Football : pour Pascal Dupraz, « la chute d’Evian était cousue de fil blanc »
Football : pour Pascal Dupraz, « la chute d’Evian était cousue de fil blanc »
Par Rémi Dupré
L’entraîneur de Toulouse et ex-manageur de l’ETG revient sur la dégringolade de son ancien club, mis en liquidation judiciaire vendredi 2 décembre.
Vendredi 2 décembre, le tribunal de commerce de Thonon-les-Bains devait prononcer la mise en délibération de la liquidation judiciaire de la structure professionnelle du club d’Evian-Thonon-Gaillard (ETG) et la dissolution de son association. Sponsorisée par Danone jusqu’en 2014, la formation de Haute-Savoie a connu une chute vertigineuse, passant de la Ligue 1 (2011-2015) au néant. Placé en redressement judiciaire, croulant sous les dettes, l’ETG a renoncé, en août, à s’inscrire aux championnats amateurs de CFA et CFA 2. Ex-homme fort (1991-2015) et manageur général du club, l’actuel entraîneur de Toulouse, Pascal Dupraz, revient sur la dégringolade de son ancien club.
L’ETG a été placé en redressement judiciaire, en août. Comment expliquez-vous cette chute ?
Cette chute, c’était cousu de fil blanc. Je savais que ça allait se passer comme ça. Il y a bien sûr les deux pseudo-actionnaires [Esfandiar Bakhtiar et Richard Tumbach] qui ont porté le coup de grâce. Ils avaient la légitimité qui leur avait été donnée par ceux qui sont partis entre-temps.
On parle quand même d’un club qui a évolué parmi l’élite de 2011 à 2015…
A partir du moment où il était en Ligue 1, il n’avait cessé de voir son budget descendre chaque année. Pourtant, il était soutenu de façon prestigieuse par Danone. Après, il est certain que si Danone n’était pas venu, on n’aurait jamais vu la Ligue 1. C’était pas dur de monter depuis le National avec un budget qui était trois ou quatre fois supérieur à ceux de tous les autres concurrents à l’époque. Ensuite de se maintenir, ma foi, très bien en Ligue 1. Mais rien n’a été fait pendant ces quatre ans pour consolider le club et son modèle économique. Chaque année, il perdait de l’argent.
Quel regard portez-vous sur la cascade de licenciements (36 emplois supprimés) au club ?
Il y a tout ce qu’on a perdu tous autant que nous sommes. Il y a des blessures qu’on garde et qu’on emportera avec nous. Des choses inadmissibles ont été faites. Bakhtiar a quand même réclamé que mon père soit exclu du conseil d’administration alors qu’il était à l’article de la mort, en soins intensifs. Cela situe le genre de personnage. Car mon père avait eu l’outrecuidance de dire qu’il nous amenait droit dans le mur. Bakhtiar faisait croire à tout le monde qu’il mettait des ronds, alors qu’il n’en mettait pas.
Qui est responsable de cette chute ?
Les deux dernières personnes citées [MM. Bakhtiar et Tumbach]. C’est un scandale, mais ce n’est pas moi qui les ai mis actionnaires majoritaires. Après, on a tous nos responsabilités. J’étais l’entraîneur de l’équipe qui est descendue de Ligue 1 en Ligue 2 [en mai 2015]. Donc, j’ai mes responsabilités. Même si on me proposait, la dernière année, des salaires pour les joueurs qu’on recrutait qui n’avaient rien à voir avec des salaires de Ligue 1. Donc, fatalement, on s’adressait à des joueurs qui n’avaient pas le niveau. Tout ça parce que les budgets étaient ric-rac. Mais, encore une fois, Bakhtiar et Tumbach, ce n’est pas moi qui les ai propulsés au conseil d’administration. Bakhtiar, c’était l’ami de Patrick Trotignon [président de l’ETG de 2008 à 2013]. Pas le mien.
Après votre limogeage, en juin 2015, pensiez-vous que les choses allaient se passer comme ça ?
