LA LISTE DE NOS ENVIES

La multiplicité des genres au cinéma donne lieu à une galerie infinie de personnages principaux. C’est toute la richesse du 7e art. Cette semaine, sur les grands écrans, vous pourrez croiser : un aviateur laconique qui sauve ses passagers, et peut-être l’Amérique elle-même, dans un grand film rédempteur (Sully) ; des saucisses animées et lubriques qui se la donnent, insouciantes du futur, tandis que le barbecue les attend (Sausage Party) ; un couple de petits trafiquants rançonnés dans un commissariat de police de Manille, façon cinéma documenté (Ma’ Rosa) et, enfin, un scientifique lancé à corps perdu dans un dialogue avec les oiseaux sur le versant escarpé d’une fable symboliste (L’Ornithologue).

L’AVIATEUR QUI REDONNE DROIT À L’AMÉRIQUE : « Sully », de Clint Eastwood

Sully - Official Trailer [HD]
Durée : 02:04

Le 15 janvier 2009, deux minutes après son décollage de l’aéroport LaGuardia, à New York, l’airbus A320 du vol 1549 d’US Airways est percuté par une formation de bernaches du Canada qui mettent ses deux réacteurs hors d’usage. Aux commandes de l’appareil, le commandant Chesley Burnett Sullenberger, 58 ans, assisté de son copilote, Jeffrey Skiles, a très peu de temps pour réagir et choisit l’amerrissage sur le fleuve Hudson.

Bien lui en prend : cette manœuvre réputée dangereuse sauve les cent cinquante passagers, les cinq membres de l’équipage, ainsi qu’un nombre inconnu d’habitants d’une mort certaine. Adaptant brillamment ce fait divers, Clint Eastwood partage son film entre le retour inquiété des deux héros (remarquables et complémentaires Tom Hanks et Aaron Eckhart), sommés de se justifier devant la commission d’enquête, et la reconstitution de l’accident proprement dit, rendue exaltante par la découpe dramaturgique, la vraisemblance des trucages, la beauté plastique.

A ce grand moment d’action correspond ce grand moment de vérité qu’est la confrontation de Sully et des membres de la commission d’enquête, dont on pressent que Clint Eastwood a quelque peu noirci les intentions pour servir, en héritier putatif de John Ford, la légende de son film. Jacques Mandelbaum

« Sully », film américain de Clint Eastwood, avec Tom Hanks, Aaron Eckhart, Laura Linney (1 h 35).

PLUS CRAQUANT QUE « TOY STORY », LA VIE INTIME DES SAUCISSES : « Sausage Party », de Seth Rogen et Jonah Hill

Sausage Party | Official Red Band Trailer [2016 HD]
Durée : 03:21

On imagine bien Seth Rogen et Jonah Hill totalement stone sur un vieux canapé, improvisant avec un paquet de saucisses et un autre de petits pains à hot-dogs une histoire salace où saucisses et petits pains, dévorés de désir les uns pour les autres, brûleraient de s’arracher à leur emballage pour s’accoupler sauvagement. Cette idée est au cœur de Sausage Party, film d’animation à la croisée de Toy Story, Délire express et Massacre à la tronçonneuse, produit par la reine des blockbusters hollywoodiens de prestige, Megan Ellison.

Contrairement aux idées reçues, les aliments sont donc des personnes comme vous et moi. Soumis à l’ordonnancement fascistoïde de l’hypermarché, ils croient dans l’odieux mensonge que leur vend l’idéologie totalitaire au pouvoir : les clients sont des divinités qui viennent les « choisir » pour les emmener dans un paradis de liberté et de sexe à gogo – malheur aux non-élus qui finissent dans le néant du rebut. Loin d’eux l’idée d’imaginer le sort qui les attend réellement… Isabelle Regnier

« Sausage Party », film d’animation américain de Conrad Vernon et Greg Tiernan (1 h 29).

TRAFIC, MISÈRE ET RANÇON À MANILLE : « Ma’ Rosa », de Brillante Mendoza

Trailer of MA' ROSA, A Brillante Mendoza film
Durée : 01:41

Un couple de commerçants d’un quartier malfamé de Manille, revendeur de drogue pour arrondir les fins de mois de la famille nombreuse, est arrêté sur dénonciation d’un plus pauvre, et mené sans ménagement au commissariat. Là, dans le huis clos d’une arrière-salle blafarde où s’agglomèrent des adolescents indicateurs et des flics corrompus jusqu’à la moelle, s’inaugure une longue négociation qui devra permettre aux gradés de la police locale de saigner à blanc le couple en promettant de lui éviter le jugement et la prison.

Ce que le film donne à comprendre, ce que sous-tendent les trafics du couple : la pauvreté y induit le vice, lequel est moins une perversion morale qu’une nécessité vitale. Inexorable mécanique qui induira, vers la fin du film, les enfants de Ma’ Rosa à devoir rassembler ce qui manque de la somme extravagante exigée par la police. Un film qui croise l’actualité tragique de la guerre à outrance menée par le président Rodrigo Duterte contre les trafiquants. J. M.

« Ma’ Rosa », film philippin de Brillante Mendoza avec Jaclyn Jose, Julio Diaz, Felix Roco, Andi Eigenmann (1 h 50).

L’HOMME QUI PARLAIT AUX OISEAUX : « L’Ornithologue », de Joao Pedro Rodrigues

The Ornithologist / L'Ornithologue (2016) - Trailer (French Subs)
Durée : 01:48

Difficile de raconter un film qui ne cesse de se dérober, bifurquant et se recomposant presque à chaque plan. Il part d’un postulat rationnel : Fernando (Paul Hamy), l’ornithologue en titre, venu en excursion dans les gorges fluviales du Haut Tras-os-Montes, au Portugal, près de la frontière espagnole, observe comme il se doit les oiseaux du coin.

Entraîné par le courant, son canoë se fracasse dans les rapides et le laisse inanimé à l’orée d’un bois. C’est là que deux Chinoises égarées, en pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle, le retrouvent, le raniment et le soignent autour d’un feu de camp. Au matin, Fernando se retrouve à demi-nu, encordé à un arbre façon « bondage » sadomasochiste…

Là, le récit bascule et s’enfonce avec son personnage dans un territoire de plus en plus fantasmatique. Tout le film peut être ainsi vu comme une profanation agréablement blasphématoire de l’imagerie sainte, ramenée aux termes de la passion amoureuse. Car ici, comme dans tous les films de Rodrigues, le chemin n’est jamais que l’indice extérieur d’une métamorphose plus profonde, au cours de laquelle les êtres déposent à terre la peau morte de leurs identités obsolètes. Mathieu Macheret

« L’Ornithologue », film portugais, français et brésilien de et avec Joao Pedro Rodrigues, et avec Paul Hamy, Han Wen, Chan Suan, Xelo Cagiao (1 h 57).