Pierre Croux, chez lui, à Lourmarin, dans le Vaucluse. | Camille Moirenc pour "Le Monde"

L’adage veut que les voyages forment la jeunesse. Chez Pierre Croux, ils la conservent. Regard vif et malicieux, barbe et moustaches grisonnantes et soignées, jean, casquette et blouson polaire sans manches. Rien ne permet d’imaginer que ce « globe-croqueur » bourré d’énergie et de projets est né en 1936 – en même temps, comme un clin d’œil, que les congés payés.

Architecte, diplômé de l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris, ce natif de Cadenet, dans le Vaucluse, effectue son premier grand voyage au début des années 1980. Pierre Croux, veuf, suit des amis lors d’un circuit organisé en Asie. Pour la première fois, il laisse son agence à ses collaborateurs pour une quinzaine de jours et part vers Singapour, Bangkok, Colombo.

« Je lis beaucoup avant de partir, je sais où se trouvent les “incontournables”. » Pierre Croux

« C’était encore l’époque bénie de la diapositive », se souvient-il. Pas de carnet pour ce premier voyage, donc. Ce n’est qu’au deuxième qu’il se met à dessiner ce qu’il voit, ce qu’il vit. En bateau, en train, à dos de chameau ou à moto, Pierre Croux ne lâchera plus jamais son crayon.

L’architecte s’impose désormais un rythme « d’ailleurs », dont il fera sa façon de vivre jusqu’à la retraite : un mois et demi d’agence, quinze jours de voyage et, l’été, un séjour plus long. Passé sa mauvaise conscience initiale qui le faisait s’interroger sur le bien-fondé de partir aussi loin pour si peu de temps (et pour un budget non négligeable), il a fait sienne cette façon de voyager.

Des carnets de voyage de Pierre Croux. | Camille Moirenc pour "Le Monde"

Ethiopie, Iran, Japon, Jordanie, Bhoutan… Pierre Croux a parcouru près de 80 pays, dessiné 14 000 planches et relié une trentaine de carnets. On peut les lire comme de véritables guides de voyage, l’émotion en plus. Des monuments, des scènes de vie, des cartes, des paysages, crayonnés en couleurs, d’un trait délicat et précis. Celui d’un architecte.

C’est d’ailleurs dans son ancienne agence que le dessinateur-voyageur réalise lui-même ses propres carnets, sans éditeur. Un travail minutieux, fait main, sans aucun logiciel. Ce sont ses planches, collées, illustrées, légendées, photocopiées et enfin reliées qui donneront le carnet de voyage final. « J’ai plus de 3 000 planches sur l’Italie et je ne les ai jamais mises en carnet, par manque de temps… », confesse-t-il.

Sur le terrain, sa technique est aujourd’hui bien rodée : il a rapidement abandonné l’aquarelle et les carnets trop encombrants pour leur préférer les feutres de couleur et les feuilles volantes sur une écritoire. L’objet n’est d’ailleurs jamais très loin de lui. Une planchette à pince à laquelle est fixée une petite palette de plastique blanc, sur laquelle il mélange les couleurs des feutres comme un peintre le ferait de sa gouache. Ses quinze feutres tiennent dans un petit carquois accroché à sa ceinture. Le reste est dans ses mains…

Moirenc Camille Pour le Monde

Admirateur de Frank Lloyd Wright, de Jean Nouvel, de Renzo Piano, il reconnaît que son métier d’architecte l’a beaucoup aidé pour croquer ses voyages : « La perspective, le tracé des ombres, la connaissance des ordres, le dorique, le corinthien, le ionique, que ce soit des îles grecques, des villes romaines ou des bâtiments baroques de Prague, si on connaît les ordres, on peut presque oublier de regarder lorsque l’on dessine… », raconte-t-il. Ces dessins de monuments, d’églises, sont d’ailleurs légendés de commentaires techniques sur la construction ou les matériaux.

En voyage, son obsession – en dehors de la fidélité de ce qu’il dessine – reste la rapidité d’exécution. « Quand je quitte un lieu, il faut que le dessin soit terminé ! Et quand on connaît la brièveté des étapes d’un voyage de groupe organisé, on n’a pas d’autre choix que de s’adapter », dit-il. Une rapidité qui nécessite un travail en amont : « Je lis beaucoup avant de partir, je sais où se trouvent les “incontournables” de la visite, ce qui me permet de prendre de l’avance. Quand le groupe déambule dans la première salle d’un musée, je suis déjà dans la quatrième en train de dessiner ! »

« Quand je quitte un lieu, il faut que le dessin soit terminé ! » Pierre Croux

Pierre Croux a aussi un côté cabotin qui justifie sa rapidité : « Si vous êtes là, en train de dessiner, et que rien n’apparaît rapidement sur votre feuille, l’auditoire qui se forme autour de vous se dispersera vite. Et je dois confesser que ce n’est pas désagréable d’avoir du public autour de soi, ne serait-ce que pour la rencontre avec l’autre… » Ainsi, il n’est pas peu fier de raconter que, lors de son voyage en Ethiopie, en janvier, après qu’on l’eut aidé à franchir les barrages de police pour être au plus près d’une grande manifestation religieuse, il eut les honneurs de la télévision locale…

Camille Moirenc pour "Le Monde"

Dans son atelier, qui transpire l’ordre et la méthode, s’empilent sur le sol des revues de voyage comme Géo ou National Geographic… Sur une table, les exemplaires à relier, sur d’autres, les planches et la documentation du prochain carnet sur Lourmarin, dans le Vaucluse. Sur une étagère sont rangés les carnets finis, que Pierre Croux vend en ligne ou lors de festivals. Un voyage à eux seuls : le Transsibérien, la Roumanie, le Yémen (« Mes plus beaux souvenirs »), la Turquie, le Botswana, La Réunion, l’île Maurice, New York, etc.

Pierre Croux s’intéresse aussi à l’Hexagone. Il a réalisé des carnets français, mais, surtout, n’a pas oublié sa région natale avec deux livres sur Cadenet, Tout un fromage et Rebelote, chronique de la vie d’un village de Provence au sortir de la guerre. Un voyage plus intérieur.

Pierrecroux-carnetsdevoyage.com ; Rendez-vous du carnet de voyage