A Calais, « seuls les plus motivés » sont allés voter
Primaire à droite : à Calais, « seuls les plus motivés » sont allés voter
Par Geoffroy Deffrennes (Lille, correspondant)
Dans le Pas-de-Calais, il fallait braver la tempête pour déposer son bulletin dans l’urne.
Les électeurs calaisiens ne se sont pas précipités dans leurs sept lieux de vote dimanche. La faute principalement à la violente tempête qui soufflait depuis la fin de la nuit sur la Manche, des rafales à plus de 160 km ayant été enregistrées au cap Gris-Nez. Sans surprise, parmi les personnes interrogées dans trois bureaux de quartiers à la sociologie différente, le trio Sarkozy-Juppé-Fillon se détachait. Pas moyen de dénicher un quidam ayant voté pour l’un des quatre autres…
La droite calaisienne est en grande partie sarkozyste, comme sa maire, Natacha Bouchart, qui avait mis fin à trente-sept ans de domination communiste sur la mairie.
Si la salle de sport Nelson-Mandela, dans le quartier du Fort Nieulay, présente ses larges vitres fissurées, ce ne sont pas les bourrasques nocturnes mais une petite délinquance locale qui en est à l’origine. La halle, entre des tours austères façon HLM et une lande exposée aux vents, est restée déserte une bonne partie de la journée. Il faut dire qu’ici, les taux d’abstentions aux régionales atteignaient des records, à peine trois électeurs sur dix s’étaient déplacés. Et, dans cet ancien bastion communiste du Nieulay, c’est désormais le Front national qui sort en tête des urnes.
« J’ai vu un maire socialiste voter ! »
Président du bureau, face au mur d’escalade, le premier adjoint Emmanuel Agius, « sarkozyste droite forte », selon ses termes, membre du bureau politique du parti Les Républicains (LR), avouait « qu’au vu de la météo, seuls les plus motivés viendraient voter ». Selon lui, la venue récente à Calais de Nicolas Sarkozy et sa fermeté vis-à-vis des migrants peut jouer en sa faveur. L’une des rares électrices croisées, Dorothée, déclare cependant avoir choisi Alain Juppé par élimination. « Cela n’est pas un choix du cœur, j’ai simplement plus confiance en lui. Mais je ne pense pas que le problème de la “jungle” influence notre bulletin aujourd’hui. Leur départ était préférable pour les migrants comme pour nous, mais je constate que quand des migrants s’installent à Paris, cela va bien plus vite pour régler le problème ! »
Géraldine et François ont choisi Sarkozy. « Depuis longtemps, pour ses idées. On a acheté son livre et lu son programme. Les débats ne nous ont pas fait changer d’avis, pour nous, sa ligne est claire depuis le début. »
Passe justement le délégué de la 7e circonscription, Pierre-Henri Dumont, maire de Marck-en-Calaisis. L’élu, également conseiller départemental, n’a que 29 ans. Il est 12 h 30 mais il vient de faire dix bureaux et s’apprête à visiter les six autres de sa circonscription. « Normal, car je suis candidat aux législatives. Je viens de passer à Coquelles, Coulogne, et Sangatte où j’ai vu le maire socialiste Guy Allemand voter ! » Faute de visiteurs, on bavarde avec les assesseurs. Fabienne, de Coquelles, est devenue militante en 2005, pour accompagner Sarkozy. « Aujourd’hui je vote pour lui, pour son énergie, sa fermeté. Il a su fermer Sangatte et il a été le premier à faire des propositions concrètes sur le sujet. J’apprécie son programme sécuritaire, ou sur l’apprentissage. Mais j’écoute tout le monde, y compris Macron, un centriste dont je ne suis pas surprise qu’il plaise à Lagarde ou Bayrou. Mais Macron, pour moi, c’est une droite molle comme dit Sarko. »
« Nous avions choisi depuis des mois »
A 2 kilomètres de là, la salle du CCAS résidence Front de mer porte bien son nom, quasi face à la mer. Ici, on vote à droite, et c’était même le cas quand la ville était communiste. Valentine, une grande jeune femme brune, indique avoir été rapidement convaincue par Sarkozy et Fillon. « Mais j’ai voté Sarko pour son leadership naturel, son programme même si je pense que celui de Fillon aussi était bon. J’aime l’autorité naturelle de Sarkozy sur les questions de sécurité - comme l’exécution pleine des peines, sur la dégressivité des allocations-chômage… Au sujet des migrants, je suis d’accord avec la ligne de Madame Bouchart : humanité et fermeté. Et j’admire beaucoup le travail réalisé par les associations humanitaires ici. » A l’écoute de ces propos, la présidente du bureau, Muriel Wulveryck, adjointe aux fêtes, hoche la tête : « Je suis sur la même ligne ! »
Les votants sont un peu plus nombreux qu’à Mandela, mais on ne fait pas la queue. Denise et Jacques ont voté Juppé, en couple. « Nous avions choisi depuis un mois, les derniers débats télévisés n’ont rien changé. »
Pour Arnaud, « c’est un choix de conviction profonde » qui le porte vers Juppé. « De conviction plus que de rejet des autres. Juppé, Sarko et Fillon sont au dessus. Quant aux migrants, j’estime que la maire, Mme Bouchart, a bien géré la situation, elle n’a jamais été dans l’exclusion. »
« Les débats n’ont pas pesé »
Direction la mairie, où les bureaux rassemblés sont un mixte de toutes les tendances politiques locales. Il est 15 heures et ici, enfin, les électeurs forment une file d’attente. Voici Pauline, 23 ans, née à Lille mais Calaisienne depuis dix ans, facilement repérable car on a vu peu de jeunes depuis quelques heures. « J’ai choisi depuis longtemps : Sarkozy, par élimination, même si Juppé me semble bien aussi, notamment pour sa position mesurée sur les migrants. J’avais voté pour lui pour ma première participation à une présidentielle. » La maman, Isabelle, part sur la même ligne. « Ma décision a mûri tout doucement, les débats n’ont pas pesé, j’ai lu les programmes. Ce qui est sûr c’est que les problèmes liés aux migrants n’influencent en rien mes choix. Cela n’est hélas pas le cas pour ceux qui se tournent vers le FN. »
Aucun lien avec les migrants, non plus, dans la réflexion de Fabienne, biologiste à Dunkerque, qui repousse en riant son mari pour qu’il n’entende pas ses propos. « On n’est pas d’accord ! Mon choix est irrévocable depuis des mois : je vote Fillon. J’ai aimé le premier ministre, même s’il ne pouvait pas agir en toute liberté. Je suis pour la réduction des dépenses, mais j’aime beaucoup sa défense de la famille et de l’école. »
Parité oblige, on écoute alors Philippe pour conclure : « Je préfère ne pas dire pour qui je vote, mais mon choix est surtout économique. Je suis chef d’une entreprise de cent personnes et mon bulletin va d’abord à ceux qui mettent l’accent sur l’économie au service des hommes et non pas l’inverse. Je suis aussi, comme ma femme, très attentif à la famille. Globalement, notre société a oublié la notion de famille d’une importance capitale dans la culture française. J’ai voté à droite toute ma vie, tout en souhaitant des élus défendant les pauvres, les handicapés, les plus faibles. Je me sens totalement dans la tradition des entreprises sociales, typique du nord de la France. »