Des jeunes ingénieurs au registre toujours plus large
Des jeunes ingénieurs au registre toujours plus large
Par Jean-Claude Lewandowski
Au-delà des savoirs techniques et du management, la formation des ingénieurs intègre désormais des notions comme la responsabilité sociale, le développement durable et le « savoir-être ».
Illustration: Mathilde Aubier.
Pour les écoles d’ingénieurs, l’ouverture sur le management est une pratique bien ancrée : voilà une trentaine d’années qu’elles ont entrepris d’ouvrir leurs formations au marketing, à la finance et à la gestion. D’abord à petites doses, puis à un rythme plus soutenu – jusqu’à atteindre autour de 30 % du cursus. Elles vont aujourd’hui bien au-delà du management.
Cette évolution répond d’abord à la demande des entreprises : elles ont besoin d’ingénieurs capables de piloter des projets de plus en plus complexes, d’animer des équipes, d’intégrer les problématiques sociétales ou environnementales. Le tout dans un contexte multiculturel. Autant de compétences qui, a priori, ne font pas partie de leur bagage « traditionnel », mais sont devenues indispensables.
« Supplément au diplôme »
DRH du groupe Engie, Muriel Morin décline ces nouvelles exigences : « Nos ingénieurs doivent compléter leur formation scientifique par des compétences managériales au sens large, mais il leur faut aussi être à l’écoute des territoires et de la diversité, s’intéresser à l’innovation sociale, se montrer responsables et même faire preuve d’une conscience citoyenne. » Avec Engie, l’Ecole des mines d’Albi a mis sur pied un programme consacré à ces questions, et sanctionné par un « supplément au diplôme ».
Les « disciplines d’ouverture » proposées aux élèves dépassent ainsi de beaucoup le cadre du management. « Elles couvrent un large éventail de sujets, depuis les sciences humaines et sociales – économie, droit, sociologie… –, voire la culture générale, jusqu’à des notions comme la responsabilité, l’impact sociétal des projets, le développement durable, l’entrepreneuriat et même la prise en compte du politique », observe François Cansell, président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs. Sans oublier les langues et l’ouverture à l’international. Pas question pour autant de négliger le socle de connaissances en sciences dures :
« Nos élèves sont peut-être un peu moins “pointus” que par le passé en maths ou en physique, concède François Cansell. Mais ceux que cela passionne peuvent poursuivre en doctorat, et se doter d’un profil d’expert. Ils ont toute leur place dans l’entreprise. »
Intégrer tous ces apports au cursus constitue un défi pour les écoles, car l’emploi du temps n’est pas extensible à l’infini. Si certaines se contentent de quelques cours de management, d’économie ou d’anglais, beaucoup ont recours à des dispositifs transversaux qui permettent, sans allonger le temps de formation, d’élargir le registre de leurs élèves : projets collectifs, missions en entreprise, travaux de groupe…
« Au-delà des enseignements interdisciplinaires et des formations par projet, nos élèves apprennent énormément sur le terrain – en particulier durant les stages – ou par la vie associative », remarque Florence Darmon, directrice de l’Ecole spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l’industrie (ESTP) de Cachan.
L’innovation pédagogique est elle aussi à l’honneur. A l’Ecole d’ingénieurs en génie des systèmes industriels (Eigsi) de La Rochelle, très en pointe sur ces questions, les élèves de troisième année construisent ensemble, durant trois jours, un totem, symbole des valeurs individuelles et collectives unissant leur promotion. Ce totem est ensuite exposé dans le hall de l’école.
Et les enseignements d’ouverture sont présents tout au long du cursus, sous des formes variées et parfois très inattendues : prise de parole en public, théâtre, initiation au secourisme, charte éthique de l’ingénieur… Aux Mines d’Alès, les étudiants planchent sur des missions de terrain, et participent à un « challenge créativité », avec des firmes partenaires.
Ceux qui souhaitent aller plus loin peuvent opter pour un double diplôme avec une école de commerce. La plupart des écoles d’ingénieurs ont signé des accords de ce type : Centrale-Supélec avec l’Essec de Cergy-Pontoise, Télécom Bretagne, l’INP Grenoble et l’Eisti de Cergy avec Grenoble EM, l’Efrei de Villejuif avec Audencia et l’ISC (Paris), l’ESTP avec le MBA de HEC, etc. Toutefois, ces doubles cursus ne concernent jusqu’à présent qu’une poignée d’étudiants. Quant aux ingénieurs déjà diplômés, ils sont nombreux à s’inscrire dans un institut d’administration des entreprises (IAE), en mastère spécialisé ou en MBA, afin de se doter d’un profil de manageur.
Cursus hybrides
Certaines écoles, à l’instar de l’Eigsi ou de l’ESTP, mettent l’accent sur le « savoir-être » des élèves : éthique, leadership, charisme… D’autres misent sur des partenariats avec d’autres institutions, pour des cursus hybrides. C’est le cas des Mines de Nancy avec l’ICN et l’Ecole d’art et de design dans le cadre d’Artem, ou, à Nantes, de Centrale avec Audencia et l’école d’architecture pour former « l’Alliance ».
Le profil type du jeune ingénieur a donc radicalement changé. Jadis féru de sciences dures, mais peu à l’aise dans la communication, l’approche marketing d’un projet ou le maniement des langues, il est désormais beaucoup plus ouvert à toutes les facettes de son métier. « Grâce à la formation générale et humaine que nous avons mise en place depuis plus de vingt ans, nous formons des ingénieurs épanouis, prêts à agir dans les entreprises, assure Frédéric Meunier, directeur de l’Efrei. Nos élèves connaissent l’environnement dans lequel ils vont évoluer. Et ce profil est très apprécié, notamment à l’international. »
Un dossier spécial et un Salon étudiant pour tout savoir sur les écoles d’ingénieurs
Retrouvez notre dossier spécial dédié aux écoles d’ingénieurs, publié progressivement sur notre site (rubrique Ecoles d’ingénieurs) et dans un supplément de 12 pages à paraître dans « Le Monde » daté du jeudi 24 novembre, avec des décryptages, des reportages dans les écoles ainsi que des témoignages.
Des informations à compléter lors du Salon des grandes écoles du Monde, samedi 26 et dimanche 27 novembre à Paris, grâce aux conférences animées par nos journalistes et en rencontrant des responsables et étudiants de nombreuses écoles d’ingénieurs représentées. Entrée gratuite, préinscription recommandée.