Ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères et de la coopération du Maroc, Nasser Bourita, expose les motivations de la demande du Maroc pour un retour au sein de l’Union africaine (UA), que le royaume a quittée en 1984 après la décision de l’organisation de reconnaître la République arabe sahraouie démocratique (RASD).

Le roi Mohammed VI a prononcé le traditionnel discours du trône du 6 novembre depuis Dakar au Sénégal. Pourquoi un tel choix ?

Nasser Bourita C’est inédit et ça s’explique par le contenu du discours, qui est essentiellement centré sur la politique africaine du Maroc. D’autre part, nous sommes dans une séquence africaine. En juin et en juillet, il y a eu l’annonce d’un retour du Maroc au sein de l’UA. Puis une réadaptation du corps diplomatique avec un changement de 80 % des postes en Afrique et l’ouverture de cinq nouvelles ambassades en Tanzanie, au Rwanda, au Mozambique, à l’île Maurice et au Bénin. Il y a ensuite eu une tournée, particulière, car elle touche un espace, l’Afrique de l’Est, qui était considéré comme un espace inaccessible pour le Maroc. Cette tournée se termine à Dakar et sera suivie par un sommet africain [le 16 novembre à Marrakech] dans le cadre de la COP22. Il est prévu que la tournée reprenne après la COP avec déjà une visite prévue en Ethiopie. Et la perspective d’un retour effectif à l’UA l’année prochaine.

Enfin, il y a une dimension africaine forte dans la question du Sahara : depuis que ce différend régional a été créé, la bataille diplomatique – en termes de reconnaissance – s’est déroulée en Afrique. Et après toutes les évolutions qu’a connues le dossier, l’UA est restée le seul cheval de bataille de nos adversaires. C’est à travers l’UA que passent les positions les plus radicales. C’était donc normal d’aller là où ce combat se trouve. Enfin, il y a des liens forts entre le Maroc et le Sénégal : il défend la position marocaine, et c’est un visage de l’afro-optimisme, un pays qui connaît une stabilité politique, des performances économiques et une paix sociale.

Le roi a annoncé un élargissement de la politique africaine du royaume à l’ensemble du continent. Le Maroc se tourne notamment vers l’Afrique de l’Est. Pourquoi ?

C’est un seuil normal que vient de franchir la politique africaine du Maroc. Après quinze ans d’investissement en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, le Maroc a su démontrer la crédibilité de son action : il est le premier investisseur africain en Afrique de l’Ouest, ses entreprises sont très présentes en Afrique centrale, il a aussi une forte présence au niveau politique et religieux. On est à la veille d’un passage à un palier supérieur avec une politique continentale. Aujourd’hui, c’est l’Afrique de l’Est, demain ce sera l’Afrique australe. Deuxième aspect de ce nouveau palier : le Maroc souhaite s’inscrire dans les problématiques globales qui vont façonner l’Afrique de demain à savoir la question migratoire, la lutte contre le terrorisme, les changements climatiques.

Le Maroc a annoncé en juillet son intention de réintégrer l’UA qu’il avait quittée en 1984. Pourquoi ce revirement ?

La politique africaine du Maroc est arrivée à maturation. On ne pouvait pas le faire en 2000, car un certain nombre de conditions n’étaient pas réunies. La diplomatie, c’est comme l’agriculture : il faut cueillir le fruit au bon moment, ni avant ni après.

D’autre part, nous avons constaté que l’institution est en déphasage avec les positions des pays : 34 pays africains ne reconnaissent pas l’entité [la RASD]. Il est normal que le Maroc puisse défendre lui-même ses positions depuis l’intérieur de l’organisation. Ça ne pouvait pas se faire avant. Tout cela se construisait depuis un certain temps. Ce n’est ni tactique, ni conjoncturel, mais l’aboutissement d’un processus.

Le Maroc est-il prêt à siéger aux côtés de la RASD ?

Sa Majesté le roi a été très clair : le retour à l’UA ne change en rien les fondamentaux du Maroc sur le Sahara. Le Maroc travaillera pour une mise en adéquation entre les positions de l’organisation, les exigences de la légalité internationale et les positions du dossier lui-même. Un exemple : aujourd’hui, l’Afrique est engagée dans sept processus régionaux : avec l’Union européenne, le Japon, la Chine, l’Inde… Dans ces réunions, il y a l’UA, moins cette entité, plus le Maroc. C’est donc assumé par l’Afrique. Alors pourquoi rester dans cette schizophrénie ? C’est cette clarification que le Maroc veut apporter. La chaise vide ne donne pas tout le temps de bons résultats. L’Afrique de 1984 était différente : idéologique, non démocratique. Aujourd’hui, il y a une nouvelle génération, plus pragmatique, débarrassée de ses considérations idéologiques.

Quelles sont les prochaines échéances en vue de cette réintégration ?

La procédure veut que la présidence de la Commission de l’UA reçoive la demande puis recueille les réactions des pays membres, et lorsque le seuil de 28 Etats est atteint, le pays qui en fait la demande est admis. Pour le Soudan du Sud, le processus a pris trois semaines entre le dépôt de la demande et la notification finale d’admission. Pour le Maroc, pour une raison bizarre, la demande a été mise dans un tiroir pendant plus d’un mois. C’est pourquoi il y a eu l’appel téléphonique entre le roi et le président en exercice de l’Union africaine, le Tchadien Idriss Déby, pour attirer son attention. Nous savons que les missions permanentes commencent à recevoir la demande. Le Maroc est confiant.

Vous estimez que certains pays agissent en coulisses pour l’empêcher ?

Qu’il y ait déjà un mois de retard dans le processus est pour nous inexplicable. C’est un premier signal qu’il y a des manipulations, qu’on ne laisse pas les pays africains exprimer leur position. Le Maroc est chez lui en Afrique.