Champion de l’optimisation fiscale à titre personnel, Donald Trump qui, selon le New York Times, a évité de payer – en toute légalité – l’impôt fédéral pendant près de vingt ans, inquiète les pays à faible fiscalité et les paradis fiscaux.

Le président élu, dont le programme économique est parfois flou, a été très clair durant sa campagne sur la question de l’impôt sur les sociétés (IS). Il a déclaré vouloir abaisser le taux d’imposition sur les sociétés de 35 % à 15 %. Il veut aussi inciter les multinationales américaines qui gardent leurs liquidités à l’étranger à les rapatrier, en leur offrant un taux unique de 10 % pour une durée limitée. Cette politique a été confirmée par Anthony Scaramucci, un conseiller économique de M. Trump, dans un article publié dans le Financial Times vendredi 11 novembre.

Des intentions qui font frémir en Irlande. Le député Michael McGrath a été l’un des premiers à s’en inquiéter. Les conséquences seront « potentiellement très sérieuses pour nous », a-t-il averti sur Twitter dès mercredi. « Les investissements étrangers, notamment américains, sont très importants pour l’Irlande, et notre taux d’imposition stable à 12,5 % en est l’une des clés, explique-t-il au Monde. Si les Etats-Unis réduisent leur taux d’imposition de moitié, cela pourrait pousser des entreprises américaines à déplacer certaines activités chez eux et à y rapatrier une partie de leurs bénéfices. Nous devons être extrêmement vigilants. » Tom White, du cabinet de conseil Global Counsel, basé à Londres, confirme. « Pour l’Irlande, les investissements déjà présents ne sont pas en danger, mais le flot de nouveaux investissements étrangers risque de se réduire. »

Taxation sur les entreprises très élevée aux Etats-Unis

L’une des raisons qui expliquent le développement des paradis fiscaux depuis plusieurs décennies est la politique fiscale américaine. Face à une taxation sur les entreprises très élevée aux Etats-Unis, les multinationales préfèrent conserver à l’étranger leurs bénéfices réalisés hors du pays. Les places offshore, qui ont une fiscalité nulle, leur offrent un refuge parfait. Les îles Caïmans ou les îles Vierges britanniques en sont deux des exemples les plus connus.

L’Irlande, qui n’est pas un paradis fiscal au sens strict puisque les entreprises basées sur son territoire y réalisent une activité réelle, risque de perdre une grande partie de son avantage comparatif si la différence entre son taux d’IS et celui pratiqué par les Etats-Unis se réduit fortement. Et c’est une partie de son business model qui se retrouverait mis en cause.

Selon Capital Economics, les multinationales américaines possèdent actuellement 2 500 milliards de dollars (2 300 milliards d’euros) hors des Etats-Unis, une somme monumentale, équivalent à 14 % du PIB américain. Apple est l’une des entreprises les plus connues à pratiquer cela : à elle seule, elle possède plus de 200 milliards de dollars à l’étranger. Son patron, Tim Cook, a explicitement affirmé, à plusieurs reprises, qu’il ne rapatrierait pas cet argent au taux d’imposition actuel.

« La réforme fiscale va sans doute être une priorité »

Même Richard Murphy, de l’association Tax Justice Network et politiquement très opposé à M. Trump, estime que l’équilibre des paradis fiscaux pourrait s’en trouver bousculé. Si la réforme se fait, le prochain président « va de facto mettre fin à l’abus des paradis fiscaux que font Apple et Google », estime-t-il.

M. Trump n’est pas le premier président américain à envisager une telle réforme, très difficile politiquement. Mais après cette élection, il a peut-être une chance d’y arriver. « Avec les Républicains majoritaires au congrès et à la Maison Blanche, la réforme fiscale va sans doute être une priorité », estime Jon Taub, du cabinet de conseil Deloitte. Une telle réforme pourrait avoir de sérieuses répercussions sur le système fiscal mondial. « On risque d’entrer dans une nouvelle ère d’unilatéralisme fiscal », estime M. White.

En clair, cela pourrait relancer la guerre fiscale entre les pays. Cela serait une très mauvaise nouvelle pour le projet de coordination fiscale en cours au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Officiellement adopté par le G20 en 2015, après des années de dures négociations, il reste encore à mettre en œuvre.