Son téléphone a commencé à sonner sans s’arrêter, jeudi 1er décembre, vers 19 heures. « Un ami m’a dit : sors de chez toi, va te cacher, ils sont en train de rafler les maisons des Noirs. » Ce jeune Camerounais, bonnet de laine sur la tête, est depuis resté enfermé chez lui : « Les forces de l’ordre ont arrêté les gens dans leur maison, nous, on a eu de la chance ! » Pendant plus de vingt-quatre heures à partir de cette soirée de jeudi, les forces de sécurité algériennes ont procédé à de nombreuses arrestations de migrants ouest-africains, la plupart en situation irrégulière, à Alger.

Mahamadou est malien. Il habite dans le chantier de construction où il travaille, en périphérie ouest : « Des gendarmes sont venus vers 19 heures et nous ont dit : Entrez dans les bus, nous allons à la gendarmerie et ensuite nous vous relâcherons. Mais on n’a jamais été relâchés. » Issa, 23 ans, malien également, a été arrêté sur la route de son travail, le vendredi matin, à 20 km de là. Dans les communes de Cheraga, Ouled Fayet, Bordj Al-Kiffan, Draria, Ain Benian et Zéralda, 1 400 personnes – hommes, femmes et enfants – ont été interpellées selon la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme. Toutes ont été emmenées dans un camp de colonie de vacances à l’ouest d’Alger, sans explication.

Pas de nourriture distribuée

Le long des barreaux blancs qui bordent le camp, une dizaine de fourgons de gendarmerie sont alignés ce week-end. Les forces d’intervention rapide, le GIR, gardent l’entrée du camp et contrôlent les entrées. Deux jeunes du quartier de Dely Ibrahim sont venus prendre des nouvelles des migrants qui habitaient à côté de chez eux, deux sacs de courses dans les mains : « Ils nous ont dit qu’on ne leur donnait pas à manger. » Ali, la quarantaine, descend de sa fourgonnette et s’adresse au gendarme, cagoule vert kaki remontée sur le front : « Vous avez arrêté mon employé. » Quelques minutes plus tard, l’entrepreneur repart en soupirant : « Ils ne veulent pas le laisser sortir. » Dans la nuit de vendredi à samedi, les forces de l’ordre ont demandé aux migrants de monter dans des bus, destination Tamanrasset, à 2 000 km de là, en plein Sahara.

« Nous avons refusé de monter. Les gendarmes nous ont alors tabassés. Ils ont même frappé les enfants. Il y a eu des blessés. Un Guinéen était dans un état grave. Ils l’ont enveloppé dans une couverture, on ne sait pas ce qu’il est devenu », raconte par téléphone un Camerounais toujours enfermé dans le camp de la périphérie d’Alger, où demeurent encore plusieurs centaines de migrants. Dormant à même le sol, ils dénoncent l’insalubrité du lieu, et accusent les autorités de ne pas les nourrir. Mohamed, sa femme et son fils de 23 mois se sentent perdus. Logés jusqu’à peu dans un squat, on leur avait promis un nouveau logement. Le père de famille raconte : « Jeudi soir, les gendarmes sont venus nous chercher avec nos affaires. Mais ils nous ont amenés là et nous ont tout pris, nos bagages et nos matelas ! Ils ne nous ont toujours rien expliqué. »

Aucune expulsion depuis 2012

Aucune annonce publique n’a encore été faite par les autorités mais, dans le camp, les gendarmes laissent entendre aux migrants qu’ils seront expulsés du pays. L’Algérie avait arrêté les refoulements à la frontière en 2012, au début du conflit malien. Hormis des migrants nigériens, souvent arrivés via des filières de mendicité et rapatriés en accord avec Niamey, aucun Subsaharien en situation irrégulière n’avait été expulsé depuis. Pourquoi ce revirement ? Personne ne se l’explique pour le moment. Dimanche, l’association Rassemblement Action Jeunesse (RAJ) a condamné « une opération d’humiliation qui constitue une grave violation des droits des migrants ». Le syndicat autonome Snapap a lui dénoncé « la plus grande chasse à l’homme noir depuis l’indépendance ».

Dimanche en fin de matinée, le premier convoi, à bord duquel se trouvaient Mahamadou et Issa, est arrivé à Tamanrasset. Les migrants ont à nouveau été enfermés dans un camp. « Nous sommes 23 dans un bungalow, on nous a à peine donné à manger et pour avoir de l’eau, les agents du Croissant-Rouge nous demandent de payer », s’emportent les deux Maliens. Un deuxième convoi de bus a quitté Alger dans la nuit de dimanche à lundi. Les autorités du Niger ont confirmé avoir donné l’autorisation à l’Algérie de traverser son territoire avec ces migrants. Une source diplomatique assure : « Ils seront ramenés dans leurs pays d’origine. »