Leboncoin : « Nous recherchons avant tout des profils atypiques »
Leboncoin : « Nous recherchons avant tout des profils atypiques »
LE MONDE ECONOMIE
Antoine Jouteau, PDG du site Leboncoin, l’un des cinq premiers sites en France, explique recruter davantage sur la motivation que sur le diplôme.
Antoine Jouteau, le CEO de Le Bon Coin in France le 7 novembre. | ANTOIN DOYEN / LE MONDE
Leboncoin.fr, lancé en 2006, est aujourd’hui le leader français des sites d’annonces gratuites. Depuis 2015 l’entreprise est dirigée par Antoine Jouteau. Le PDG explique recruter davantage sur la motivation que sur le diplôme et, pour la moitié des embauches, sur son propre site.
Vous aurez embauché, cette année, 130 personnes d’ici à fin décembre. Quels profils recrutez-vous ?
Notre entreprise compte désormais 500 collaborateurs mais nos besoins sont encore ceux d’une start-up. Nous recherchons avant tout des profils atypiques. Près de la moitié de nos collaborateurs sont des « intrapreneurs », des personnes capables de prendre un sujet, et d’aller au bout de façon autonome. Ce type de profil définit un certain type de personnalité. Cette personne peut avoir 25 ans ou le double, jeune diplômé d’une grande école ou sans le bac, l’essentiel est d’être motivé et de correspondre à nos valeurs.
Quelle est l’importance du diplôme dans vos recrutements ?
Les diplômes, je m’en méfie. En fait, nous sommes très pragmatiques. Les compétences et l’expérience comptent plus que le diplôme. Certains membres du comité exécutif n’ont « qu’un BTS ». Sur le papier, ce diplôme pourrait poser question, dans la pratique, aucunement. Parmi nos cinq meilleurs vendeurs, la moitié n’a pas le bac. Dans une entreprise américaine, par exemple, jamais ces personnes n’auraient passé le stade de l’entretien.
Où cherchez-vous ces profils atypiques ?
Nous recrutons la moitié de nos collaborateurs sur Leboncoin. Des ingénieurs aux vendeurs, des cadres aux non-cadres. Nous travaillons aussi avec une dizaine de cabinets de recrutement. Nous sommes une entreprise atypique pour laquelle il serait bien compliqué de dessiner le portrait-robot du collaborateur type. Et cela me plaît bien. Les personnalités d’écorchés, qui sont souvent hors système, même hors système éducatif, ne nous font pas peur. Bien évidemment il n’en faut pas partout, mais nous ne partons pas avec une grille préétablie pour recruter.
Comment faites-vous pour faire travailler de tels profils ensemble ?
Notre propre machine de recrutement est exigeante. On a défini très tôt, en 2011, quatre valeurs associées au service que nous proposons : responsabilité, pragmatisme, proximité et exigence. Nous recherchons des compétences, certes, mais s’il y a un doute sur une de ces quatre valeurs, le candidat ne va pas au bout du processus de recrutement.
65 % des métiers qu’exerceront les jeunes entrant en primaire n’existent pas encore. Sentez-vous cette accélération ?
Nous la sentons dans tous les métiers. Il y a cinq ans, personne ne parlait de « data scientist ». Nous n’imaginions pas, non plus, rechercher des sociologues pour analyser les pratiques de nos utilisateurs.
Il y a encore peu de temps, les gestionnaires d’administration système étaient des personnes qui avaient des relations quasi charnelles avec la machine. L’arrivée du « cloud » a tout changé en quelques mois. Aujourd’hui, ces personnes ne gèrent plus la machine, mais comment le code est géré dans la machine, ce qui complètement différent.
Comment vous adaptez-vous à cette vitesse ? Trouvez-vous des formations ad-hoc ?
Nos équipes techniques ont besoin de s’auto-former en permanence : elles regardent les blogs techniques, les forums, elles apprennent en ligne la programmation sur de nouveaux langages. Même si elles le font pour un usage personnel, cela nous intéresse, on leur laisse cette liberté. Ces équipes sont en mode projet et doivent juste respecter les délais.
Ce degré de liberté dans le travail, est-ce une concession nécessaire à donner à cette nouvelle génération ?
Si nous voulons attirer les bons profils, nous devons, en effet leur donner ce type de liberté, sinon ils peuvent tout plaquer. Alors même que les postes Web que nous proposons à Paris font partie des plus intéressants du marché, vu la complexité des problématiques et la taille des enjeux.
Plus généralement, vous ne pouvez pas laisser cette génération un an sans rien bouger. C’est trop long. Elle est habituée à zapper, à avoir ce qu’elle veut tout de suite. Nous organisons chaque année un hackathon interne et nous nous engageons à développer le projet gagnant. Cette année, une vingtaine d’équipes, soit une centaine de personnes à Paris, se sont mobilisées.
Avant, un manager pouvait dire à un nouvel arrivé : on verra d’ici à deux ans comment tu peux évoluer. Vous dites cela maintenant, vous le faites partir en courant.
Vous vous lancez dans l’accélération de start-up. Est-ce aussi pour rester dans le rythme et ne pas vous couper des jeunes entrepreneurs ?
Clairement. Il s’agit de pouvoir accéder à de l’innovation, à de l’agilité, sans que ces jeunes entrepreneurs entrent dans la grande machine Leboncoin. Nous voulons créer autour de nous un écosystème, une communauté dont nous serons l’animateur. Nous pouvons même y trouver des profils que nous pourrions recruter.
A Stanford, des cours d’éthique sont proposés aux codeurs de 18 ans pour avoir de « bons réflexes lors de prises de décision rapides ». Avec les données personnelles de vos 26 millions d’usagers mensuels, comment cadrez-vous vos jeunes équipes ?
Cette jeunesse peut être critiquée, on peut la trouver volatile, exaspérante, mais elle est aussi formidable, pleine de création. Et elle porte en elle quelque chose de très fort : elle est responsable, et ne veut pas créer, au niveau du code et des algorithmes par exemple, des choses qu’elle ne voudrait pas s’appliquer à elle-même.
Le cadre éthique, c’est donc une question de dirigeants. Si les dirigeants fixent des règles et montrent l’exemple, il n’y a pas de problème. Les collaborateurs vont suivre. En revanche, si les dirigeants mettent un degré d’ambiguïté, c’est un problème, je crois que c’est même actuellement LE problème.
Nous devons tendre vers du « bio digital », plus de traçabilité au niveau des approches numériques. Un jour, le code ne viendra pas de Russie, il n’aura pas été détaxé dans des paradis fiscaux, la donnée sera stockée correctement, déclarée, transparente pour les utilisateurs, utilisée avec responsabilité. Et l’utilisateur pourra disparaître de la Toile s’il le veut.
Vous êtes le seul européen dans les cinq sites les plus utilisés en France (avec Google, Facebook, Amazon…). Face à cette génération en quête de sens, ce discours est-il un atout pour recruter ?
Je le pense. J’ai la conviction que dans le futur, nos collaborateurs, tout comme nos utilisateurs d’ailleurs, choisiront des entreprises responsables fiscalement, humainement et au niveau des données… Nous avons déjà, au niveau du recrutement, été en compétition avec de grandes plateformes et nous avons gagné, tout en proposant des packages financiers moins importants, et sans faire de surenchère.
Afin de comprendre le monde de demain pour faire les bons choix aujourd’hui, « Le Monde » vous donne rendez-vous à O21/s’orienter au XXIe siècle, à Lille (6 et 7 janvier 2017), Cenon (10 et 11 février), Villeurbanne (15 et 16 février) et Paris (4 et 5 mars).