Italie : le fort enjeu du référendum pour les opposants politiques à Matteo Renzi
Italie : le fort enjeu du référendum pour les opposants politiques à Matteo Renzi
Par Feriel Alouti
MM. Grillo, Berlusconi et Salvini, les trois poids lourds de l’opposition, ont profité de la campagne du référendum pour amasser des points en cas d’élections anticipées.
En annonçant très tôt qu’il démissionnerait en cas de « non » au référendum du 4 décembre, dont l’objectif est d’accélérer le travail parlementaire et de mettre un terme définitif à l’instabilité gouvernementale en Italie, le premier ministre, Matteo Renzi, également secrétaire national du Parti démocrate (PD), a ouvert un boulevard aux chefs de l’opposition italienne.
Depuis des semaines, Beppe Grillo, leader du Mouvement 5 étoiles, Silvio Berlusconi, ancien premier ministre et fondateur du parti Forza Italia, et Matteo Salvini, secrétaire fédéral de la Ligue du Nord, répètent à l’envi leur opposition à la réforme constitutionnelle en veillant avant tout à défendre leur propre agenda politique. Etat des lieux :
Beppe Grillo veut transformer l’essai
Le Mouvement 5 étoiles et son leader, Beppe Grillo, sont crédités de 30 % des intentions de vote. | GIUSEPPE CACACE / AFP
En jouant sur la profonde défiance des Italiens envers le personnel politique du pays et le rejet des élites, Beppe Grillo pourrait bien remporter le gros lot. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : avec 30 % des intentions de vote dans les enquêtes d’opinion, le Mouvement 5 étoiles (M5S) est le seul opposant sérieux du premier ministre, Matteo Renzi. Dès lors, Beppe Grillo, le leader du M5S, compte sur ce référendum pour « dégommer » le chef du gouvernement, explique Marc Lazar, chercheur au CERI et professeur à Sciences Po.
Pour cela, Beppe Grillo, humoriste et blogueur âgé de 68 ans, déroule inlassablement un argumentaire bien rodé. Selon lui, en faisant entrer les élus locaux au Sénat, la réforme constitutionnelle offre notamment l’immunité parlementaire à un personnel particulièrement corrompu, et ne s’attaque pas réellement à la question du coût de la vie politique, comme le gouvernement Renzi le prétend.
Une alternative aux partis traditionnels
Depuis plusieurs semaines, MM. Grillo et Renzi ont entamé un bras de fer. Après avoir qualifié de « ramassis » la coalition des partisans du « non », le premier ministre italien s’est vu comparé à une « truie blessée » par le chef du M5S. Matteo Renzi a riposté en affirmant que l’agressivité de Beppe Grillo était liée aux multiples scandales qui entachent la réputation du mouvement.
En effet, sur le terrain, le M5S, pourfendeur des élites et de la corruption, ne se révèle pas à la hauteur de son discours moraliste. A la mairie de Rome, censée être une vitrine pour un mouvement jeune et en pleine expansion, la maire, Virginia Raggi, enchaîne les déconvenues. Un exemple : la nomination d’un chef de cabinet à 200 000 euros par an, alors que le mouvement ne cesse de dénoncer les salaires exorbitants des dirigeants politiques.
La preuve d’un certain amateurisme ? « C’est un mouvement qui n’a pas été préparé à accéder à des responsabilités politiques », relève M. Lazar. Malgré ces scandales, le Mouvement 5 étoiles continue d’incarner une alternative aux partis traditionnels et ambitionne même de devenir la première formation politique du pays.
Silvio Berlusconi à la recherche d’un second souffle
Embourbé dans des affaires judiciaires et fragilisé par des problèmes de santé, à 80 ans, Silvio Berlusconi refuse de lâcher les rênes de son parti. | ALESSANDRO BIANCHI / REUTERS
Affaibli et miné par les divisions, Forza Italia, le parti créé en 1994 par l’ancien président du conseil Silvio Berlusconi traverse une longue zone de turbulence. Embourbé dans des affaires judiciaires et fragilisé par des problèmes de santé, il Cavaliere a 80 ans mais refuse de tirer sa révérence. Il a annoncé, le 27 novembre, qu’il comptait de nouveau se présenter à la tête du gouvernement en cas de démission de Matteo Renzi.
