« Les primaires renforcent l’accélération de la vie politique »
« Les primaires renforcent l’accélération de la vie politique »
Eric Treille, docteur en science politique a répondu à vos questions sur les transformations induites par l’organisation de primaires en France.
Militants Les Républicains, partisans d'Alain Juppé, candidat à la primaire à droite, qui anime son premier meeting de campagne à Strasbourg, mardi 13 septembre 2016 | Jean-Claude Coutausse/French-Politics pour "Le Monde"
Les primaires ont-elles changé la vie politique française ? Eric Treille, docteur en science politique, chercheur associé à Sciences Po Rennes, auteur avec Rémi Lefebvre de l’ouvrage Les primaires ouvertes en France. Adoption, codification, mobilisation (Presses universitaires de Rennes, 2016), a répondu aux questions des lecteurs du Monde jeudi 17 novembre.
Question de José : Les primaires ont encore rallongé la campagne de la présidentielle qui devient interminable. Est-ce que les primaires ne renforcent pas le fait qu’on est désormais en campagne permanente pendant le quinquennat ?
Eric Treille : La spécificité juridique du scrutin donne effectivement un moyen inédit aux partis organisateurs de primaires de choisir leur propre tempo politique et notamment de déplacer le curseur de la date d’ouverture de la campagne officielle. On assiste ainsi à une forme d’étirement du moment électoral, qui renforce l’accélération de la vie politique depuis la mise en place du quinquennat.
MarcoPolo : Pourquoi les politiques (gauche et droite confondues) qui ont longtemps été réticents à la primaire synonyme pour eux d’« américanisation de la vie politique » passent par cette formule ? Et quelles sont les grandes différences avec sa cousine américaine ?
Les primaires sont effectivement un phénomène récent en France. Notre pays est resté longtemps rétif à l’importation d’un système qui était associé au processus repoussoir de l’américanisation de la vie politique. A gauche, les primaires ont été longtemps rejetées au motif qu’elles consacraient un « parti de supporteurs » et dépossédaient les militants de leur souveraineté. A droite, elles étaient perçues comme une manière de consacrer le rôle des partis, ce qui était contraire à l’esprit des institutions de la Ve République. Pendant les débats de la loi portée par Charles Pasqua, le grand juriste Georges Vedel avait ainsi déclaré : « Vouloir faire des primaires en France, c’est comme faire avaler un beefsteak à un ruminant. Son estomac n’est pas fait pour ça ». Depuis 2011, on a vu que les partis politiques français avaient su digérer ce mode de sélection. Le système des primaires développé par le PS et LR n’est cependant pas une reproduction à l’identique du système américain. Les primaires à la française ont été conçues pour sortir des crises de leadership traversées par ces deux formations et fluidifier une démocratie délégative en panne. Si les primaires ont permis de « civiliser » le choix du candidat à l’élection présidentielle et d’offrir de nouveaux droits citoyens aux électeurs, elles ont en revanche peu participé à la rénovation profonde des organisations partisanes. Ce mode de consultation hybride, mi-partisan mi-électoral, permet surtout de produire des modalités de régulation de la concurrence interne et moins de démocratiser des formations politiques fonctionnant trop souvent en vase clos.
Masche-fer : Qui, à droite, a voulu cette primaire ouverte à tous et pourquoi ?
Je pourrais répondre : Charles Pasqua. C’est le vrai père de l’importation du système des primaires en France ; même si le projet de loi qu’il avait préparé a été finalement abandonné. A la suite de ce premier essai « d’invention d’un mécanisme anti-défaite électorale », l’UMP s’est reconvertie une seconde fois en 2012. L’organisation des primaires socialistes, le nombre très élevé de participants et la légitimité électorale offerte à François Hollande ont profondément marqué les dirigeants de l’UMP, produisant un effet de quasi-sidération. Une dynamique mimétique a alors été engagée. La vacance de leadership et surtout l’affrontement très vif entre Jean-François Copé et François Fillon ont conduit l’UMP à trouver une solution procédurale qui ne pourrait pas être remise en cause. Comme au PS, des entrepreneurs de réformes et des think tanks (comme La Boîte à idées, à l’image du rôle joué par la Fondation Terra Nova) ont œuvré pour sortir leur parti de la crise interne post-échec présidentiel et post-congrès. En juin 2013, l’UMP a alors adopté statutairement la règle des primaires ouvertes et l’a confirmée en avril 2015 par la validation d’une charte des primaires.
Gaga : Une primaire payante, est-ce vraiment démocratique ?
Les primaires mettent effectivement en lumière un impensé de la vie partisane : la démocratie a un coût. C’est même un des enjeux essentiel de leur développement en France. Le créateur de la Fondation Terra Nova, instigateur de la primaire socialiste de 2011, avait une formule : les questions de logistique sont politiques. Pour mettre en place des bureaux de vote, former des scrutateurs, il est nécessaire d’engager des moyens humains et matériels très importants que seuls les grands partis comme le PS et LR sont en capacité de financer. Les difficultés rencontrées par EELV pour organiser sa propre primaire en témoignent. La politique est plus que jamais une course de fonds.
Jojolasticot : Les primaires n’accentuent-elles pas la focalisation grandissante de la vie politique et médiatique autour des seules campagnes électorales, devenues quasiment permanentes ?
