Les élections municipales se sont finalement tenues au Mali dimanche 21 novembre. Repoussées quatre fois depuis 2013, principalement en raison de la sécurité précaire dans le nord du pays, les élections n’ont pu être organisées sur tout le territoire. Au lendemain des élections, alors que certaines communes sont encore en plein dépouillement des bulletins de vote, un petit parti d’opposition recherche sa tête de liste enlevée par des bandits armés la veille de l’élection. Plus grave encore, l’armée et les civils comptent leurs morts.

Même si le taux de participation est estimé à moins de 20 % sur l’ensemble du pays, ces élections auront au mieux permis de légitimer des élus locaux en manque de reconnaissance légale depuis deux ans, au pire de donner une occasion aux anciens rebelles de rejeter publiquement l’autorité de l’Etat en refusant de présenter des candidatures et en perturbant la tenue du scrutin dans les régions nord de Tombouctou, Gao, Ménaka et Taoudéni. A Kidal, bastion de la rébellion séparatiste, aucun bulletin de vote n’aura été rempli. Malgré les contestations des mouvements rebelles et de ce qu’ils qualifient de « forcing électoral », ces élections auront été stratégiques de la part du gouvernement. Elles lui auront permis de créer des poches de légitimité dans la partie nord du pays, là où son autorité est la plus contestée.

« Violation flagrante de l’accord »

Dans une déclaration datée du 21 novembre et signée par Bilal Ag-Achérif, le président en exercice de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), l’un des cinq mouvements à avoir signé l’Accord d’Alger de 2015, on peut lire les propos suivants : « La CMA salue les populations de l’Azawad pour le boycott des élections dans la majorité des localités de l’Azawad. » Selon cette même déclaration et parmi les raisons justifiant ce boycottage : « la décision de la partie gouvernementale d’organiser les élections communales […] malgré [l’opposition de la CMA] sans les conditions prévues par l’accord ». Plus loin, la CMA mentionne une « violation flagrante de l’accord ».

Et pourtant, c’est le projet d’installation des autorités intérimaires qui aura fait le plus de bruit dans le nord du Mali ces derniers mois. En juillet, à Gao, les jeunes de la ville ont manifesté contre, les jugeant que illégitimes. C’est la CMA ainsi que la Plateforme, pro-gouvernementale, qui auraient eu la primeur du choix de la composition de ces autorités intérimaires. Ce choix aurait sans doute porté sur d’anciens rebelles, ennemis jurés des Maliens du nord du pays qui ne se retrouvent pas dans le projet d’un Etat autonome et indépendant appelé « Azawad », réclamé par une minorité au sein de la minorité touareg. Par ailleurs, ces autorités intérimaires auraient dû être, selon l’accord d’Alger, mises en place « de manière consensuelle par les parties » afin de gérer l’administration des communes, cercles et régions du nord durant une période qui a démarré à la signature de l’Accord d’Alger et qui aurait dû prendre fin lors de l’organisation des élections locales. Cette période intérimaire a visiblement pris fin ce dimanche, rendant le projet d’autorités intérimaires caduc.

Consolider la souveraineté de l’Etat

Le retour préalable des réfugiés après les évènements sanglants de 2012-2013 est un autre argument avancé par la CMA pour le boycottage des élections locales de dimanche. Une rébellion touareg, une occupation salafiste, une intervention militaire franco-africaine et des combats continus entre les milices pro-gouvernementales et les mouvements rebelles en quête de légitimité continuent de faire l’actualité au Mali.

Toutefois, c’est au sud du pays que se jouaient ces élections, du moins pour le Rassemblement pour le Mali, (RPM) du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Près de 90 % de l’électorat malien était appelé à voter dans les régions de Kayes, Koulikoro, Sikasso, Ségou et Mopti. N’oublions pas que les prochaines présidentielles sont prévues en 2018, soit dans un peu moins de deux ans. Ce sont ces mêmes autorités locales qui auront à charge de les organiser. Une victoire de la majorité présidentielle au niveau local conforterait la réélection d’IBK à la tête du pays, même si les yeux restent rivés sur les défections endémiques et révélatrices au sein du RPM.

En organisant ces élections, l’Etat malien s’est mis au-dessus des groupes armés et a fait passer son rôle régalien avant tout. Et pourtant, il semblerait que ce soit la gestion sécuritaire qui pourrait en théorie consolider la souveraineté de l’Etat, surtout dans le cas malien. A Kidal, où l’Etat n’est plus et où l’on a brulé le drapeau malien à la veille des élections, le casse-tête reste le même et la séparation du reste du territoire est presque consommée. Peut-être que ceci encouragera Bamako à chérir ses poches de légitimité dans le nord. Celles-ci pourraient bien estomper les 18 communes récalcitrantes à son existence.

Kamissa Camara est vice-directrice des programmes Afrique de l’Ouest et centrale au National Endowment for Democracy, à Washington.