Si Silvio Berlusconi s’oppose à la réforme constitutionnelle, c’est avant tout parce qu’elle est liée à la réforme électorale. Avec la nouvelle loi, un parti – et non pas une coalition – doit dépasser 40 % des suffrages au niveau national pour rafler 340 des 630 sièges de la Chambre des députés. Forza Italia étant crédité de 15 % des intentions de vote, sa seule manière de revenir au pouvoir serait, dans ce cas, de créer des alliances électorales.
Problème de stratégie
Or, la question des alliances est délicate pour Silvio Berlusconi, qui hésite entre un pacte avec la Ligue du Nord, ou un rapprochement avec le PD de Matteo Renzi. « Silvio Berlusconi change de position tous les jours, ce qui montre qu’il n’a plus de stratégie politique », juge Marc Lazar. Pour Laurence Morel, professeure à l’université de Lille, Silvio Berlusconi devine aussi qu’en cas d’alliance avec Matteo Salvini le « très ambitieux » leader de la Ligue du Nord, « le jeune loup l’écraserait ».
Une idée difficilement supportable pour l’ancien premier ministre, confronté à la perte de son aura politique. Et malgré une opération à cœur ouvert en juin 2016, il Cavaliere refuse de préparer sérieusement sa succession. « Au moment de son opération, raconte Mme Morel. ses sous-lieutenants se sont déchirés pour savoir qui allait reprendre les rênes du parti. »
Matteo Salvini rêve d’un destin national
Depuis l’élection de Matteo Salvini à la tête de la Ligue du Nord, en décembre 2013, le parti progresse sur l’échiquier politique italien. | MARCO BERTORELLO/AFP
Depuis plusieurs semaines, Matteo Salvini, le leader de la Ligue du Nord, enchaîne les meetings pour dire tout le mal qu’il pense de ce référendum. Sur le fond, il s’y oppose pour deux raisons : comme d’autres, il estime que la fin du bicamérisme « parfait » est un danger pour la démocratie italienne, et dénonce la fin de l’autonomie des régions induite par la réforme constitutionnelle.
Ce référendum donne aussi l’occasion au « cousin italien » de Marine Le Pen de s’opposer frontalement au premier ministre. Avec en tête l’idée de « jouer un rôle prééminent dans la recomposition du centre droit italien, s’il tombe », estime M. Lazar.
Cette stratégie suscite la polémique au sein du parti : d’un côté, ceux qui soutiennent Matteo Salvini dans ses ambitions nationales, de l’autre, ceux qui souhaitent conserver la dimension régionaliste, l’ADN de la Ligue du Nord.
Intentions de vote à 15 %
Depuis son élection à la tête du parti, en décembre 2013, la Ligue du Nord progresse sur l’échiquier politique italien. De 4 % aux élections législatives de février 2013, la formation est aujourd’hui créditée de 12 % à 15 % des intentions de vote au niveau national. « Evidemment les résultats de la Ligue sont plus importants dans le nord de l’Italie, mais elle tente de sortir de ses terres traditionnelles et, pour cela, Matteo Salvini essaye de s’adresser à tous les Italiens », note Marc Lazar.
Avec Matteo Salvini, le parti a donc entrepris un virage à l’extrême droite, et se focalise sur deux thèmes jugés rassembleurs : l’immigration et l’Union européenne. Elu député au Parlement européen depuis 2004, Matteo Salvini, 43 ans, a toujours milité au sein de la Ligue du Nord. Il a 21 ans lorsqu’il devient conseiller municipal de Milan, et à peine 40 ans quand il est élu secrétaire fédéral du parti.
Réputé pour ses phrases chocs et ses coups d’éclat, Matteo Salvini cultive son propre style et verse souvent dans la provocation. En 2014, il décide par exemple de partir en Corée du Nord avec des producteurs de pommes de Lombardie. Avant ça, il avait proposé de rétablir la ségrégation raciale dans le métro à Milan. Et estime que la marine nationale italienne est « coupable » lorsqu’elle sauve des migrants en Méditerranée.