Les primaires font effectivement des formations politiques des partis de campagne quasi permanente. L’effet est institutionnel puisque le temps électoral est rallongé. Il est également interne aux partis puisque les militants et les sympathisants à qui on offre de nouveaux droits citoyens sont constamment mobilisés. C’est une réponse forte des organisations à la fragilisation des identifications partisanes et à la rétractation des réseaux militants. Les primaires renforcent ainsi la dimension électorale des partis.
Romain : Le fait que des primaires s’organisent aujourd’hui à gauche (autour du PS) et à droite (autour des Républicains) ne risque-t-il pas de créer à terme (on pourrait dire de renforcer) la bipolarisation de la politique française ? Notamment par l’attention médiatique dont bénéficient ceux qui organisent des primaires, au détriment de ceux qui n’y participent pas.
Les primaires ont été mises en œuvre par le PS et par LR pour justement répondre à la tripartition de la vie politique française depuis le 21 avril 2002. Le choix de cette « solution procédurale » permet aux grands partis de reconduire leur centralité et de sanctuariser leur rôle dans le système politique
Cheers : Comment sont encadrés les coûts de campagne des candidats aux primaires ? Ne faut-il pas inclure ces coûts d’une façon ou d’une autre dans le coût de la campagne officielle ?
Si les primaires sont ouvertes à tous les électeurs, elles n’en demeurent pas moins un mode de consultation privé qui ne relève que de la liberté d’organisation des partis. Les primaires restent du domaine de leur fonctionnement interne. Depuis 2006, ce raisonnement n’a quasiment pas bougé. Arnaud Montebourg soulignait ainsi que les dépenses des primaires sont des dépenses exposées en vue de la candidature à l’élection et non en vue de l’élection. Les budgets d’organisation ne sont pas imputables aux comptes de campagne du candidat qui était désigné. Seules les dépenses que celui-ci avait engagées étaient intégrées. Le Parlement a essayé de légiférer sur le financement des primaires, mais il n’est pas allé au bout de ses projets. La loi du 25 avril 2016 est encore très timide. L’encadrement des primaires reste toujours un impensé du droit français.
Quasimodo : Les primaires n’entraînent-elles pas un déséquilibre du temps de parole, d’antenne etc. entre les candidats PS/LR et tous les autres qui se présentent sans passer par des primaires ?
La surexposition médiatique des primaires, notamment les débats télévisés, est une des clés pour comprendre leur adoption en France. En 2011, le PS a pu bénéficier d’un temps de parole supérieur de 150 % à celui de la majorité présidentielle. Cet avantage communicationnel avait marqué les esprits et tout particulièrement ceux de l’UMP. En se convertissant à l’exercice des primaires, l’UMP, devenue LR, a clairement souhaité reproduire le précédent socialiste de 2011. De même, TF1, dont l’émission « Masterchef » avait été battue par le débat organisé par la primaire socialiste diffusé sur France 2, a également souhaité se mettre sur les rangs pour obtenir la diffusion du premier et du dernier débat de la primaire de la droite et du centre, voyant que la tenue de débats télévisés pouvait faire de l’audimat.
Dante : Est-ce que les primaires n’empêchent pas (encore un peu plus) l’accès à la présidentielle pour les personnes non issues de partis politiques ?
C’est effectivement une spécificité des primaires à la française. Même si le vote est ouvert, les partis organisateurs conservent la maîtrise du périmètre de l’élection, codifient la procédure, décident de son enclenchement et, surtout, qualifient les candidats. Le pouvoir donné aux électeurs de peser sur l’offre est très partiel en raison notamment de la mise en place de filtres. C’est tout particulièrement le rôle joué par le système des parrainages qui est très similaire au système mis en place pour l’élection présidentielle. La primaire organisée par EELV a ainsi vu la confrontation de trois députés européens et d’une députée nationale et n’a pas permis l’émergence d’une personnalité non issue du monde partisan. De même, l’échec de l’initiative d’une primaire des gauches et des écologistes a montré les limites de constituer en France des primaires de coalition en dehors des cadres partisans.
luluberlu : L’obsession maladive pour les sondages et leurs commentaires ad nauseam par la sphère médiatique ont-ils une influence dans cette extension des primaires ?
Les sondages font partie de la réalité des primaires. Le poids de l’opinion sur la consultation explique en très grande partie la recherche constante par les partis organisateurs de la maîtrise du processus électoral, de la phase préparatoire à l’organisation du vote, en passant par la diffusion des différents débats télévisés. Ce fut déjà le cas en 2006 avec la tenue de la première primaire fermée organisée par le Parti socialiste.
Curieux : Est-ce que les partis peuvent revenir en arrière et ne plus proposer de primaire lors des prochaines présidentielles par exemple ?
On peut effectivement s’interroger sur le caractère irréversible de la primarisation de la vie politique française. Son adoption par le PS et par LR a suivi une voie qui est tout sauf linéaire. Le débat qui a traversé la gauche et plus particulièrement le PS en 2016 en témoigne. Alors que les primaires sont inscrites dans ses statuts, il a fallu de vifs débats et même des recours de militants devant la justice pour enclencher, presque par surprise, un processus électoral dont il est pourtant le principal instigateur en France. De même, les primaires, notamment au PS, restent circonscrites à l’élection présidentielle. Les primaires au niveau local ont constitué des exceptions dont on a surtout retenu l’exemple marseillais lors des élections municipales de 2014. La contagion par le bas a été extrêmement limitée et strictement encadrée par les partis.