La campagne en vue du second tour de la primaire de la droite et du centre est bien lancée, et les candidats se rendent coup pour coup. Depuis dimanche 20 novembre, Alain Juppé et ses proches ont multiplié les piques contre le programme de François Fillon, qui ne s’est pas plus privé de critiquer son adversaire en retour. Tour d’horizon de ce qui est vrai et de ce qui est faux dans les arguments employés par l’un et par l’autre.

François Fillon et le délicat retour aux 39 heures dans la fonction publique

CE QUI EST REPROCHÉ À FRANÇOIS FILLON

Benoist Apparu, soutien d’Alain Juppé, a critiqué sur Europe 1 lundi 21 novembre la proposition de M. Fillon de faire passer la durée légale du travail des fonctionnaires de trente-cinq à trente-neuf heures par semaine :

« Cela coûte 20 milliards d’euros, sauf si on ne les paie pas. »

POURQUOI C’EST PLUTÔT VRAI

1. Supprimer 500 000 postes, c’est jusqu’à 15 milliards d’euros d’économies

François Fillon défend le passage aux trente-neuf heures dans la fonction publique dans son programme, sans qu’elles soient forcément payées trente-neuf. Il souhaite des compensations, mais pas forcément équivalentes aux heures supplémentaires de travail. Interrogé à ce sujet lundi 21 novembre sur TF1, il a renvoyé cette question à des négociations syndicales au cas par cas, citant l’exemple d’une entreprise qui travaille trente-neuf heures payées trente-sept.

Cela pose néanmoins la question du chiffrage des promesses de François Fillon, qui affirme pouvoir réaliser une économie « 15 milliards d’euros » sur la dépense publique en supprimant 500 000 postes de fonctionnaire. L’Institut Montaigne, un think tank plutôt libéral, lui donne plutôt raison en théorie, estimant dans un rapport ces économies à 14 milliards d’euros environ. Son raisonnement ? Multiplier les rémunérations versées aux nouveaux fonctionnaires par le nombre de postes supprimés.

2. Supprimer 500 000 fonctionnaires et passer ensuite aux trente-neuf heures, cela peut éviter une perte d’heures de travail au total (en théorie).

Précision de taille : ce chiffrage ne tient pas compte de ce que coûteraient les compensations accordées aux fonctionnaires en échange de leur hausse du temps de travail. Au 31 décembre 2014, il y avait 5,4 millions de salariés dans l’ensemble de la fonction publique en France, selon l’Insee (hors contrats aidés). En supprimer 500 000 revient à une diminution d’environ 9 % du nombre d’agents.

En augmentant le temps de travail des fonctionnaires de trente-cinq à trente-neuf heures (environ 11 % de hausse du temps de travail), on compenserait effectivement de manière très théorique la perte d’emplois publics par un nombre d’heures de travail plus grand (nuance importante : ce calcul ne tient pas compte des 22,7 % de temps partiel ou du temps de travail effectif).

3. Augmenter la rémunération des fonctionnaires en contrepartie du passage aux trente-neuf heures, cela peut effectivement représenter jusqu’à 20 milliards de dépenses.

Si l’on payait intégralement ces heures aux fonctionnaires, on aboutirait en revanche à un impact nul pour les dépenses publiques (on paierait autant d’heures de travail que si l’on n’avait pas supprimé de postes du tout), voire négatif (le salaire horaire du fonctionnaire moyen est plus élevé que celui du fonctionnaire entrant).

A salaire horaire et nombre d’heures équivalents, la dépense serait la même que l’économie initiale. Si cette dernière est de 14 ou 15 milliards d’euros, l’ordre de grandeur de « 20 milliards » évoqué par Benoist Apparu n’est alors pas irréaliste.

4. A l’arrivée, soit les fonctionnaires y perdent, soit aucune économie substantielle n’est réalisée.

Dans les faits, ce n’est pas ce que veut François Fillon, qui plaide pour une solution intermédiaire, sans en livrer le détail. Mais l’argument de Benoist Apparu est plutôt valide dans le sens où le projet du rival d’Alain Juppé supposerait :

  • Soit de très peu compenser la hausse du temps de travail des fonctionnaires ;

  • Soit de réaliser bien moins que les 15 milliards d’euros d’économies prévues initialement.

