Les Archives nationales à la recherche de « petits trésors » d’Afrique
Les Archives nationales à la recherche de « petits trésors » d’Afrique
Par Laurence Caramel
La 3e édition de la Grande Collecte invite le public à verser aux Archives les documents évoquant les relations de la France avec le continent aux XIXe et XXe siècles.
Plaque de verre représentant une scène de la vie quotidienne en Guinée, issue du fonds Aimé-Olivier de Sanderval, 1880-1919. | Archives départementales du Calvados
L’Afrique est à l’honneur de la troisième Grande Collecte organisée par les Archives nationales du vendredi 18 novembre au dimanche 20 novembre. Pendant trois jours, les Français comme les étrangers vivant en France pourront venir déposer dans la centaine de lieux ouverts pour l’occasion des « souvenirs de famille, courriers, documents de voyage, photographies… » composant la mémoire individuelle des « relations entre l’Afrique et la France au XIXe et XXe siècles ». Tous les aspects – politiques, culturels, économiques, migratoires, etc. – de cette histoire mêlée des deux continents sont concernés.
Ces objets viendront enrichir les fonds des services publics d’archives jusqu’à présent constitués dans leur quasi-totalité par des documents administratifs retraçant, notamment, l’expansion coloniale française. Les Archives nationales d’outre-mer (ANOM), installées à Aix-en-Provence depuis 1966, conservent ainsi les archives des ministères chargés de l’empire colonial et de l’Algérie. Les archives concernant les protectorats exercés sur le Maroc et la Tunisie sont entreposées au Centre des archives diplomatiques de Nantes.
« Leur part de vérité »
L’objectif de la Grande Collecte est de faire remonter une autre mémoire qui ne se limite pas au fait colonial et fasse une place aux parcours individuels. « Nous nous sommes aperçus qu’il nous manque la dimension sensible des relations entre les deux continents. Une histoire qui témoigne des hommes et des femmes pris dans ces conflits, ces migrations, explique Hervé Lemoine, directeur des Archives de France. C’est aussi notre responsabilité de donner à nos chercheurs des récits subjectifs. Ils ont leur part de vérité. » Des consignes ont été données aux archivistes qui accueilleront le public pour expertiser leur legs de se tenir prêts à enregistrer des témoignages oraux lorsqu’ils identifieront des histoires singulières.
En 2013 et en 2014, les deux premières opérations de Grande Collecte avaient été consacrées à la première guerre mondiale et avaient attiré 20 000 personnes puis conduit à la numérisation de 350 000 documents. Cette fois-ci, le directeur des Archives nationales reconnaît devoir mener un exercice moins balisé dont l’une des difficultés est de parvenir à atteindre des publics qui ignorent l’existence des services d’archives. Outre l’information diffusée sur plusieurs chaînes de télévision et sur des radios comme Radio France internationale (RFI), Hervé Lemoine compte sur le travail fait sur le terrain par les réseaux associatifs. « Par capillarité, nous espérons toucher des publics moins habituels pour nous », précise-t-il. La collecte se poursuivra pendant plusieurs semaines au-delà du 20 novembre pour tous ceux qui n’auraient pu participer à l’événement de ce week-end.
Femme et enfant d’un Beninois émigré en France envoyée sans doute à l’occasion du jour de l’An. Photographie du studio Photo Biova de Cotonou, 5 janvier 1982. Fonds Manuel Charpy donné aux Archives nationales en 2016. | Archives nationales
A Troyes, les archives départementales se sont rapprochées des associations d’anciens combattants, mais aussi d’associations culturelles et d’entraide. « Nous voulions impliquer les populations d’origine africaine au-delà de la mémoire des conflits. Et ce qui a surgi, ce sont de multiples lieux de solidarité créées à partir des années 1970 », raconte son directeur Nicolas Dohrmann en citant l’association Aube-France–Mbour-Sénégal ou l’Association Fraternelle Bouilly et Environ Bougnounou avec le Burkina Faso.
Histoire « par le bas »
Des chercheurs ont déjà promis de verser aux fonds publics leurs propres archives comme ces correspondances sous forme de « cassettes courriers » qu’envoyaient les travailleurs migrants nigériens à leur famille dans les années 1980. Cette histoire entre la France et l’Afrique racontée « par le bas » est celle qui nous intéresse tout particulièrement, insiste l’historien Jean-Pierre Bat, qui fait partie du comité scientifique de la Grande Collecte : « Par-delà les grands moments politiques, il existe une mémoire citoyenne qui reste méconnue et qui peut être difficile à transmettre. » Dans les classes de troisième des collèges, les professeurs ont été invités à organiser une heure de débat à partir des archives ou des témoignages que les élèves apporteront.
L’exercice ne va pas nécessairement dans le sens de la pacification des mémoires, mais, pour Philippe Artières, directeur de recherche au CNRS, il témoigne d’une volonté d’« assumer enfin le fait colonial alors que la société française s’y est toujours montrée très résistante. La colonisation, comme la première guerre mondiale, est un fait global de notre histoire. Dans chaque famille il existe un souvenir, un lien avec les colonies ».
Dans les lieux les plus directement liés à notre histoire coloniale comme Bordeaux, les archivistes comptent voir sortir des greniers les récits de quelques personnages : des diplomates, des négociants, par exemple. « Nous avons l’espoir de voir émerger des petits trésors », avoue Pascal Geneste, directeur adjoint des archives départementales de Gironde.
Saliou Mbaye, ancien directeur des Archives du Sénégal et également membre du comité scientifique, voit un autre enjeu de cette Grande Collecte : « Elle permettra peut-être de montrer que les Africains font partie de cette histoire commune en leur reconnaissant une place » qui leur est encore trop souvent déniée.