Au Congo-Kinshasa, la nomination d’un nouveau premier ministre n’apaise pas les tensions
Au Congo-Kinshasa, la nomination d’un nouveau premier ministre n’apaise pas les tensions
Par Christophe Châtelot
Samy Badibanga est critiqué par les principaux partis d’opposition.
Samy Badibanga (au centre) à Kinshasa, en septembre 2016. | JUNIOR D.KANNAH / AFP
A défaut d’une solution miracle qui aurait permis de détendre l’atmosphère politique viciée qui empoisonne la République démocratique du Congo depuis son élection en 2011, le président Joseph Kabila a au moins créé la surprise en nommant, jeudi 17 novembre, un premier ministre que personne n’attendait. Beaucoup doutent toutefois que cette manœuvre désamorce la crise qui secoue ce géant d’Afrique centrale.
Certes, sur le papier, Joseph Kabila a tenu l’un des engagements pris en octobre dans le cadre d’un accord signé avec une frange – seulement – de l’opposition, en choisissant Samy Badibanga, qui n’est pas issu de la majorité présidentielle. Cet accord prévoyait la formation « d’un gouvernement d’union nationale (…) dirigé par une personnalité issue de l’opposition politique ».
En théorie, le CV de M. Badibanga remplit cette condition. Cet homme d’affaires de 54 ans, actif dans le diamant, présidait le groupe parlementaire d’opposition réuni sous la bannière de l’Union pour la démocratie et le progrès social et Alliés (UDPS et Alliés). Il fut aussi, jusqu’en 2011, le conseiller politique d’Etienne Tshisekedi, figure de proue de l’opposition congolaise depuis les années du maréchal Mobutu et candidat malheureux à la présidentielle de 2011 contre Joseph Kabila, dont il n’a jamais voulu reconnaître l’élection.
Sauf que depuis cette époque, Samy Badibanga s’est éloigné de ses compagnons de lutte d’origine jusqu’à être exclu de l’UDPS, le parti d’Etienne Tshisekedi, la formation d’opposition de loin la plus virulente, la plus populaire et la plus puissante. Samy Badibanga doit cette mise à l’écart à son refus de boycotter les institutions issues des élections présidentielle et législatives de 2011, comme le demandait son parti. Il avait alors choisi de siéger au Parlement et refusé d’entrer dans le jeu de M. Tshisekedi, leader malade et vieillissant, souvent fantasque, qui, contre toute raison, s’était autoproclamé président de la RDC.
Pour le quotidien Le Potentiel, le choix du premier ministre « s’explique surtout par la volonté de déstabiliser l’opposition, notamment celle conduite par Etienne Tshisekedi et qui a boycotté le dialogue politique conclu le 18 octobre entre le pouvoir et une frange de l’opposition ». Rappelant la proximité passée entre le nouveau premier ministre et l’UDPS, le quotidien parle d’une « trahison à la Brutus ».
La principale formation de l’opposition semble avoir décidé de prendre cette nouvelle par le mépris. « Par cette nomination fantaisiste, [Joseph] Kabila ne fait que distraire l’opinion. Il ne retarde ni n’empêche son départ, à l’échéance du 19 décembre [date de l’échéance constitutionnelle de son mandat] », écrit Félix Tshisekedi, le fils du vieux dirigeant, sur son compte Twitter.
La plate-forme de l’opposition a d’ailleurs décidé de maintenir la pression à un mois de ce qui devait être la fin du deuxième et dernier mandat de Joseph Kabila. Elle a ainsi annoncé son intention de braver l’interdiction émise par la police de tenir des réunions publiques. Samedi, elle devait organiser un meeting à Kinshasa au cours duquel Etienne Tshisekedi devait s’exprimer et demander, pour la énième fois, que Joseph Kabila quitte le pouvoir après le 19 décembre. L’UDPS et un petit groupe de partis réunis derrière l’ancien gouverneur de la riche province du Katanga, Moïse Katumbi, soupçonne en effet le chef de l’Etat de vouloir changer la Constitution afin d’être en mesure de se représenter.
Dans son discours à la nation prononcé le 15 novembre devant le Congrès, Joseph Kabila, qui a déjà annoncé le report de la présidentielle à avril 2018, a continué d’entretenir le flou sur ses intentions. « A tous ceux qui semblent se préoccuper à longueur de journée de mon avenir politique, je tiens à dire, tout en les remerciant, que la RDC est une démocratie constitutionnelle : toutes les questions pertinentes relatives au sort des institutions et de leurs animateurs sont réglées de manière satisfaisante par la Constitution », a-t-il déclaré.
En septembre, une manifestation d’opposants exigeant son départ avait été très violemment réprimée, provoquant la mort d’au moins cinquante personnes, selon un bilan des Nations unies.
Joseph Kabila : "La RDC est prise en otage par une frange de la classe politique"
Durée : 01:33