« Les écoles d’art protègent les jeunes des dangers du marché »
« Les écoles d’art protègent les jeunes des dangers du marché »
Propos recueillis par Sophie Blitman
Pour Celia Bense Ferreira Alves, sociologue du travail, les écoles d’art offrent un environnement favorable à la construction d’une identité professionnelle.
A l'Ecole supérieure d'art et de design de Saint-Etienne (Esadse). | Sandrine Binoux
Maître de conférences à Paris-VIII, Celia Bense Ferreira Alves a notamment coordonné un numéro de la revue Sociologie de l’art sur le thème « L’art d’être artiste » (éditions L’Harmattan, 2014).
Peut-on vraiment apprendre à être artiste ?
Le terme « artiste » recouvre des réalités très différentes : une posture, un travail, ce qu’on appelle le talent sans parvenir à le définir clairement. Dans tous les cas, l’apprentissage personnel, en dehors de l’école, est fondamental et ce, d’autant plus qu’il ne s’arrête jamais. Etre artiste suppose d’être reconnu comme tel, d’abord par d’autres artistes, car le regard des pairs est essentiel, mais aussi par des critiques d’art ainsi que, in fine,par des consommateurs.
Le processus de légitimation est complexe et il relève davantage du marché que des écoles : celles-ci ne garantissent aucunement la reconnaissance de la valeur artistique. En outre, dans la mesure où il n’existe pas de corps institué, l’entrée sur le marché n’est pas verrouillée. De fait, on peut y accéder sans être passé par une formation artistique, mais c’est plus difficile qu’avant, car la situation est extrêmement tendue.
Qu’apportent les écoles d’art ?
Elles facilitent tout de même la reconnaissance, parce qu’elles permettent d’entrer en contact avec des artistes. Elles servent aussi parfois de vitrine : elles donnent aux étudiants la possibilité de présenter leurs travaux et leur mettent le pied à l’étrier. Surtout, elles constituent un environnement sécurisant, au sein duquel les apprentis artistes ont un peu plus de temps pour faire leurs preuves. Ils peuvent commettre des erreurs que le marché aurait du mal à pardonner. Voilà l’intérêt majeur des écoles : protéger les jeunes des dangers du marché.
Elles permettent aussi, bien sûr, d’acquérir certaines techniques, mais il y aura toujours un décalage entre les moyens forcément limités d’une école, pour des raisons budgétaires ou de temps, et les possibilités infinies qui s’ouvrent ensuite à un artiste.
Dans quelle mesure les écoles façonnent-elles les artistes qui les fréquentent ?
Les étudiants se construisent en tant qu’artistes en se confrontant à la réaction de leurs enseignants, dont ils cherchent à satisfaire les exigences. Ils acquièrent ainsi une culture spécifique, propre à chaque école, qui, comme toute institution, a ses propres normes.
Celles-ci sont parfois liées au marché de l’emploi. Par exemple, dans un contexte de développement des productions audiovisuelles et de recrutements par castings, le Cours Florent met en avant la correspondance au rôle pour faciliter une employabilité immédiate. Alors qu’en Allemagne, où le recrutement des élèves dans des ensembles, au sein d’un réseau de théâtres publics, est quasiment garanti, l’Académie des arts dramatiques Ernst Busch met l’accent sur l’intégration à un collectif de travail relativement stable.
Les jeunes artistes d’aujourd’hui ont-ils le même profil qu’il y a trente ans ?
Depuis les années 1980, sous l’effet de la démocratisation de l’enseignement supérieur, les formations artistiques ont vu arriver des effectifs croissants d’étudiants. Le nombre de cursus a explosé, tandis que de nouvelles spécialités sont apparues, en gestion, en communication ou en médiation culturelle : elles attirent des bacheliers littéraires, mais aussi des artistes qui s’y inscrivent pour compléter leur bagage. Certaines écoles d’art ont elles-mêmes intégré cette dimension administrative. Alors que le marché était autrefois absent de la formation, il est de plus en plus admis qu’être artiste, c’est aussi être entrepreneur de soi-même et que cela ne nécessite pas seulement des compétences artistiques, même si les apprentis artistes ne mettent pas tous cet aspect en avant.
D’autre part, les possibilités de faire de l’art se sont élargies : de nouveaux supports et secteurs d’activité sont apparus, autour notamment du Web, du graphisme et de la vidéo. La pluridisciplinarité est également mieux reconnue. Elle n’est plus considérée comme avantgardiste : de nombreux spectacles mêlent désormais théâtre, musique et vidéo. Sans être rattaché à l’un de ces arts en particulier, l’ensemble crée un objet artistique différent. Plus encore qu’autrefois, il existe de multiples manières d’être artiste.
Un dossier spécial et un Salon étudiant pour choisir sa formation artistique
Retrouvez notre dossier spécial consacré aux formations artistiques, publié progressivement sur Le Monde.fr (rubrique Ecoles d’arts) et dans un supplément à paraître dans Le Monde daté de jeudi 1er décembre, avec des analyses, des reportages dans les écoles ainsi que des témoignages d’étudiants.
Des informations à compléter lors du Salon des formations artistiques, organisé par Le Monde et Télérama, qui se tiendra les 3 et 4 décembre à Paris, grâce aux conférences et aux ateliers, et en rencontrant des responsables et des étudiants des nombreuses écoles représentées. Entrée gratuite, préinscription recommandée.