La volatilité de l’électorat est plus importante dans une primaire, selon le directeur d’Ipsos
La volatilité de l’électorat est plus importante dans une primaire, selon le directeur d’Ipsos
Les votants n’ont pas le sentiment de trahir en passant de Juppé à Fillon ou à Sarkozy comme s’il franchissaient la barrière gauche-droite, décrypte Brice Teinturier, directeur d’Ipsos.
François Fillon, le 9 novembre à Lille. | PHILIPPE HUGUEN / AFP
Par Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos France
Depuis le mois de janvier, mais surtout depuis la rentrée de septembre et le commencement véritable de la campagne, la fluidité électorale entre les candidats à la primaire est extrêmement importante. L’écart entre Alain Juppé et Nicolas Sarkozy était par exemple de 4 points en septembre ; il s’est élargi à 11 points en octobre ; il s’est resserré à 7 points en novembre. Il y a un mois, 18 points séparaient le troisième homme, François Fillon, du deuxième, Nicolas Sarkozy ; aujourd’hui, 7 points. En juin, Bruno Le Maire obtenait potentiellement 16 % des suffrages, en novembre 7 %.
8e vague électorale française 2017 Ipsos - Sopra Steria, Cevipof et "Le Monde" | Ipsos-Sopra Steria, Cevipof et « Le Monde »
Ces mouvements extrêmement forts et rapides sont liés à la nature même de l’élection. Nous n’avons cessé de le répéter depuis le début de cette campagne, mais redisons-le : lorsque l’élection se joue au sein d’une même famille politique, la fluidité électorale est maximale. En effet, les électeurs n’ont pas le sentiment de « trahir », en passant de Juppé à Fillon ou à Sarkozy, comme s’ils franchissaient la « barrière » gauche-droite.
Ils expriment donc surtout des préférences entre des candidats qui appartiennent au même camp (même s’ils n’ont pas exactement le même positionnement ni la même personnalité), qu’ils connaissent souvent depuis longtemps et qui sont à leurs yeux tous légitimes. Certes, certains candidats polarisent davantage. Certes, il existe des électeurs irréductibles qui ne changeront jamais de candidats. Mais, globalement, la volatilité est très forte parce que l’élection se joue au sein d’une même famille politique.
Les électeurs évoluent donc en fonction de trois grands facteurs : la conjoncture ou l’actualité ; les événements spécifiquement liés à la campagne ; les meetings et les débats télévisés. L’actualité, ce peut être, par exemple et pendant une semaine, le retour sur la scène médiatique de l’affaire Bygmalion et les déclarations de Patrick Buisson. La campagne, la controverse posée par Nicolas Sarkozy sur le soutien de François Bayrou à Alain Juppé. Les débats télévisés, la révélation d’un manque de crédibilité de tel ou tel sur un point programmatique ou au contraire une posture appréciée. Tout cela avec l’arrière-plan de la présidentielle à venir et d’éventuelles considérations tactiques. En résumé, beaucoup d’éléments qui interagissent.
Le caractère liquide de cette élection est donc consubstantiel à sa nature et à ce qui fait bouger les lignes. Cela avait déjà été le cas en 2011 lors de la primaire de la gauche. Souvenons-nous, par exemple, du décollage fort et rapide d’Arnaud Montebourg à l’issue des débats.
Trois scénarios possibles
La difficulté et la seconde caractéristique de cette élection est que plus on approche du scrutin, plus le vote devrait malgré tout se cristalliser. Or, ce n’est pas le cas. Pire, c’est même l’inverse ! Pourquoi ? Parce que, là encore, il ne faut pas raisonner comme pour une élection présidentielle. Dans cette dernière, les choses se structurent très en amont et pèsent lourdement. La campagne peut les rééquilibrer, beaucoup plus rarement les inverser. Dans une primaire, c’est le contraire. C’est la campagne qui joue le plus.
Nous en avons la preuve ces derniers jours : la montée en puissance très rapide de François Fillon (+ 10 points par rapport à la vague précédente) l’installe maintenant aux portes d’une possible qualification pour le second tour, à 7 points de Nicolas Sarkozy. Et en calculant, comme Ipsos l’a fait, le socle de chaque candidat et son potentiel de hausse, on voit bien que trois scénarios sont parfaitement possibles : celui d’une belle troisième place pour François Fillon, mais sans qualification pour le second tour ; celui d’une qualification où il coifferait sur le poteau Nicolas Sarkozy ; mais aussi celui d’une qualification au détriment d’Alain Juppé, certes moins probable mais également possible. Trois scénarios qui peuvent de surcroît être impactés si la mobilisation évolue.
L’histoire n’est pas encore écrite
Le dispositif mis en place par le Cevipof, Ipsos et Le Monde a donc l’immense mérite de permettre de mesurer et de comprendre ces mouvements d’opinion et la spécificité d’une élection comme la primaire. A la fois dans les transferts de vote mais aussi de mobilisation. S’il est permis aujourd’hui de considérer que la qualification pour le second tour est ouverte à trois candidats, c’est précisément, ne l’oublions pas, grâce à de telles enquêtes. Mais, dans une élection soumise à de tels effets de campagne, on ne peut demander à ces intentions de vote de donner plusieurs jours à l’avance le résultat final. Si l’histoire n’est pas à ce point prévisible, ce n’est pas à cause de l’instrument mais parce qu’elle n’est pas encore écrite : entre le dernier jour de terrain et le scrutin, sept jours de campagne s’intercalent et un débat télévisé à très fort enjeu !