« Abidjan parie sur la découverte prochaine de nouveaux gisements de gaz »
« Abidjan parie sur la découverte prochaine de nouveaux gisements de gaz »
Propos recueillis par Matteo Maillard (Abidjan, envoyé spécial)
Traversée d’une Afrique bientôt électrique (18). Bertrand de la Borde, directeur à la Société financière internationale, important investisseur en Côte d’Ivoire, explique les choix énergétiques du pays.
Bon élève énergétique de l’Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire compte doubler sa production actuelle d’électricité pour atteindre 4 000 mégawatts (MW) à l’horizon 2020. Elle mise fortement sur ses réserves en gaz qui risqueront pourtant de s’épuiser avant cette date.
Dès lors, sur quelle énergie se focaliser ? Importer du gaz naturel liquéfié pour continuer à faire tourner des centrales qui perdent peu à peu leur raison d’être ? Privilégier une énergie propre et abondante comme l’hydroélectricité ? Ou relever le défi du pari vert et renouvelable en s’appuyant sur la biomasse ? Entretien avec Bertrand de la Borde, directeur du département infrastructures Afrique à la Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale chargée du secteur privé qui a massivement investi en Côte d’Ivoire.
La Côte d’Ivoire continue d’investir dans le développement de centrales à gaz, alors que les projections prévoient leur épuisement vers 2025. Quel risque énergétique encourt le pays ?
Bertrand de la Borde Nos propres estimations sont moins pessimistes. Les réserves prouvées permettent de tenir au moins jusqu’en 2028. Mais des recherches de nouveaux gisements sont en train d’être menées et sont prometteuses. Au Ghana, des gisements importants ont été découverts récemment, ce qui donne bon espoir pour les pays voisins. Il ne faut pas pour autant nier la possibilité qu’un jour les ressources en gaz se tarissent. Et c’est pour cette raison qu’il est important de pousser aussi vers l’hydraulique.
Face à ce risque de pénurie, pourquoi le gouvernement ivoirien continue-t-il d’encourager l’ouverture de nouvelles centrales à gaz, comme c’est le cas pour celles de Ciprel et d’Azito ?
Aujourd’hui, quand on regarde les besoins de la Côte d’Ivoire, on voit que le pays se développe rapidement. La croissance du PIB n’est pas loin de 10 % par an. Il faut beaucoup d’électricité pour alimenter cette croissance. Si le pays ne développe pas de centrales à gaz aujourd’hui, il se contraint très fortement. Il n’y a pas énormément d’alternatives.
Arrivée à l’épuisement des gisements, la Côte d’Ivoire devra se tourner vers les importations de gaz naturel liquéfié (GNL). Elle vient d’ailleurs de passer un contrat avec Total qui aura la primauté des importations. Cela remettrait-il en question l’indépendance énergétique du pays et augmenterait le prix du kilowattheure (kWh) pour le consommateur ?
Tant que le gaz est produit localement, il est très compétitif. Baser sa solution énergétique primaire sur les importations de GNL expose à des coûts importants et pourrait effectivement se traduire par une augmentation du prix du kWh. Mais beaucoup de pays doivent importer une bonne part de leur énergie primaire, sous forme de fuel, GNL ou charbon. Ainsi, au Sénégal, la grande majorité de l’électricité est actuellement produite à partir de fioul importé. La Côte d’Ivoire parie sur la découverte prochaine de nouveaux gisements de gaz, comme cela a été le cas au Ghana et au Sénégal récemment. Il est important pour un pays de tenir un pari positif, tout en envisageant aussi bien sûr les scénarios mois favorables. Sans cela, il est très dur de se développer.
Par ailleurs, nous poussons la Côte d’Ivoire encore plus vers une solution très intéressante, celle de l’hydroélectricité. Cette énergie a tous les avantages. Elle est locale, renouvelable et permet l’indépendance énergétique.
La centrale à gaz de Ciprel à Abidjan. | Matteo Maillard
L’exploitation de la biomasse peut-elle être aussi une solution efficace et durable ?
Non. La biomasse ne permet pas de produire un kWh à un coût très compétitif. Cela reste cher et compliqué techniquement. Le kWh de biomasse vous coûtera au minimum 50 % plus cher que le kWh produit aujourd’hui dans les centrales à gaz de Ciprel ou Azito. La biomasse a un intérêt si on élargit le panorama et on prend en compte les externalités. Ainsi, sa production peut créer un développement en cascade et offrir du travail à de nombreux petits producteurs agricoles. Je pense que cette énergie restera minoritaire dans le mix énergétique ivoirien. Aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, nous sommes à un total de 2 000 MW de capacité installée. Le gouvernement souhaite porter cela à 4 000 MW à l’horizon 2020. A cette date, la biomasse ne pourrait produire que 100 MW maximum.
Quelles sont les projections concernant le futur mix énergétique de la Côte d’Ivoire ? Quelles énergies sont considérées et à quel pourcentage ?