Franchement, descendre de Ligue 2 au National, il fallait faire fort. Si Trotignon était resté, le groupe Danone ne serait pas parti [en juin 2014]. On m’a taxé d’avoir viré Trotignon [évincé le 23 décembre 2013], mais ce n’est pas moi qui l’ai fait. Je n’ai pas cessé, pendant un an, alors que j’essayais de maintenir l’équipe en Ligue 1, d’essayer de rabibocher tout le monde.
Peut-on parler d’un gâchis ?
Oui, il y a des gens qui en souffrent ou qui ont perdu leur emploi. J’en fais partie. Je me suis fait jeter comme un chien.
Votre vie était liée à ce club.
Si je ne m’y étais pas intéressé, on n’en parlerait pas. Si je ne m’étais pas démultiplié, le club ne serait jamais arrivé là où il était. Et ça, personne ne peut me l’enlever.
Vous étiez un peu le gardien du temple.
A partir du moment où je n’étais plus là, que fallait-il faire ? Des gens se sont senti pousser des ailes. Tout le monde a voulu faire tout et n’importe quoi, mettre son petit grain de sel, commander. Mais ça ne s’improvise pas.
Les querelles politiques ont-elles causé cette chute ?
On peut aussi évoquer l’inertie de certains politiques savoyards. Regardez bien, Bakhtiar et Tumbach ont mis le club en dépôt de bilan et tout le monde s’en fout, mis à part ceux que ça touche directement, c’est-à-dire les employés.
Le 18 octobre, vous avez été relaxé par le tribunal correctionnel de Thonon après avoir été accusé de « faux et usage de faux » par la direction de l’ETG. Que retenez-vous de cet épisode judiciaire ?
Quand on a malheureusement à faire avec ce genre de personnes, c’est comme ça que ça se passe. Car ils n’assument pas. On m’a mis au tribunal, en correctionnel. Cela situe un peu l’ignominie des gens. On a inventé tout et n’importe quoi. A partir du moment où ils me virent, j’ai six ans de contrat, ils savent que je vais aller aux prud’hommes. A partir du moment où je vais aux prud’hommes, j’ai une forte chance de gagner. Donc, qu’est-ce qu’ils font ? Ils montent de toutes pièces des reproches.
C’est le record du monde des litiges, sous l’ère Bakhtiar-Tumbach. Ils sont en procès avec tout le monde et ont craché sur ma famille. On a sacrifié mon gamin. Mon fils Julian [ex-directeur des services] était aussi à la barre. Il a été relaxé, comme moi. Vous imaginez le traumatisme. Il a commencé au club de Croix de Savoie à 6 ans.
Comment ce club peut-il renaître ?
Le centre d’entraînement et de formation d’Evian-Thonon-Gaillard, déserté, en novembre 2016. | Christophe Stramba-Badiali pour Le Monde
Il ne renaîtra jamais. C’est fini. Je suis pessimiste. Ce club n’aurait jamais dû être rétrogradé, il fallait trouver des solutions. Il y en a qui se sont évertués à pas trouver les solutions. A laisser descendre le club, à le laisser en redressement judiciaire. D’une part, d’abord les deux premiers actionnaires, et ensuite, à partir du moment où ils se sont retirés, ceux qui n’ont eu de cesse de décrédibiliser ce club-là. Ceux qui ont pignon sur rue.
Vous aviez l’ambition de faire de l’ETG une sorte d’Athletic Bilbao du bassin lémanique…
Ce qui est déplorable, c’est que c’était un projet social et identitaire. Il y avait un bon nombre de Savoyards qui étaient dans nos écoles de foot. En l’espace d’un mois, ils ont tout flingué. Bakhtiar, son seul objectif, c’était de vendre. Même les gamins, il les vendait. C’était des recrutements exotiques. Je n’ai rien contre l’exotisme, mais tout ceci a été balayé en l’espace d’une semaine ou quinze jours.
Bakhtiar vous expliquait le foot pour avoir lu L’Equipe depuis son plus jeune âge. Il a été bien aidé et encouragé en cela par des sommités du football. Pour avoir Luis Fernandez comme « conseiller du président », il n’y avait que Bakhtiar. Parce que toute la France du foot sait qu’il ne faut pas Fernandez comme conseiller. Sauf Bakhtiar.
