction évidente avec la légalité internationale puisque ce prétendu Etat n’est membre ni de l’Organisation des Nations unies, ni de l’Organisation de la coopération islamique, ni de la Ligue des Etats arabes, ni d’aucune autre institution sous-régionale, régionale ou internationale ? (…) L’Union africaine se trouve aussi en total décalage avec l’évolution de la question du Sahara, au niveau des Nations unies. Un processus est en cours, sous la supervision du Conseil de sécurité, pour parvenir à une solution politique définitive de ce différend régional. » 

Puis de conclure en exposant ses intentions sans précaution oratoire :

« Après réflexion, il nous est apparu évident que quand un corps est malade, il est mieux soigné de l’intérieur que de l’extérieur. »

Le Front Polisario, soutenu sur ce point par les Nations unies et une partie de l’Union africaine, réclame un référendum d’autodétermination, constamment bloqué par Rabat, qui propose en échange une large autonomie mais maintenue sous sa souveraineté.

Une minute de silence et trois jours de deuil

Le Maroc peut se féliciter que la cause de l’indépendance sahraouie, historiquement appuyée par le rival algérien, ait perdu ces dernières années des soutiens sur la scène internationale, notamment sur le continent africain – 18 des 54 membres de l’UA la reconnaisse encore, soit 8 de moins qu’en 1984 –, mais il est encore loin d’avoir fait valoir son point de vue. En effet, si Rabat dispose d’amis influents en Afrique de l’Ouest comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal, ou en Afrique centrale comme le Gabon ou le Congo-Brazzaville, et a préparé l’annonce de son retour en multipliant l’envoi de délégations sur le continent, des puissances africaines comme l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Ethiopie et bien sûr l’Algérie demeurent jusque-là favorables aux velléités indépendantistes sahraouies. Comme un symbole, le sommet à Kigali s’est ainsi ouvert dimanche par une minute de silence en l’honneur de Mohamed Abdelaziz, le président de la RASD et secrétaire général du Front Polisario, décédé le 31 mai, et la présidente de la Commission de l’UA sur le départ, la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, qui avait décrété un deuil de trois jours après la mort du leader indépendantiste n’a cessé d’encourager « le peuple sahraoui et ses alliés à poursuivre la lutte pour leur droit à l’autodétermination et à l’indépendance. »

« Après réflexion, il nous est apparu évident que quand un corps est malade, il est mieux soigné de l’intérieur que de l’extérieur » Mohamed VI

Suffisant pour inquiéter la délégation marocaine, composée notamment du conseiller diplomatique du roi, Taïeb Fassi-Fihri, et du chef de la diplomatie, Salaheddine Mezouar, qui s’est rendue à Kigali ? Sûrement pas, assure le sherpa d’un président d’Afrique de l’Ouest : « Le retour du Maroc dont on discutait jusque-là dans les couloirs n’est désormais plus qu’une question de mois. » Pour que le Maroc, dont l’influence économique et diplomatique n’a cessé de croître ces dernières années en Afrique, ne soit plus le seul Etat du continent absent de l’organisation panafricaine, il devra au préalable obtenir l’approbation de la majorité des Etats membres de la Commission de l’UA. Ce vote, que plusieurs sources considèrent comme une formalité, pourrait intervenir en janvier 2017 lors du prochain sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba. Cette fois, Mohammed VI fera peut-être le voyage, mais une question demeure : le monarque acceptera-t-il de siéger aux côtés de Brahim Ghali, le nouveau chef du Polisario ?