La Côte d’Ivoire a un plan de développement très ambitieux qui amènerait à une puissance installée de 6 000 MW en 2030, dont près la moitié au gaz, un gros quart hydraulique et le dernier quart pourrait être à base de solaire, biomasse et charbon.
Aujourd’hui, le mix ivoirien est principalement composé de gaz et d’hydroélectricité ?
Oui, sur les 2 000 MW produits, le gaz représente 1 200 MW et l’hydraulique 600 MW. De manière plus ponctuelle, il y a aussi du fioul liquide qui est brûlé.
Le gouvernement se redirige vers les énergies renouvelables comme l’hydroélectricité et un peu de biomasse. Considère-t-il aussi le solaire et l’éolien ?
Il se focalise surtout sur son potentiel hydroélectrique qui est vraiment important. Aujourd’hui, 600 MW sont déjà exploités. Le barrage de Soubré, qui entrera en activité en 2017, va apporter environ 300 MW additionnels. Puis celui d’Aboisso, qui apportera 100 MW et dont les protocoles d’accords viennent d’être signés. Au-delà de ça, suivant l’analyse, entre 500 MW et 1 000 MW pourront être produits par d’autres barrages. Le potentiel éolien est assez limité. Le potentiel solaire existe au nord et il serait logique de le développer pour en tirer rapidement 100 MW ou 200 MW. L’idée étant de diversifier le mix énergétique pour ne pas épuiser trop rapidement les ressources de gaz.
Un match de foot sous un pylône électrique dans le quartier du Campement à Abidjan. | Matteo Maillard
Le gouvernement ivoirien vous semble donc en mesure d’atteindre son objectif de développement visant 30 % d’énergie renouvelable d’ici à 2030 ?
Oui, je pense que c’est un objectif réalisable. Bien entendu, les autorités ivoiriennes gardent un œil sur les coûts de production et un autre sur les ressources énergétiques disponibles. Ils ont le souci de garder le tarif de l’électricité bas compte tenu de la sensibilité sociale relative à ces questions.
Justement, cet été, il y a eu beaucoup de tensions concernant l’augmentation du coût de l’électricité. Les manifestations ont fait plusieurs blessés et un mort. Le prix du kWh ivoirien est-il plus élevé que dans les autres pays de la région ?
Non, il est clairement dans le bas de la fourchette. Le tarif de vente moyen du kWh est un petit peu en dessous de 70 francs CFA [0,10 euro]. En comparaison, au Sénégal, il est de 120 francs CFA. Aujourd’hui, la qualité du service est bonne et l’approvisionnement en énergie est fiable. La situation est bien meilleure qu’au Ghana, au Nigeria, au Liberia, ou au Mali, où les problèmes de coupures et de délestages sont persistants.
Alors comment expliquer la réaction du peuple ivoirien ?
Le sujet est très sensible dans de nombreux pays. Il y a eu des manifestations importantes au Sénégal en 2011 pour les mêmes raisons et plus récemment au Ghana. En Côte d’Ivoire, le prix de l’énergie n’a que peu évolué depuis quinze ans. L’augmentation subie a surtout touché les classes moyennes qui ne bénéficiaient pas de tarifs préférentiels à l’instar des couches plus basses de la population. Cela s’est déroulé en été, période où il y a le plus de consommation électrique avec la climatisation. Et ça n’a sans doute pas été communiqué de la meilleure des manières. Cela étant dit, je ne pense pas que ce sujet crée d’importants troubles sociaux à l’avenir.
Un blanchisseur de rue à Abidjan s’éclaire avec le courant du réseau national ivoirien. | Matteo Maillard
Le secteur de l’énergie a été privatisé en Côte d’Ivoire à la fin des années 1980. Quels changements en termes d’orientation énergétique cela a-t-il entraîné ?
A l’époque, le secteur électrique ivoirien était par terre. La Côte d’Ivoire quémandait son électricité au Ghana. Dos au mur, le président Houphouët-Boigny a pris la décision de faire entrer les privés dans le secteur et ça a très bien marché. A tel point que la Côte d’Ivoire a commencé à exporter au Ghana. Aujourd’hui, le secteur de l’énergie ivoirien se porte bien mieux que le secteur ghanéen et exporte dans toute la région. La privatisation a donc fonctionné. Mais le recours au privé n’est pas la panacée qui permettra de résoudre tous les problèmes énergétiques africains. On voit notamment que la privatisation marche très bien dans le domaine de la production, mais est parfois plus compliquée dans celui de la distribution.
Le sommaire de notre série Traversée d’une Afrique bientôt électrique
A l’occasion de la COP22 qui s’est déroulée à Marrakech du 7 au 18 novembre, Le Monde Afrique a réalisé une série d’une vingtaine de reportages qui vous emmèneront au Kenya, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Sénégal et au Maroc pour découvrir l’impact d’un effort d’électrification du continent sans précédent.