Pierre Moscovici, le 30 novembre à Bruxelles. | BENOIT DOPPAGNE / AFP

Bruxelles a eu à peine le temps de se réjouir de l’échec de l’extrême droite à l’élection présidentielle autrichienne, dimanche 4 décembre au soir, qu’elle replongeait dans les affres de la « polycrise » qui ébranle sa cohésion, avec l’échec du référendum italien et la démission de Matteo Renzi, dans la foulée.

Après le traumatisme du Brexit, en juin, l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, début novembre, et la montée des populismes partout en Europe, les dirigeants européens craignent d’entrer dans une nouvelle zone de turbulences, politiques et économiques, la Péninsule étant considérée comme le principal maillon faible de l’eurozone après la Grèce.

L’Union monétaire se remet tout doucement de la pire crise de sa courte histoire, avec une croissance fragile, attendue à seulement 1,5 % de son produit intérieur brut (PIB) en 2017. Dans ce contexte, la situation de l’Italie n’est pas considérée comme alarmante, mais sa dette, dans un contexte de taux bas, ne se résorbe pas, et sept de ses banques sont toujours malades, en raison de leurs larges portefeuilles de créances douteuses. Une menace pour la stabilité financière du pays.

La situation de la Péninsule devait s’inviter au menu de l’Eurogroupe, la réunion des 19 ministres des finances de la zone euro, dès lundi 5 décembre, alors que ces derniers étaient censés initialement endosser les recommandations de la Commission sur leurs projets de budget 2017. L’italien Pier Carlo Padoan ne devait cependant pas s’y rendre, retenu à Rome après la démission de Renzi.

« Pays solide »

L’Italie « est un pays solide avec des autorités solides et j’ai tout à fait confiance dans [sa] capacité à faire face à cette situation », a déclaré Pierre Moscovici, le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, avant de rejoindre l’Eurogroupe. « Il n’y a aucun risque systémique en Italie », a ajouté le ministre français de l’économie, Michel Sapin.

« La priorité reste de finaliser véritablement l’union bancaire, avec la mise en place d’un système européen de garantie des dépôts et de renforcer l’Union économique et monétaire », avançait pour sa part le groupe des socialistes français au Parlement européen, inquiet de perdre, avec M. Renzi, un des principaux dirigeants sociaux-démocrates à même de peser à Bruxelles.

Les seuls à se féliciter, dimanche soir, de l’échec de Renzi, étaient les populistes de droite, voulant faire croire que le non italien au référendum était un non à l’Europe, alors que les Italiens se sont prononcés sur une réforme constitutionnelle que même The Economist, la bible des élites libérales pro-européennes, avait appelé à rejeter fin novembre. « Les Italiens ont désavoué l’UE et Renzi. Il faut écouter cette soif de liberté des nations et de protection ! », a tweeté la dirigeante du Front national, Marine Le Pen, dimanche soir.

Au-delà des inquiétudes qu’elle génère, la chute de Renzi laissait des sentiments mêlés lundi à Bruxelles. Si les responsables européens respectent ses velléités réformatrices, les coups de gueule « anti-Bruxelles » du premier ministre italien et son attitude bloquante lors de certaines négociations ont mis leur patience à rude épreuve. Au point que certains osaient même, avant le scrutin, se demander si M. Renzi n’était pas « en train de devenir un facteur déstabilisant ». « Renzi paie une incohérence sur l’Europe, surtout au cours des derniers mois », veut croire un diplomate européen.

En cause, les récentes prises de position de l’Italie, notamment lors d’un conseil consacré au commerce, le 11 novembre. Les Vingt-Huit devaient se prononcer pour le renforcement des instruments de défense commerciale de l’Union, afin de protéger leurs industries des surproductions chinoises à bas prix. Au dernier moment, Rome s’y est opposé, empêchant une majorité qualifiée d’imposer ce texte. Des diplomates évoquent aussi l’opposition italienne à une révision du cadre pluriannuel du budget 2014-2020 de l’Union, Rome jugeant que les crédits alloués à la politique migratoire étaient insuffisants.

François Hollande, Angela Merkel et Matteo Renzi, en juin à Berlin. | Markus Schreiber / AP

Beaucoup ont aussi très mal digéré le « sabotage », par M. Renzi, du sommet organisé en septembre à Bratislava, en Slovaquie, pour réfléchir, sans le Royaume-Uni, aux conséquences du Brexit. Le but était d’afficher un minimum d’unité après le référendum britannique, mais à l’issue d’une conférence commune Merkel-Hollande, le premier ministre italien avait lâché : « Je n’ai pas pu [y] participer, je ne peux pas me contenter de suivre un script pour laisser penser aux gens que je suis d’accord. »

A Bruxelles, ces dernières semaines, les diplomates et les politiques faisaient de plus en plus la comparaison avec l’Espagne, dont le premier ministre conservateur, Mariano Rajoy, s’est gardé de critiquer l’Union, malgré les difficultés du pays, même quand la Commission lui a demandé de réaliser de nouvelles coupes budgétaires en 2017.

Les dirigeants bruxellois sont d’autant plus amers qu’ils estimaient avoir fait le maximum pour sauver le soldat Renzi. A la mi-novembre, Pierre Moscovici a ainsi proposé que l’eurozone acte symboliquement la fin de l’austérité et fasse de l’expansion budgétaire en 2017. Cette suggestion, qui a fortement irrité l’Allemagne et les Pays-Bas, apparaissait comme une réponse aux critiques récurrentes de M. Renzi visant la politique d’austérité européenne.

La Commission a aussi appliqué une lecture très accommodante du pacte de stabilité et de croissance, en accordant 19 milliards d’euros de « flexibilités » à Rome, pour son budget 2016. Ces montants n’ont pas été pris en compte dans le calcul du déficit public italien. Rome a également échappé à des demandes de réécriture de son budget 2017, alors qu’il était manifestement hors des clous. Enfin, Bruxelles a tenu compte des coûts de reconstruction liés aux tremblements de terre dans son appréciation du budget italien et débloqué rapidement une aide financière européenne.

« “Stress test” négatif »

Certes, sur le front de l’immigration, l’Italie reste confrontée à un problème grave et non résolu, avec l’arrivée sur son sol d’un demi-million de migrants en trois ans – 171 000 depuis le début de 2016. Une majorité d’entre eux viennent désormais de Libye et aucune solution satisfaisante n’a été trouvée à Bruxelles pour un partage équitable de cette charge. Un « pacte » a été conclu cet automne avec certains pays africains et des tentatives de nouer des accords de rétention ou de retour lancées, mais une telle stratégie ne portera pas ses fruits avant plusieurs années.

« Avec l’Italie, l’Europe a subi un nouveau stress test négatif. Cela aurait pu être pire avec une victoire de l’extrême droite à la présidentielle en Autriche », commentait, mi-figue, mi-raisin, un haut responsable européen dimanche soir. Il ajoutait : « Mais je me trouve moi-même un peu trop positif. » Une chose est sûre : l’échec de Matteo Renzi va augmenter l’aversion des responsables bruxellois à l’égard des référendums : « Aux temps gaulliens, c’était une source de légitimation du pouvoir, c’est devenu un instrument de dissolution de l’autorité », relevait un diplomate bruxellois, lundi.