« Tenus à l’écart du cœur des administrations, les élus de la nation ont sans doute souffert de la méfiance, pas nécessairement infondée, que les services entretiennent à leur encontre » (Photo: François Hollande et Anne Hidalgo participent à la commémoration des attentats du 13 novembre 2015, à Paris devant le bar le Comptoir Voltaire, dimanche 13 novembre 2016). | JEAN CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR LE MONDE

L’actualité ne cesse de rappeler l’importance essentielle des services de sécurité et de renseignement. Administrations civiles et militaires hautement spécialisées, ils protègent et ripostent, évaluent et conseillent, et ils défendent, au-delà de notre sécurité immédiate, la souveraineté du pays.

Il ne s’agit pas, cependant, de s’abriter derrière le dévouement des milliers de membres de la communauté du renseignement et le caractère stratégique de leurs missions pour reporter indéfiniment les questions sur leurs méthodes, leurs moyens et leurs choix. Evaluer, dans une démocratie, qui plus est en guerre, relève plus d’une absolue nécessité que d’un caprice passager.

Un an après les ­attaques djihadistes les plus meurtrières jamais commises en France, tous les outils à notre disposition n’ont pas évolué de façon aussi sensible.

La commémoration des attentats du 13 novembre 2015 a permis de mesurer les progrès réalisés par certaines unités d’intervention et l’évolution de leur doctrine d’emploi. Comme le rappelait, cependant, un cadre anonyme des ser­vices antiterroristes, réagir plus efficacement à un attentat en cours ­signifie que l’anticipation a échoué. De fait, un an après les ­attaques djihadistes les plus meurtrières jamais commises en France, il est manifeste que tous les outils à notre disposition n’ont pas évolué de façon aussi sensible.

Rendu public le 12 juillet, peu avant le carnage de Nice, le rapport de la commission d’enquête parlementaire relative aux moyens mis en œuvre par l’Etat pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 citait le directeur ­général de la sécurité intérieure, Patrick Calvar, qui n’avait pas hésité à affirmer que « les attentats de 2015 représentaient un échec global du renseignement ».

S’inviter dans l’intimité des services

Cette déclaration, lucide et qui tranchait nettement avec la position officielle de son ministre de tutelle, avait na­turellement marqué les esprits des députés, qui en avaient tiré la ­conclusion que des évolutions organisationnelles s’imposaient. Leurs recommandations allaient dans ce sens, mais elles furent jugées sans objet place Beauvau.

Intéressant par bien des aspects – et la publication des auditions à peine censurées des chefs des services n’est pas le moindre –, ce long rapport parlementaire souffre cependant des limites de son mandat.

Comment, en effet, les membres de la commission pouvaient-ils espérer identifier de véritables dysfonctionnements ou des axes d’amélioration, alors que leurs prérogatives ne leur permettaient pas de s’inviter dans l’intimité des services, d’entendre les opérationnels de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), les officiers traitants de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), les analystes de la DRM (Direction du renseignement militaire) ou les cibleurs du CPCO (Centre de planification et de conduite des opérations) ?

Tenus à l’écart du cœur des administrations, les élus de la nation ont sans doute souffert de la méfiance que les services entretiennent à leur encontre.

Tenus à l’écart du cœur des administrations, les élus de la nation ont sans doute souffert de la méfiance, pas nécessairement infondée, que les services entretiennent à leur encontre. Il reste que ces relations difficiles et l’absence de réel pouvoir d’investigation de la commission n’ont pas permis à nos représentants de se faire une idée précise des difficultés, réelles, de nos services, et des possibilités d’amélioration, non moins réelles, qui existent.

Cette vision imprécise des administrations chargées de la lutte ­antiterroriste ne pouvait que conduire à des propositions certes intéressantes, mais elles-mêmes peu précises, et que les autorités pouvaient aisément balayer d’un revers de la main. Quand la lutte contre le djihadisme n’est plus qu’une affaire de périmètres administratifs et de défense des acquis, il est permis de s’inquiéter.

Concurrence

En ayant les moyens d’une véritable investigation, quitte à ne livrer au public qu’une version expurgée de ses conclusions, la commission d’enquête de MM. Fenech et Pietrasanta aurait pu viser encore plus juste. Elle aurait pu, au-delà des auditions parfois très lisses de certains responsables, contempler l’état exact des relations entre nos unités d’élite, ou les difficultés quotidiennes des policiers, ou l’incapacité persistante des analystes à prendre un peu de hauteur.

Elle aurait pu voir de près la réalité de la complexité des relations entre de grosses administrations, souvent concurrentes, aux méthodes différentes et aux cultures parfois opposées, et mesurer le poids des relations personnelles dans un métier toujours profondément humain.

La lutte contre le djihadisme ne se résume pas, en effet, à la cohabitation sur papier glacé de services prestigieux réunis au sein d’un organigramme dont la rationalité, malgré le travail des graphistes, n’est d’ailleurs pas si évidente. Le travail des services de sécurité et de renseignement, et celui des forces armées ou des unités clandestines, n’est fait que d’interactions multiples, permanentes, sur des théâtres extérieurs comme sur le territoire national.

Révolution culturelle

On échange des faits, des noms, des données techniques, et on partage parfois des risques, quand on n’y combat pas ensemble. On confronte aussi des analyses et des modes opératoires, et il en naît aussi bien un respect mutuel et de la complicité que des rivalités et des rancœurs.

Un an après le choc du 13-Novembre, quatre mois après celui du 14-Juillet, et alors que le retour des djihadistes de Syrie et d’Irak fait craindre le pire, il est plus que temps que nos services, dont on dit qu’ils sont désormais contrôlés, soient sérieusement et froidement évalués dans le seul souci de les rendre plus efficaces. Il est plus que temps que la communauté du renseignement soit autre chose qu’un concept chic, et qu’elle se voie assigner des objectifs nés d’une authentique stratégie reposant sur une évaluation commune à tous de la menace.

Sans cet effort, qui relève plus de la révolution culturelle que de la simple réforme, nous nous exposons au pire. Il est plus que temps que nos parlementaires soient en mesure d’effectuer ce travail d’évaluation, comme c’est le cas dans d’autres démocraties, sans attendre le prochain attentat.