C’était le 13 novembre
C’était le 13 novembre
Par Benoît Hopquin
Editorial. Un an après, l’onde de choc des attentats continue de se propager dans la société française. Mais il est encore délicat d’en mesurer les conséquences à long terme.
Editorial du supplément du « Monde ». Un an. A l’échelle de l’Histoire, c’est hier. Un si bref laps de temps est insignifiant. Alors comment savoir ce que pèseront dans la mémoire nationale les attentats de Paris et de Saint-Denis, les 130 morts de ce 13 novembre 2015 ? Comment tirer – si vite – des leçons, mesurer, presque à chaud, les conséquences de ce drame ?
N’avait-on pas dit des attentats de janvier 2015 qu’ils avaient créé en France un « avant » et un « après » ? Que les tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher avaient créé une césure dans notre République? C’était notre 11-Septembre, assenait-on. On s’apprêtait à commémorer le premier anniversaire de cette triste page qu’une plus triste encore s’ouvrait le 13 novembre et l’éclipsait presque.
Que restera-t-il de cette soirée, une fois asséchée de ses larmes, débarrassée de sa gangue d’émotion ? Avec le temps, vient l’oubli.
Rien n’est définitif, pas même le deuil. La France et sa capitale cultivent toujours cette capacité à l’insouciance, cette résilience par la légèreté. « Paris est une fête », n’est-ce pas ?, comme le dit le livre d’Ernest Hemingway devenu symbole de résistance, pied de nez aux terroristes, ouvrage salvateur que des anonymes sont venus déposer sur l’autel improvisé devant le Bataclan. Mêmes les touristes, ces hirondelles de bon augure, reviendront.
Et pourtant. Fût-ce avec si peu de recul, en ce simple lendemain, il est quelques indices qui laissent penser que quelque chose s’est bien brisé ce 13 novembre. Et ce n’est pas faire injure aux 86 victimes de l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016, aux policiers égorgés en banlieue parisienne, au prêtre immolé à Saint-Etienne-du-Rouvray que de dire que ces nouveaux attentats ont été vécus comme une suite prévisible, une sordide réplique de l’événement. La France a découvert que le terrorisme n’était plus ciblé, « réservé » aux juifs, aux journalistes, aux flics. Il devenait, si ce n’est le quotidien, du moins le possible de chacun, partout.
Uppercut pour la société française
Les attentats du 13 novembre ont tué. Ils ont ravagé les vies de blessés qui n’en ont pas tous fini avec les opérations et les soins. Ils ont fait plier sous le poids de l’absence les existences de femmes, d’hommes et d’enfants qui ont perdu un ou plusieurs proches. Ils savent tous, un an après, qu’ils ne s’en remettront jamais tout à fait. Ils nous l’ont dit avec des mots sans amertume, simples, beaux, recelant une force incoercible.
Mais ils ne sont pas les seuls qui vivront encore longtemps avec cette pesanteur. La société française a encaissé un uppercut. Tout le monde ne possède pas la force physique et morale de Didi, le videur du Bataclan : pour la réouverture de la salle de spectacle, il a prévu de franchir ce 12 novembre 2016 l’entrée par où il avait vu surgir les tueurs. D’autres ont digéré plus mal l’horreur vécue, presque en direct, des explosions au Stade de France à la traque dans les rues de Molenbeek.
De simples citoyens interrogés par Le Monde, principalement des jeunes gens qui ont l’âge des victimes parisiennes, racontent comment l’événement a altéré leur vie. Comment il a instillé des peurs insidieuses, de nouveaux réflexes ou des résolutions fortes. Des Français de confession musulmane disent également comment a changé le regard porté sur eux.
Les attentats ont aussi eu des conséquences politiques dans un pays en état d’urgence depuis un an. Durcissement des discours et des lois, relativisation des libertés publiques au profit de la sécurité, grignotage de certains principes au nom de la lutte antiterroriste. Des assignés à résidence décrivent leur quotidien, parfois frappé d’arbitraire. Le mythe de l’union nationale, caressé après les attentats de janvier 2015, n’a pas survécu au coup de boutoir du 13-Novembre. Le drame n’a fait qu’aggraver les antagonismes. Jusqu’où, pour combien de temps ? Difficile encore à dire, à si faible distance, presque à brûle-pourpoint. Un an, c’est vraiment trop peu.