Alexander Van der Bellen, 72 ans, est homme politique et un ancien professeur d’économie. | GEORG HOCHMUTH / AFP

Il est austère, Alexander Van der Bellen. Austère et un peu raide aussi, même quand il accompagne une fanfare habillée en loden venue clôturer sa campagne, vendredi 2 décembre, dans une usine désaffectée transformée en lieu culturel et située au cœur d’un quartier populaire de Vienne.

Jamais dans la séduction, l’ancien prof d’économie, qui mène selon le maire social-démocrate de la capitale, Michael Häupl, « un combat pour la démocratie ». Et ce n’est pas à 72 ans que cet amateur de littérature russe du XIXe siècle va se mettre à « liker » sur Facebook.

Pourtant, l’un des principaux enseignements de sa campagne, c’est que son « équipe s’est adaptée faute d’argent et qu’elle a été très innovante dans l’utilisation d’Internet ces dernières semaines, estime le politologue Thomas Meyer. Création de groupes WhatsApp, publicité sur Twitter : c’était très professionnel ». Presque autant que dans le camp adverse, celui de l’extrême droite du Parti autrichien de la liberté (FPÖ), où l’on manie les réseaux sociaux à la perfection depuis des années déjà.

Un homme de combats

Avant d’être un produit geek super hype, et de rendre coup sur coup à l’extrême droite sur le Web (les partis européens « traditionnels » devront étudier sa campagne agressive de réponse à la « fachosphère », efficace), il en a mené des combats, le professeur Van der Bellen.

D’abord à la tête des Verts (Die Grünen), parti qu’il aura fait sortir des limbes pour en faire une force capable de tenir la dragée haute aux grandes formations traditionnelles, le SPÖ des sociaux-démocrates et l’ÖVP des conservateurs-chrétiens.

Durant toutes ces années, il a capté l’attention d’un auditoire restreint et ravi de ses longs temps de pause avant de répondre aux questions des journalistes. Quelques secondes seulement, mais une éternité dans les débats télévisés. L’écologiste s’est lancé en indépendant pour s’éviter le parcours du combattant d’une investiture du parti Vert, qui finance pourtant sa campagne.

Alexander Van der Bellen est un jeune marié : il a épousé en secondes noces une militante des Verts il y a quelques mois et porte un patronyme hollandais. La famille Van der Bellen, protestante, a émigré au XVIIIe siècle des Pays-Bas vers la Russie, d’où elle fut ensuite chassée en 1917 vers l’Estonie par les bolcheviks, avant de gagner Vienne, où Alexander naîtra, en 1944. L’occupation soviétique du secteur obligera encore tout le monde à partir, cette fois pour rejoindre la profondeur rassurante des vallées alpines les plus reculées.

Le Tyrol, c’est le « heimat » du candidat au nom qui sonne d’ailleurs. Sa patrie de « fils de réfugiés », comme il se présente lui-même. Père russe certes, mère estonienne, d’accord. Mais c’est là qu’il a grandi et élevé ses deux fils, dans la Kaunertal, une vallée connue pour son panorama impressionnant. C’est ici, au pied des glaciers, qu’il s’est fait photographier pour ses affiches électorales, où le mot « patrie » s’écrit en gras sur un fond de carte postale.

A ceux qui s’étonnent de le voir aller chasser sur les terres de son concurrent qui veut « sortir les drapeaux », il répond que « c’était son idée » et qu’il « refuse de laisser le FPÖ lui voler ses valeurs » à lui, le candidat des citadins CSP +, des artistes, des intellectuels, des féministes, des minorités, à lui qui doit rallier pour l’emporter des pans de population à la sociologie tellement diverse et, surtout, convaincre les électeurs conservateurs, ceux qui se sont le plus abstenus en mai.

Une image d’homme de gauche agnostique

On ne parle plus des attentats en Allemagne, un gros sujet qui avait porté l’extrême droite en mai, mais M. Van der Bellen prend un soin particulier à ne pas passer pour un « islamo-gauchiste », une étiquette qu’on tente de lui coller quand il défend toutes les libertés religieuses.

Il aura quand même du chemin à faire pour casser son image d’homme de gauche agnostique. Sa barbe de trois jours et sa couleur politique passent assez mal dans bon nombre de fermes autrichiennes, où les écologistes ne sont encore que « des fumeurs de joints », des héritiers de 1968.

« Van der Bellen, c’est une pastèque », dit d’ailleurs de lui son challenger malheureux du premier tour, le catholique Andreas Khol. « Vert dehors, mais rouge à l’intérieur. Un socialiste, quoi. » La base militante du parti Die Grünen ne serait pas d’accord : elle juge son candidat beaucoup trop libéral sur le plan économique. Pour ne pas paraître idéaliste, il rappelle ainsi souvent les droits et surtout les devoirs des réfugiés, sommés de s’adapter au mode de vie des Autrichiens. Quelque 130 000 personnes ont été accueillies depuis 2015.

Il joue surtout sur les peurs, en martelant qu’une victoire de l’extrême droite à la présidentielle conduirait à une sortie de l’Autriche de l’Union européenne, ce à quoi s’opposent une très grande majorité des Autrichiens et les milieux économiques.

Un à un, il engrange les soutiens de ceux qui se plaisent à l’entendre dire qu’une fois président, il ne signera jamais la nomination de Heinz-Christian Strache à la chancellerie, le chef du parti d’extrême droite étant selon lui beaucoup trop radical.

« Le candidat d’extrême droite Norbert Hofer affirme que rien ni personne ne peut l’arrêter. Il veut une république FPÖ », rappelle Alexander Van der Bellen pour terroriser et donc galvaniser ses troupes bigarées. Le professeur pense, lui, pouvoir encore offrir un président écolo à la très verte Autriche. Et une digue à l’Europe.