La présidente éthiopienne, Sahle-Work Zewde, à Addis-Abeba, le 25 octobre 2018. / Tiksa Negeri / REUTERS

« J’ai un pouvoir : celui d’avoir une torche très puissante. Je peux mettre la lumière sur des domaines qui restent dans l’ombre. » Interrogée par TV5, RFI et Le Monde, pour l’émission « Internationales » du 10 mars, la présidente de l’Ethiopie, Sahle-Work Zewde, élue en octobre 2018, a bien l’intention de ne pas en rester à la définition traditionnellement symbolique de sa fonction.

Dès son élection, cette diplomate de carrière, âgée de 69 ans, avait promis de se « concentrer sur le rôle des femmes en vue d’assurer la paix ». Si la parité est strictement respectée au sein du gouvernement éthiopien, depuis l’arrivée du jeune premier ministre, Abiy Ahmed, 42 ans, la société, elle, reste profondément patriarcale, et les mariages forcés comme l’excision sont toujours des pratiques courantes, bien qu’interdites par la loi, dans ce vaste pays de 105 millions d’habitants.

« Il faut fondamentalement changer le statut de la femme. Toutes ces pratiques nocives liées à la culture, aux coutumes, ce n’est pas la force de la loi qui peut les faire changer, ce sont les mentalités », a-t-elle réaffirmé, dimanche, consciente que le levier reste l’éducation et le déverrouillage déjà à l’œuvre de la société.

Pour renforcer la société civile, la seule femme aujourd’hui à la tête d’un Etat africain a rappelé qu’elle venait juste « de signer une nouvelle loi qui donne les recours à quiconque veut s’organiser pour mener des actions sociales concrètes ». Et d’ajouter : « Il y a beaucoup de bonnes volontés, mais la législation ne les a pas aidées à sortir de l’ombre. » Mme Zewde fait allusion au texte qui vient d’être abrogé et qui restreignait les activités des organisations non gouvernementales, les empêchant notamment de percevoir des subventions venues de l’étranger.

L’Ethiopie – qui reçoit Emmanuel Macron pour une visite officielle, mardi 12 mars, avec dîner au palais national et rencontre, le lendemain, au siège de l’Union africaine – est un pays en mutation accélérée depuis l’arrivée du nouveau chef du gouvernement. Dans cet Etat fragmenté, qui a du mal à se penser en nation, Sahle-Work Zewde a déclaré souhaiter le retour d’« une cohésion nationale », afin « que nous puissions relever les défis auxquels le pays fait face ».

Affrontements communautaires

Des mots qui ont une résonance toute particulière alors que, pour la première fois, l’ethnie oromo, la première du pays, est au pouvoir avec Abiy Ahmed, certes, mais sans résoudre les conflits. D’ailleurs, les affrontements intercommunautaires ont entraîné des déplacements massifs de populations ces dernières années et depuis l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed, plus d’un million de personnes supplémentaires sont venues rejoindre les deux millions de déplacés internes qui survivent dans des camps de fortune.

« On veut aller loin, vite, mais n’oublions pas d’où l’on vient, a aussi déclaré la chef d’Etat. Il y a deux ou trois ans, l’Ethiopie était au bord du précipice. J’irais même plus loin : on a vu le fond de l’abîme. Les états d’urgence, les tensions interethniques… On a poussé à outrance cette ethnicité qui a fait qu’on s’est entre-tués de façon abominable. »

L’ouverture démocratique a permis, selon elle, d’insuffler une nouvelle dynamique. « Les pays voisins ne sont plus des bases arrières pour des combattants », rappelle-t-elle en faisant référence à l’Erythrée, avec qui l’Ethiopie a signé la paix, en juillet 2018, après vingt années de guerre. Les dirigeants des anciens groupes armés, considérés auparavant comme des terroristes, sont même rentrés au pays sur invitation du premier ministre.

Prudente, la présidente a aussi rappelé que si Abiy Ahmed « a tiré le pays de ce précipice », « ce n’est pas pour autant que les problèmes sont résolus ». Et, en effet, dans les mois à venir, des élections générales, visant à renouveler la Chambre basse du Parlement, sont prévues. Elles devraient se dérouler en 2020, mais certains membres de l’opposition en demandent le report. « C’est à la commission électorale nationale éthiopienne de se déterminer. On a des élections, on veut y aller », a assuré la dirigeante, pour qui la stabilité du pays dépend de ce scrutin. De même que le sort des femmes éthiopiennes qui, comme Mme Zewde le déclarait dans son discours d’investiture, sont toujours « les premières victimes de l’absence de paix ».