« Noire Amérique », la minisérie qui lutte pour que les vies des Noirs comptent
« Noire Amérique », la minisérie qui lutte pour que les vies des Noirs comptent
Propos recueillis par Séverine Kodjo-Grandvaux (contributrice Le Monde Afrique, Douala)
Entretien avec Caroline Blache, coréalisatrice de la websérie qu’Arte consacre à l’émancipation contemporaine des Noirs aux Etats-Unis.
Image tirée de la mini-série d’Arte, « Noire Amérique », qui retrace la lutte des Afro-Américains pour la dignité et le respect de leur identité. | Arte
Pendant trois ans, Arte Creative propose une websérie, Noire Amérique, conçue par Caroline Blache et Florent de La Tullaye. Huit courts épisodes pour évoquer le combat des Africains-Américains pour leurs droits. Un combat, hélas, plus que jamais d’actualité alors qu’un homme Noir est tué par un policier ou un vigile toutes les vingt-huit heures.
Le narrateur de cette série efficace n’est autre que l’écrivain Alain Mabanckou qui fait le lien entre le mouvement Black lives matter (« les vies des Noirs comptent »), le combat pour la liberté en Afrique et la lutte contre les violences policières en France où, là aussi, des hommes noirs meurent sous les coups et les corps des forces de l’ordre.
Qui a créé le mouvement Black lives matter ?
Caroline Blache Trois femmes, Opal Tometi, Patrisse Cullors et Alicia Garza, qui depuis des années, se battent pour les droits des immigrés africains ou les membres de la communauté LGBTQI. Elles ont une vision collective et internationale de la lutte des Noir-e-s de par le monde. En cela, elles sont les héritières de leaders tels que Malcom X, Stokely Carmichael ou Angela Davis, parce qu’elles cherchent à rassembler. Mais, au-delà de ces figures, ce qu’il faut comprendre, c’est que les mouvements de lutte pour les droits des Noirs sont des mouvements collectifs qui remettent en cause le système capitaliste américain construit sur quatre cents années d’esclavage, d’asservissement et de colonisation.
Quel rôle jouent les réseaux sociaux dans ce contexte ?
Au début, le Black lives matter se définit comme un réseau et non comme un mouvement. Twitter, Facebook notamment ont joué un rôle important en donnant la possibilité de dénoncer et de se rassembler en un temps record. Filmer en direct des arrestations ou des meurtres commis par des policiers a permis au monde entier de se rendre compte de ces injustices courantes aux Etats-Unis. Cependant, les réseaux sociaux jouent aussi le rôle de contrôle, de fichage, voire de blocage de celles et ceux qui remettent en question des systèmes établis.
Un Noir tué toutes les vingt-huit heures par un policier ou un vigile… La présidence Obama a-t-elle changé quoi que ce soit ?
Que puis-je répondre ? Après huit ans de Barack Obama à la Maison Blanche, le journaliste Mumia Abu Jamal est toujours incarcéré. Les démocrates ont préféré Hillary Clinton à Bernie Sanders, qui dénonçait entre autres le surarmement de la population, les dérives de l’Amérique capitaliste, les inégalités sociales et raciales. Donald Trump a été élu. Doit-on répéter qu’une partie de l’Amérique blanche était hargneuse de voir le fils d’un Kényan élu à la Maison Blanche et qu’elle craint d’être une espèce en voie de disparition ? Au-delà du prisme colorimétrique, les Etats-Unis sont en guerre à l’extérieur depuis plus d’une décennie et ça a fini par miner la société américaine, comme lors de la guerre du Vietnam.
Votre série rappelle que la France non plus n’est pas épargnée par la violence policière…
Toute la société française n’en a pas conscience et la route est longue. Avec cette série, l’idée était de tendre quelques miroirs et d’inciter à la réflexion. Qualifier le meurtre d’un homme noir par les forces de l’ordre de « bavure policière », par exemple, c’est d’emblée reconnaître l’éventualité d’une erreur. Quand Pascal Compaing pointait son Manurhin sur la tempe de Makome Mbolowe, c’était un meurtre. C’est la même chose quand les gendarmes étouffent de leur poids Adama Traoré le 19 juillet.
Alain Mabanckou fait le lien entre ce mouvement noir américain et la question africaine. S’agit-il du même combat ?
Alain Mabanckou fait le pont entre le Congo, où il est né, la France, où vivent ses enfants, et l’Amérique où il réside et enseigne. Récemment, les étudiants des campus sud-africains se sont inspirés des slogans du Black lives matter et ont reçu leur soutien. L’un des plus beaux discours de Thomas Sankara a été prononcé à Harlem, Fela Anikulapo Kuti n’a pas ramené que le jazz dans l’afrobeat mais aussi la dimension revendicative du Black Power, et les Blacks Panthers se sont réfugiés en Algérie. Aujourd’hui celles et ceux qu’on étiquette « jeunesse africaine » se reconnaissent aussi bien dans le Black Lives Matter que dans un mouvement comme le Balai citoyen et prennent conscience qu’en prenant la rue et en s’organisant, on peut dénoncer et faire vaciller des systèmes mis en place depuis des décennies.
La mode afro est partout : chez les grands créateurs, les marques de prêt-à-porter et en même temps il est toujours aussi difficile de vivre son africanité au quotidien. La représentation du corps noir, des cheveux, est encore problématique. Comment l’expliquer ?
Dans les années 1930, tout le monde dansait la biguine à Paris, c’était beau et exotique et après ? Dire « mode afro », c’est encore étiqueter et laisser toute une culture enfermée dans un coin de festival, de librairie ou le temps d’une saison de prêt-à-porter… D’où le titre de l’épisode « Tenir tête » pour affirmer que cette représentation du corps noir n’est pas qu’une mode mais qu’elle est notre réalité et qu’il faut continuer à dénoncer et à refuser toute aliénation. Etre afro, ce n’est pas être une mode ! Mais c’est être ce que l’on est.
Danse, photographie, musiques… les artistes africains-américains se mobilisent. L’art peut-il faire évoluer les mentalités ?
Quand tout est à terre, il reste la culture, pour citer un Immortel. En France aussi, des artistes s’emparent de cette question à l’instar de Casey, des documentaristes Alice Diop ou Amandine Gay, des cinéastes Djin Carrénard et Salomé Blechman, du collectif Décoloniser les arts avec Eva Doumbia ou Gerty Dambury. Ou des photographes comme Hélène Jayet avec sa série Colored Only. Ils travaillent à réveiller les consciences, pointer là où ça fait mal et mieux faire comprendre que rien n’est acquis. Et à laver la rétine de ceux qui sont aveugles à cette réalité.
Noire Amérique, websérie de huit épisodes de Caroline Blache et Florent de La Tullaye, avec Alain Mabanckou, sur http://creative.arte.tv/fr/noireamerique