Pour contourner ce problème le programme des Républicains proposait de faire travailler les fonctionnaires trente-sept heures payées trente-sept. Mais de réaliser une économie équivalente à cette dépense en imputant le traitement des agents de l’Etat d’une autre manière (notamment le gel du point d’indice). Ce qui, à l’arrivée, revient en quelque sorte au même sur la fiche de paie des intéressés.

L’intox de François Fillon sur Alain Juppé et les 35 heures

CE QUI EST REPROCHÉ À ALAIN JUPPÉ

François Fillon a laissé entendre lundi 21 novembre sur TF1 que son rival ne souhaitait pas augmenter le temps de travail des fonctionnaires :

« Il faut revenir sur les 35 heures, mais pas seulement comme le propose Alain Juppé pour les salariés du privé. Où serait la justice sociale ? »

POURQUOI C’EST FAUX

Contrairement à ce que l’ancien premier ministre a affirmé, Alain Juppé dit clairement dans son programme qu’il souhaite augmenter le temps de travail des fonctionnaires, moyennant une hausse de leur rémunération.

La volte-face de François Fillon sur l’avortement

CE QUI EST REPROCHÉ À FRANÇOIS FILLON

Alain Juppé a attaqué son rival, François Fillon, à la primaire, sur Europe 1, mardi 22 novembre :

« Il y a des points sur lesquels j’aimerais bien que François Fillon clarifie sa position, par exemple sur l’avortement, l’interruption volontaire de grossesse. Il a commencé par dire dans son livre que c’était un droit fondamental de la femme. Et puis il est revenu sur cette déclaration dans un débat qu’il a eu devant un certain nombre de ses supporters. »

POURQUOI C’EST VRAI

François Fillon a bien tenu les propos évoqués par Alain Juppé lors d’un meeting à Aubergenville (Yvelines), le 22 juin :

« Dans mon livre, j’ai commis une erreur […] quand j’ai écrit que l’avortement était un droit fondamental. Ce n’est pas ce que je voulais dire. Ce que je voulais dire c’est que c’est un droit sur lequel personne ne reviendra. […] Moi, philosophiquement et compte tenu de ma foi personnelle, je ne peux pas approuver l’avortement. »

Le candidat à la primaire a ensuite été interpellé sur ce discours par Léa Salamé dans « L’Emission politique », de France 2, le 27 octobre. Voici sa réponse :

« Ça me regarde. Ce [sont] mes convictions personnelles, je dis aussi en même temps, immédiatement, que jamais personne et certainement pas moi ne reviendra sur l’avortement. »

A ce tableau, on pourrait ajouter le fait qu’en novembre 2014, le député François Fillon a voté pour une proposition de résolution socialiste visant à réaffirmer « le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse en France et en Europe », quarante ans après la loi Veil. Jean-Frédéric Poisson avait quant à lui voté contre. Ce dernier a d’ailleurs appelé à soutenir le député de Paris, mardi 22 novembre, justifiant ce choix au nom de « la politique familiale et l’accueil de la vie »…

En résumé, il y a bien eu changement de discours public de François Fillon sur l’avortement. L’intéressé a en revanche réaffirmé depuis qu’il ne reviendrait pas sur ce droit.

Le pape François voterait-il pour Alain Juppé ?

CE QUI OPPOSE LES DEUX CANDIDATS

Alain Juppé s’est revendiqué d’une certaine proximité idéologique avec le pape François sur France 2, lundi 21 novembre : « Moi, je suis plus ouvert au modernisme et je me sens plus proche du pape François que de Sens commun ou La Manif pour tous. »

François Fillon a répliqué sur TF1, invoquant à son tour une plus forte proximité avec les idées du pape : « Je ne suis pas sûr qu’il ait totalement écouté et lu le pape François. Sur la plupart des sujets sur lesquels Alain Juppé semble vouloir me contester, [il] dit la même chose que moi. »

AVANTAGE FRANÇOIS FILLON

Dans cet étrange concours entre les finalistes de la primaire qui vise à revendiquer la plus forte cohérence avec les idées du pape François, c’est plutôt François Fillon qui dit vrai. En tout cas si l’on retrace les dernières prises de position du pontife sur les sujets de société qui divisent les deux candidats.

A propos de l’avortement, Jorge Bergoglio, alors archevêque de Buenos Aires, s’était désolé en septembre 2012 d’une décision du gouvernement régional de dépénaliser l’IVG : « L’avortement n’est jamais une bonne solution. » Il a, depuis, accordé aux prêtres « la faculté d’absoudre du péché » d’avortement sans en référer à leur évêque, tout en condamnant toujours le principe de l’IVG. Il est donc loin de faire de l’avortement un « droit fondamental ».

