Gianpaolo Pagni

L’école se méfie de l’art et se défie des artistes. Minorés au collège, quasiment inexistants au lycée, les enseignements artistiques sont le parent pauvre des programmes scolaires, qui évitent le plus souvent de laisser les jeunes goûter aux plaisirs vénéneux et addictifs de la création, excepté en arts plastiques, où l’on met encore la main à la pâte.

Les rares initiatives de pratique musicale ou théâtrale, elles, doivent tout à l’énergie d’enseignants passionnés, bien peu aux réquisits d’un système qui ne rejette rien tant que les dispositifs dérangeant l’autorité du savoir académique – l’intrusion d’un artiste qui dira les vertus du pas de côté ou pointera les failles de l’ordre établi, l’accès à la connaissance par le « faire » (chorale, pièce de théâtre, spectacle de danse…), le travail collectif et la créativité, réputés impossibles à évaluer, le détour par le mouvement, la libération des corps entravés…

Une fois passé le baccalauréat, le ministère de l’enseignement supérieur est à peine plus accueillant, à quelques rares et brillantes exceptions, telle l’Ecole nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (Ensatt). L’université forme des professeurs et des chercheurs en histoire de l’art, musicologie ou théâtre, pas des peintres, des musiciens ou des comédiens. Qu’il s’agisse de théâtre ou de beaux-arts, il faut donc se tourner vers le ministère de la culture, les collectivités territoriales et le secteur privé pour trouver une offre qui allie formations pratique et théorique de haut niveau.

Contourner les instances de reconnaissance

Les signaux envoyés par le marché de l’emploi sont à peine plus encourageants : la compétition est intense, la précarité la règle. En somme, tout converge pour décourager les vocations ou pour les cantonner aux milieux déjà sensibilisés si ce n’est à la pratique, du moins à la fréquentation de l’art. Le mouvement est ancien : la sociologue Nathalie Heinich montre bien comment se forge, au XIXe siècle, une identité « positive » de l’artiste, qui offre un débouché socialement acceptable aux enfants de l’aristocratie ou de la bourgeoisie qui ne veulent pas ou ne peuvent pas accéder aux catégories habituelles de l’élite (le pouvoir économique ou politique).

A ce jeu, celles et ceux qui n’ont pas eu accès à la pratique artistique enfant ou adolescent – que ce soit par leur curiosité, leur famille, leur environnement géographique et culturel… – perdent, presque, à tout coup. Les grandes institutions de formation s’en inquiètent depuis peu et multiplient les dispositifs d’ouverture sociale, mais ils restent marginaux.

Pourtant, chaque année, des milliers de jeunes, toujours plus nombreux, tentent d’embrasser la vie d’artiste. Certains attaquent leur Everest en solo, tentation d’autant plus séduisante que la mythologie des Millennials se nourrit de réussites fulgurantes portées par la puissance des réseaux sociaux, qui semblent ouvrir au talent isolé une possibilité de contourner les instances de reconnaissance formelles.

Les autres – la plupart – s’accordent quelques années d’un parcours plus sécurisé au sein d’une école, à la fois lieu de formation, sas de protection – on y tisse des liens, les erreurs y sont moins fatales – et ­espace de relative liberté où l’on peut encore s’abstraire des lois d’airain du marché, explorer des formes et des langages sans se soucier outre mesure de reconnaissance ou de commercialisation. En attendant d’affronter une « compétition violente et ouverte », dont le sociologue Pierre-Michel Menger disait, en avril 2016, sur France Culture qu’elle « ne s’apprend pas forcément dans les écoles ».

Un dossier spécial et un Salon étudiant pour choisir sa formation artistique

Retrouvez notre dossier spécial consacré aux formations artistiques, publié progressivement sur Le Monde.fr (rubrique Ecoles d’arts) et dans un supplément à paraître dans Le Monde daté de jeudi 1er décembre, avec des analyses, des reportages dans les écoles ainsi que des témoignages d’étudiants.

Des informations à compléter lors du Salon des formations artistiques, organisé par Le Monde et Télérama, qui se tiendra les 3 et 4 décembre à Paris, grâce aux conférences et aux ateliers, et en rencontrant des responsables et des étudiants des nombreuses écoles représentées. Entrée gratuite, préinscription recommandée.