Le Qatar et l’Afrique, une relation encore bien hésitante
Le Qatar et l’Afrique, une relation encore bien hésitante
Par Benjamin Augé
Le chercheur Benjamin Augé fait le bilan de dix ans d’une diplomatie qatarie en retrait, par méconnaissance ou peur du continent.
Après l’ouverture de la première ambassade du Niger au Qatar, en août 2015, c’est au tour du Mali d’inaugurer, en octobre, sa représentation diplomatique dans cet émirat gazier, devenu si stratégique du fait de ses gigantesques revenus. Les ouvertures de nouvelles ambassades africaines se sont multipliées depuis une dizaine d’années à Doha. Auparavant, seuls les pays du Maghreb, la Mauritanie, le Soudan ainsi que l’Erythrée avaient des implantations diplomatiques dans ce pays du Golfe.
Désormais, avec l’établissement des piliers africains, l’Afrique du Sud (2003), Kenya (2010) et le Nigeria (2013), ainsi que des Etats aux poids géopolitiques plus faibles comme le Liberia, le Bénin, le Swaziland ou le Sénégal, on compte pas moins d’une vingtaine de représentations africaines au Qatar. Seulement, ces différents Etats n’ont pas forcément les mêmes objectifs, ni les mêmes stratégies pour parvenir à leurs fins. Quant au Qatar, son implication concrète en Afrique reste encore confidentielle malgré les nombreuses annonces.
Que viennent chercher les Etats africains à Doha ?
Les échanges avec les diplomates africains à Doha permettent de comprendre combien la représentation du Qatar a changé ces dix dernières années. Pour certains Etats comme le Liberia, ouvrir une représentation était un moyen d’attirer des fonds et investissements au pays – pensée partagée par les autres ambassades. A Monrovia, la décision d’ouvrir une ambassade en 2010 au Qatar correspondait à l’idée selon laquelle l’émirat gazier serait « la terre promise » et que ce choix allait rapporter gros.
Quelques années après leur implantation, la déception est grande pour la plupart des ambassades africaines. Plusieurs diplomates du continent se plaignent en privé que les négociations commerciales préalables (pas de double imposition, une sécurisation des investissements), indispensables avant toute discussion sur le moindre projet concret, prennent un temps infini. De plus, les cadres qataris du ministère des affaires étrangères sont peu nombreux et donc peu disponibles, surtout depuis l’accroissement des implantations africaines à Doha. Enfin, la diplomatie africaine de l’émirat reste le parent pauvre de sa stratégie internationale. Le « turn over » au ministère sur cette zone est très important et les diplomates qui sont assignés au bureau Afrique ne rêvent que d’une chose : être affectés à d’autres continents.
Autre problème d’approche de certains pays africains dans leur relation avec le Qatar : ils pensent, à tort, que l’émirat va leur consentir des dons et leur proposer des produits, notamment du gaz, à prix réduits. Le calcul est erroné, le Qatar ne souhaite investir que dans les projets rentables et ses matières premières se négocient au prix fort, quel que soit le client. S’il y a bien des aides accordées aux pays en développement, c’est par l’entremise des organismes de charité (Qatar Charity, Qatar Red Crescent).
En ce qui concerne les poids lourds africains que sont l’Afrique du Sud ou le Nigeria, leurs relations avec le Qatar n’ont pas comme seule vocation d’accroître les échanges économiques. S’ils sont également friands de capitaux, l’aspect politique est central dans leur démarche de s’implanter au Qatar. Du fait de l’implication de l’émirat dans plusieurs médiations, notamment entre Djibouti et l’Erythrée sur des problématiques frontalières ou encore sur la crise dans la région du Darfour, au Soudan, Pretoria et Abuja considèrent qu’il est désormais impensable de ne pas être présent au Qatar. La relation est aussi particulière avec les deux géants car ils ne sont pas uniquement demandeurs, contrairement à beaucoup d’autres pays africains récemment implantés. L’Afrique du Sud a notamment investi, par l’intermédiaire du géant chimique Sasol, au Qatar. Quant au Nigeria, lorsqu’il a fait le choix d’ouvrir sa représentation en 2013, il n’avait aucun problème financier grâce à ses abondantes recettes pétrolières.
Quel intérêt représente l’Afrique pour le Qatar ?
L’Afrique – en dehors du Maghreb – reste un continent encore mystérieux pour les dirigeants qataris. Cependant, l’objectif poursuivi de la diplomatie de l’émirat depuis l’arrivée au pouvoir en 1995 de l’ancien émir Hamad Ben Khalifa Al-Thani – stratégie poursuivie par son fils Tamim – a été de s’ouvrir et de faire connaître ce petit pays aux 250 000 citoyens dont le PIB par habitant est le plus élevé au monde, devant le Luxembourg.
Les vecteurs que sont sa chaîne d’information continue Al-Jazira, BelN, sa chaîne dévolue aux sports, l’achat de clubs de foot comme le PSG, sa compagnie d’aviation à prix abordables Qatar Airways participent au soft power sur le continent africain.
En dehors de son souhait de projeter une image de puissance « mondiale », le Qatar compte aussi sur l’Afrique pour développer ses revenus. Qatar Airways est très bien positionnée en Afrique de l’Est en reliant la plupart des pays (Soudan, Ouganda, Erythrée, Ethiopie, Kenya, Tanzanie, Mozambique), tout en n’oubliant pas certains pays clés d’Afrique de l’Ouest tels le Nigeria et l’Afrique du Sud.
Les dirigeants qataris voient également l’Afrique comme un territoire capable de leur fournir ce que l’Emirat n’a pas et n’aura jamais : l’autosuffisance en produits alimentaires. Hassad Food, fondé en 2008 et faisant partie du fonds d’investissement Qatar Investment Authority, a pour objectif d’investir à l’étranger afin d’acquérir des terres agricoles ainsi que des zones d’élevage. Si, pour le moment, les rares projets qui fonctionnent ne sont pas situés en Afrique (Australie, Oman, Pakistan), Hassad Food s’intéresse beaucoup à l’Afrique et les différents Etats du continent rivalisent de stratégies d’approche pour s’arroger les millions de dollars d’investissement potentiels.
En ce qui concerne le secteur de prédilection du Qatar, l’énergie, seuls deux investissements ont fonctionné : la prise de participation de 15 % par Qatar Petroleum dans la filiale de Total en République du Congo ainsi que l’arrivée de la même société d’Etat sur un bloc de Chevron au Maroc. D’autres potentiels investissements dans l’électricité pourraient se concrétiser avec Nebras Power, consortium composé de la société d’électricité qatarie Qatar Electricity and Water Company, Qatar Petroleum et Qatar Holding.
Beaucoup de communication mais peu de réalisation
Jusqu’à maintenant, en dehors de quelques hôtels et complexes résidentiels au Maghreb, son investissement énergétique à Brazzaville et Rabat et les vols de sa compagnie aérienne, le Qatar reste plutôt en retrait en Afrique par méconnaissance, voire par peur du continent et un manque de personnels qualifiés.
Ce manque de réalisation concrète conduit à façonner une image assez négative sur le continent, car les annonces d’investissement sans lendemain se multiplient depuis dix ans, décrédibilisant la parole des décideurs qataris. Cela n’améliore pas une image déjà controversée, en particulier dans certaines zones à dominance musulmane comme au Maghreb et au Sahel, où le soutien affiché du Qatar à l’islam politique fait peur à ses dirigeants et à une partie de la population.
Benjamin Augé est chercheur associé aux programmes Afrique et Energie de l’Institut français des relations internationales (Ifri).