Le pape François a par ailleurs fait preuve d’une forme d’ouverture par rapport à ses prédécesseurs en affirmant ne pas juger les homosexuels : « Si une personne est gay et cherche le Seigneur avec une bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? » Mais il n’est pas du tout favorable au mariage pour les couples du même sexe, ce qui l’éloigne encore un peu plus des positions sociales d’Alain Juppé.

Reste néanmoins que selon toute vraisemblance, le pape a peu de chances de se prononcer sur les finalistes de la primaire à droite.

L’intox de Bruno Retailleau sur les 500 000 suppressions de poste de François Fillon

COMMENT L’ÉQUIPE DU CANDIDAT SE DÉFEND

Invité de BFM TV et RMC mardi 22 novembre, le filloniste Bruno Retailleau a défendu la faisabilité de la proposition de son candidat de supprimer 500 000 emplois publics :

« Tous les ans partent en retraite 120 000 fonctionnaires plus 100 000 contractuels donc, sur cinq ans [...], ça fait plus d’un million. [...] François Fillon propose de remplacer un sur deux qui partent à la retraite. »

POURQUOI C’EST PLUS COMPLIQUÉ

François Fillon est le plus radical des candidats à la primaire de la droite quant à la réduction des effectifs de la fonction publique. Il veut supprimer 500 000 postes, là où Alain Juppé ne veut en supprimer « que » 200 000 à 250 000. Et justement, le maire de Bordeaux martèle depuis plusieurs jours que la position de son rival est inapplicable.

Dans les faits, à moins de remettre complètement en cause le statut des fonctionnaires (ce que ne propose pas François Fillon), les suppressions de postes dans la fonction publique se font majoritairement en ne remplaçant pas une partie des départs à la retraite. Or, ce nombre est limité : on a ainsi compté 116 000 départs au total des trois fonctions publiques (Etat, collectivités territoriales, hospitalière) en 2015, selon les chiffres gouvernementaux.

A ce rythme, on peut tabler sur un ordre de grandeur de 550 000 à 600 000 départs à la retraite entre 2017 et 2022 (cette estimation ne tient en revanche pas compte du recul de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 65 ans d’ici à 2022 souhaité par François Fillon). Cela veut dire qu’en s’attaquant aux seuls départs à la retraite, il faudrait ne plus recruter du tout, ou presque, de fonctionnaires pendant cinq ans, comme le souligne l’équipe d’Alain Juppé. Cela veut notamment dire qu’il n’y aurait pas ou très peu de postes offerts aux différents concours de la fonction publique.

Pour tenir le « un sur deux », il faudrait supprimer un quart des postes de contractuel

Si l’on en remplace tout de même un fonctionnaire en retraite sur deux, cela représente donc autour de 250 000 à 300 000 postes supprimés sur cinq ans. Loin de l’objectif de François Fillon. Bruno Retailleau y ajoute donc un deuxième vivier : les contractuels. Ces derniers étaient environ 932 000 pour l’ensemble des trois fonctions publiques en 2014, selon l’Insee. Soit environ un fonctionnaire sur cinq. Il s’agit de professeurs non titulaires, d’assistants d’éducation, d’infirmiers, d’aides-soignants…

Il y a eu 164 000 contractuels sortants de la fonction publique en 2013 et 172 000 en 2014. C’est, en soi, un flux encore plus important que ce qu’évoque Bruno Retailleau. Mais il ne s’agit cette fois majoritairement pas de départs en retraite (seulement 16 761 contractuels sont partis en retraite en 2014, selon le rapport annuel sur l’état de la fonction publique). Il s’agit en réalité surtout de fins de contrat.

Il faut également savoir que tous les contractuels n’occupent pas des postes sur douze mois ni à temps-plein. En 2014, plus de 200 000 contractuels sont entrés dans la fonction publique et en sont sortis en cours d’année et y ont travaillé seulement trois mois en moyenne, selon l’Insee.

Supprimer 200 000 à 250 000 postes de contractuel en cinq ans (ce qu’il faudrait pour compléter les départs en retraite de fonctionnaires au rythme proposé par Bruno Retailleau) n’a rien d’automatique. Cela suppose de supprimer autour de 20 % à 25 % des effectifs sous ce statut.