Quel regard portez-vous sur le projet de reprise de Jean-Louis Escoffier, l’ex-président de l’association ETG ?
Quand le club est tombé en National [au printemps], c’est là qu’il fallait qu’ils le reprennent. Pourquoi ne l’ont-ils pas repris à ce moment-là ? Autant qu’ils sont, ils l’ont laissé crever. Peut-être qu’ils ont un Merlin l’enchanteur qui leur fait croire qu’ils vont faire monter le club chaque année. Ils vont aller de DHR [7e division] jusqu’en Ligue 1 ? C’est une blague. Il nous a fallu vingt ans pour monter de DHR en Ligue 1.
A Toulouse, avez-vous la volonté de prouver que vous pouvez réussir dans un autre environnement ?
Non. Moi, je n’ai absolument rien à prouver à personne. Je suis très bien loin de mes montagnes. J’aime beaucoup mon pays, sauf la plupart des gens qui y vivent. Car, dans mon pays, ils ne pensent qu’à leur gueule, à leur petit nombril tous autant qu’ils sont. Aujourd’hui, ce n’est pas une nouvelle vie, c’est un prolongement.
Quel regard portez-vous sur ce que vous réalisez depuis huit mois à Toulouse ?
J’ai toujours la même passion. Je pense avoir un minimum de compétences. Je suis très mesuré par rapport à ça. J’ai une chance terrible : je fais ce que j’aime dans un club structuré de Ligue 1. Avec un président [Olivier Sadran], qui, lui, pour le coup, me laisse travailler. Il sait que, dans mon domaine, j’ai plus de compétences que lui, car il n’a pas de diplôme et n’est pas entraîneur. Il me laisse travailler et il ne me donne pas la leçon comme tout un chacun me la donnait quand j’étais à l’ETG. Et en plus, c’est son argent. J’ai une totale marge de manœuvre pour tout ce qui concerne l’effectif pro.
Pascal Dupraz et Olivier Sadran, président du Toulouse Football Club, le 2 mars. | ERIC CABANIS / AFP
Comment expliquez-vous la belle dynamique du TFC, sauvé de la relégation au printemps et actuellement classé 8e de Ligue 1 ?
Encore une fois, par le travail. C’est aussi mon management certainement et l’effectif dont je dispose, qui est de très très bonne qualité. Ici, c’est un savant mélange entre des jeunes issus du centre de formation et des joueurs expérimentés. Mon management, c’est aussi le bien-être, le bien vivre ensemble. C’est un environnement plus confortable pour moi. J’ai une chance terrible de pouvoir faire mon métier ici. Ici, c’est tout le contraire de l’ETG où chaque jour qui passe vous ne savez pas qui va vous planter. L’ETG, c’était ça. Il y avait de multiples traîtres.
Avez-vous adapté vos méthodes de travail en arrivant à Toulouse ?
Non, j’ai mis en place mes méthodes de travail, celles qui étaient les miennes. Je ne change pas, j’ai le même discours. Après, j’espère me bonifier avec le temps et avec l’expérience. Vous savez, quand je suis parti de l’ETG, Bakhtiar a écrit qu’enfin ils allaient jouer au football. Mais le torpillage a duré après moi. C’est dans ses gènes à Bakhtiar.
Quel rapport entretenez-vous avec le public toulousain ?
Je trouve que nous le respectons. Avec moi, ce public est plein de mansuétude, car il scande mon nom à chaque match. Ce qu’il m’arrivait, certes, à l’ETG, mais pas tout le temps. Comme quoi, nul n’est prophète dans son pays.
Que diriez-vous aux supporteurs de l’ETG ?
Qu’ils viennent voir un match à Toulouse. Qu’ils se rendent compte de ce qu’est un beau stade, avec un beau spectacle et des joueurs qui s’emploient comme le faisaient ceux de l’ETG, avec cette proximité avec le public. Après, que voulez-vous que je leur dise ?
L’ETG reste-t-il une blessure pour vous ?
Si j’avais su que ça allait se terminer comme ça, je n’aurais pas fait tout ce que j’ai fait. Croyez-moi. Je le regrette. Je ne m’en serais pas occupé.