« Chère Ivanka » : en désespoir de cause, des artistes s’en remettent à la fille de Trump
« Chère Ivanka » : des artistes s’en remettent à la fille de Trump
Par Emmanuelle Jardonnet
Des acteurs de la vie culturelle de New York veulent sensibiliser celle qui est aussi une des conseillères du président élu.
Ce n’est pas un compte de fans, malgré les photos glamour qui y sont postées, ni tout à fait un compte parodique, même s’il n’est pas dénué d’ironie. Dans la foulée de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis est apparu un compte Instagram intitulé « dear_ivanka » (chère Ivanka), qui diffuse des images de la fille du président élu en les accompagnant de messages anxieux collectés par HALT (« stop » en français), un « groupe d’action » monté en quelques jours par des acteurs de la vie culturelle new-yorkaise. Parmi les sujets évoqués, devenus brûlants dans l’Amérique de Trump : le climat, la xénophobie, et notamment la sécurité des musulmans, l’homosexualité, le droit à l’avortement ou encore le chômage.
C’est à travers ce même compte qu’a été lancé un appel à manifester, lundi 28 novembre, pour « exprimer les inquiétudes et les préoccupations de citoyens face à l’équipe gouvernementale en train de se constituer et les projets annoncés ou attendus ». Le New York Times rapporte que quelque 150 artistes, commissaires d’exposition et galeristes ont ainsi défilé jusque devant l’immeuble où vit Ivanka Trump. Le compte Instagram a alors servi à illustrer la manifestation avec des photos des affiches brandies et des portraits de manifestants.
« La plus rationnelle »
Pourquoi donc cibler la fille ? Comme le résume l’un des messages du groupe : « Vous semblez la plus rationnelle » – sous-entendu de la famille Trump. C’est l’influence d’Ivanka Trump sur son père qui représenterait un – mince – espoir face à un sentiment d’impuissance. L’ex-mannequin devenue femme d’affaires et son mari, Jared Kushner, tous deux âgés de 35 ans et parents de trois jeunes enfants, ont été nommés par Donald Trump dans son équipe de transition chargée de mettre sur pied, d’ici au 20 janvier 2017, sa nouvelle administration.
Parmi les personnalités les plus controversées citées dans les messages recueillis : Steve Bannon, directeur général de la campagne Trump et ex-dirigeant du site d’extrême droite Breitbart News ; le climatosceptique Myron Ebell, que Trump a nommé à la tête de l’Agence de protection de l’environnement (EPA), chargée de faire respecter les normes écologiques dans le pays ; Jeff Sessions, accusé de propos racistes et qui devrait devenir ministre de la justice ; ou encore le vice-président élu, Mike Pence, connu pour être ouvertement homophobe et contre l’avortement.
Le compte Instagram renvoie à un site dédié, dearivanka.info, où apparaît une photo du jeune couple, accompagnée d’un court texte où l’on peut lire : « Le racisme, l’antisémitisme, la misogynie et l’homophobie ne sont acceptables nulle part – et encore moins à la Maison Blanche (…) La haine n’a pas sa place à la Maison Blanche. Nous refusons d’attendre de voir. Nous nous tournons vers vous comme la voix de la raison. »
Peu d’illusions
Ivanka Trump est perçue comme une personnalité plus ouverte que son père. « Elle représente la face la plus humaine du trumpisme », avance l’artiste Jonathan Horowitz, membre fondateur de HALT, contacté par Le Monde. Et c’est sa connection avec le monde de l’art qui représente un dénominateur commun pour le collectif : « Elle est collectionneuse et semble avoir des aspirations culturelles », précise-t-il.
Jonathan Horowitz ne se fait pourtant guère d’illusions : « Il n’y a pas vraiment de preuves de sa capacité à tempérer les actions de son père. Rappelons que sa plus importante prise de position publique depuis son élection a été d’arborer, dans une émission de télévision, un bracelet à 10 000 dollars de sa marque… »
Le lancement de cette campagne « Dear Ivanka » est une façon de catalyser des énergies pour réagir collectivement face à une présidence qui s’annonce comme une « catastrophe », résume encore l’artiste : « Ce qui se passe n’est pas normal, et je vais faire tout mon possible pour lutter contre. Nous espérons que cette première action va se transformer en un mouvement d’envergure. Ce groupe s’est constitué spontanément à travers des discussions et des mails dans un sentiment d’urgence, et il se trouve que beaucoup d’entre nous sont des artistes ou des acteurs des milieux culturels, mais tout un chacun est invité à nous rejoindre. »
« Instrumentalisation »
Parmi ceux qui se sont mobilisés lundi soir : la peintre britannique, installée à New York, Cecily Brown, Rob Pruitt, Ryan McNamara, Jonah Freeman, Marilyn Minter (à laquelle le Brooklyn Museum consacre actuellement une rétrospective), ou encore Nate Lowman et Dan Colen, des artistes dont Ivanka Trump possède des œuvres, précise Alison Gingeras, commissaire indépendante et membre de HALT, également contactée par Le Monde. « Des artistes dont on aperçoit des œuvres sur les photos qu’Ivanka Trump publie sur les réseaux sociaux dénoncent l’instrumentalisation de leurs créations », souligne-t-elle.
« Le groupe d’action compte pour le moment une centaine de membres actifs, mais plusieurs centaines de personnes se sont agrégées à notre marche, et le collectif ne cesse de grandir, affirme, en français, la curatrice, qui a déjà collaboré avec le Guggenheim à New York ou le Palazzo Grassi à Venise, et a travaillé cinq ans au Centre Pompidou à Paris. Le compte a été pour nous le moyen de collecter des messages, comme une lettre ouverte virtuelle. Lors de la marche, nous avons continué à collecter des messages dans la rue, sur des cartes postales. L’ensemble de ceux-ci sera bientôt délivré à Ivanka Trump par courrier, mais aussi archivé et rendu public sur le site Internet ».
Pour l’instant, celle-ci n’a pas réagi à cette campagne qui lui est directement adressée. HALT prévoit « d’autres marches, des lettres et des rencontres avec des sénateurs ».